ANTHONY BAJON, ACTEUR TOUT-TERRAIN : « TU T’Y CONNAIS EN FOOT ? »

Anthony Bajon

Nommé pour le César du meilleur acteur dans un second rôle, Anthony Bajon, 29 ans, fils d’ouvriers, moine-soldat du cinéma, va bientôt réaliser son premier long-métrage.

Légende photo : LE NUMÉRO 10 DU CINÉ FRANÇAIS_ Anthony Bajon soutient le Real de Madrid et l’équipe de France, mais c’est au ciné qu’il marque des points en s’affirmant un des comédiens les plus intenses de sa génération.

Vous êtes nommé pour l’excellent Chien de la casse aux César.
Anthony Bajon : C’est la troisième fois que je suis nommé. C’est flatteur, surtout à 29 ans ! Mais cette année, pour le César du meilleur second rôle masculin, je me retrouve face à Pio Marmaï (Yannick), Arthur Harari (Le Procès Goldman), Antoine Reinartz (Anatomie d’une chute), Swann Arlaud (Anatomie d’une chute). Mais déjà, avoir mon nom à côté de ces mecs-là, ça me va. Si je votais, ce ne serait pas pour moi (rires).

Quand la presse parle de vous, elle évoque un « nouveau Depardieu ».
C’est flatteur mais…

…peut-être pas en ce moment ?
(Rires) Je n’ai pas trop envie que l’on me compare à qui que ce soit. Il n’y a pas deux carrières équivalentes. Je ne sors pas, je me couche à 22 h 30 tous les soirs, je ne fais que bosser. Une carrière, c’est sur le long terme, un véritable marathon. Je serais le dernier des débiles si j’étais rassuré et que je pensais avoir mon rond de serviette dans le milieu du cinéma.

D’où venez-vous ?
Je suis né à Villeneuve-Saint-Georges, dans le Val-de-Marne. Mes parents viennent du monde ouvrier, ma mère était comptable et mon père serrurier. Ils n’avaient pas les moyens de m’aider, ils ne savaient pas qui contacter… Il était même très difficile pour moi d’envisager la moindre ambition…

C’est Le Roi Lion qui a tout changé ?
C’est vrai (rires) ! Quand j’ai vu Le Roi Lion à cinq ans au Grand Rex, j’ai dit à ma mère que c’était ça que je voulais faire : raconter des histoires. J’avais été traversé par 250 émotions en 90 minutes, comme tous les autres spectateurs.

Et l’école ?
Zéro ! Je n’étais vraiment pas bon, j’étais très introverti, j’avais du mal à apprendre. À la fin de la troisième, les profs ont refusé de me faire passer au lycée et voulaient m’orienter en apprentissage. C’était horrible car je voulais faire une école de cinéma et je devais avoir le bac. Donc ma vie était foutue ! Ma mère a insisté, j’ai eu le déclic et j’ai bossé comme un chien au lycée. Quand tu veux quelque chose, il faut te battre ! 

« JE SUIS UN ÉCORCHÉ VIF, LE MOINDRE TRUC ME TOUCHE… »

 

Est-ce que cette enfance difficile a eu des répercussions sur votre métier de comédien ?
Ce que j’ai dans le bide aujourd’hui et ce que l’on peut voir dans mes yeux, ça vient de là. Quand ton enfance a été une galère, c’est un océan d’émotions auquel tu as accès quand tu es comédien. Et donc je n’échangerais pour rien au monde mon enfance, même si cela a été une période très difficile et je me suis souvent demandé comment j’allais survivre. Car j’étais vraiment dans la survie ! Être ultra-sensible au cinéma, c’est cool, ça l’est moins dans la vraie vie. Je suis un écorché vif, le moindre truc me touche énormément.

Dès votre premier film en 2018, La Prière, de Cédric Kahn, vous obtenez un prix d’interprétation à Berlin. 
J’ai eu cette chance. J’avais joué dans des courts-métrages, puis j’ai fait des apparitions dans des longs, comme Les Ogres avec Adèle Haenel, Nos années folles d’André Téchiné ou Rodin de Jacques Doillon, mais à chaque fois, j’avais une seule journée de tournage. Puis j’ai passé le casting du Cédric Kahn, pour un rôle secondaire. J’y suis retourné une dizaine de fois, et quand Cédric m’a offert le rôle principal, je crois que j’ai fait un mini AVC. 

Vous semblez faire le grand écart entre des films aussi différents que Teddy, Au nom de la terre, Athena, Tu mérites un amour ou Chien de la casse ? 
Les scénarios, je les lis cinq fois avant de rappeler mon agent. Grégory Weill pète un câble car je refuse tout. Je n’ai pas envie de faire 50 fois le même rôle, sinon, plus personne ne viendra me voir. Pour Chien de la casse, le rapport à l’ennui des personnages m’a rappelé ma jeunesse au bas des tours, quand on allait jouer au foot au City Stade. J’étais très proche de Raph (Raphaël Quenard, ndlr) et j’ai vraiment insisté pour qu’il soit pris. J’ai aussi réalisé un court-métrage, La Grande Ourse, que j’ai mis quatre ans à finaliser, et j’ai écrit un long, que je dois tourner cet été. C’est un sujet perso et ça parle du foot. 

Alors parlons foot.
(Le débit de sa voix s’emballe) Le foot, c’est toute ma vie, après le ciné. Je lis L’Équipe tous les jours. Je passe mon temps à écouter des podcasts sur le foot. Tu t’y connais en foot ?

Euh… 
J’ai joué en club, j’étais numéro 10. Et à 13 ans, j’ai fait une détection. J’ai passé le premier tour, et je ne me suis pas présenté au second. Je voulais faire du cinéma ! Mais c’est peut-être la plus grande blessure de ma vie, et dieu sait qu’il m’est arrivé de la merde dans mon existence. Après cette détection, je n’ai plus jamais touché un ballon, et ce jusqu’à Chien de la casse. Après la première prise d’une scène de foot, je me suis isolé : j’avais les larmes aux yeux. Il faut que j’en parle à mon psy…

Va-t-on bientôt vous revoir ?
Après Chien de la casse, je n’ai pas tourné pendant deux ans. Vous allez me revoir dans L’Amour ouf de Gilles Lellouche, un mec généreux et gentil, puis le Fabrice Du Welz, Maldoror, où je joue le flic qui poursuit Marc Dutroux. Je me suis blessé je ne sais combien de fois, j’ai tout donné sur ce film. J’espère que ça va cartonner.

 

Par Marc Godin
Photo Axel Vanhessche