« AU-DELÀ DU VIVANT »

Aby Gaye-Duparc / Ron Mueck

Entre têtes de morts et bébé géant, la Fondation Cartier pour l’art contemporain abrite jusqu’au 5 novembre les sculptures démesurées et figuratives de l’artiste Ron Mueck. Interview avec Aby Gaye-Duparc, commissaire de l’exposition.

Les œuvres de Ron Mueck se situent au-delà du réel, nous invitant à nous questionner sur l’état du monde et notre rapport avec notre propre anima. Quels sont les thèmes abordés dans cette exposition ?
Aby Gaye-Duparc : Les thèmes de Ron Mueck lors de ses expositions en 2005, puis en 2013 à la Fondation, étaient axés sur la naissance, le corps vieillissant, la solitude, le deuil… Pour ces nouvelles œuvres présentées, il est allé au-delà du vivant et de la mort et s’est interrogé sur ce qu’il se jouait dans notre société entre les deux : la violence de l’état du monde, ses tensions, les rapports de force, les rapports avec l’animal.… Mais aussi les menaces que l’on subit, comme celles des guerres, qui nous vaut l’interprétation que nous avons de Mass.

Cette œuvre emblématique de Ron Mueck, Mass, présente 100 crânes entassés les uns sur les autres.  40 kg d’os, c’est compliqué à installer ?
L’installation nous a pris deux semaines ! Cette œuvre détonne du reste de son travail, c’est ce qu’il a fait de plus important dans le rapport physique, elle lui a pris deux ans de réalisation. Il n’a conçu que deux ou trois moules puis a retouché individuellement chaque crâne, qui sont en fibre de verre. Ils sont tous différents, alors naît l’idée de l’individualité tout en conservant celle du groupe. Nous n’avions vu que des photos de Mass car l’œuvre n’était jusqu’alors jamais sortie de l’Australie. Ça nous a fait penser à des images de génocide, de guerre, nous arrivons sur une scène et nous nous demandons ce qu’il s’est passé avant…

Quel est le processus de création de Ron Mueck ?
Il travaille seul dans son atelier de l’île de Wight, loin du tumulte de la ville de Londres qu’il a quittée il y a presque dix ans. Cela lui permet d’assimiler plus paisiblement ce qu’il reçoit de l’état du monde. Il a un quotidien rythmé par son travail, il va se baigner, quelle que soit la saison, dans l’eau glacée. Toute son énergie et sa pensée sont au service de son art.

Au sous-sol, trois chiens noirs de trois mètres de haut nous accueillent. Quelle impression a-t-il voulu exprimer ?
L’œuvre s’appelle En garde. Il présente pour la première fois des animaux n’étant pas dominés par l’homme. Il avait envie que l’œuvre soit menaçante. Il était effrayé par les chiens quand il était enfant, alors il a voulu recréer ce rapport de taille qu’il ressentait. Ils voulaient en faire huit mais il a dit : « Cela va me prendre le restant de ma vie ». Selon la distance à laquelle on se trouve, on dirait que les chiens sont vivants, comme beaucoup de ses œuvres…

Ron Mueck, jusqu’au 5 novembre à la Fondation Cartier pour l’art contemporain, 261 boulevard Raspail, 75014 Paris.

 

Par mathilde delli