Depuis 10 ans, le duo de rap qu’il forme avec son grand frère Bigflo aligne les disques de platine. Aujourd’hui, Oli (Olivio Ordonez), agé de 29 ans, est curator d’une ambitieuse expo aux Abattoirs de Toulouse. Et se lance pleinement dans l’art contemporain…
Depuis décembre 2024, ton expo Le Musée imaginaire d’Oli est ouverte au musée des Abattoirs à Toulouse, jusqu’en avril 2025. Qu’est-ce qui t’a poussé à investir l’art visuel en cette fin d’année ?
Oli : Une invitation ! Le musée m’a contacté en me proposant cette « carte blanche », c’est parti de là, mais c’est également une passion. Je ne dirais pas qu’elle est secrète, car je suis avant tout un artiste musical, mais c’est un aspect de moi un peu moins connu. J’ai toujours été très attiré par l’art contemporain et visuel. J’ai suivi de près des peintres, des sculpteurs, des graphistes, des graffeurs alors qu’ils étaient en plein essor. À chaque fois, je me disais : « J’aurais dû acheter une de leurs œuvres » ou « J’aurais dû leur écrire ». » Certains ont explosé, d’ailleurs ! J’ai toujours eu cette sensibilité, ainsi qu’un lien amical avec Les Abattoirs, un lieu mythique à Toulouse et très important dans l’art contemporain français… J’ai donc eu la liberté de puiser dans les réserves du musée, qui comptent plus de 4000 œuvres, dont des Warhol, Miró, Soulages, Fontana…
Et la présence de ton grand frère Bigflo pour cette expo ?
Oui, Flo’ reste présent ! Il fait l’intro, sa voix résonne parfois dans le casque, et il y a toujours quelques clins d’œil à la famille.
Les Abattoirs t’ont donc donné carte blanche pour cette exposition. Tu te sens légitime dans ce rôle de curator ?
C’est à la fois une chance et une forme de pression, car une carte blanche, par définition, signifie partir de rien. Il faut donc construire un cadre, une structure. Je me considère toujours très chanceux, et cette opportunité ne faisait pas exception. Mais au-delà de la chance, je voulais vraiment en faire quelque chose de marquant, transformer cette occasion en un véritable événement populaire, tout en ouvrant les portes du musée à un nouveau public. L’idée de cette expo était justement d’attirer des personnes qui vont rarement, voire jamais, au musée. Et c’est plutôt réussi : 80 % des visiteurs sont des primo-visiteurs, dont beaucoup de jeunes, une tranche d’âge qui, malheureusement, fréquente peu ce musée. On est donc très heureux, avec déjà 80 000 visiteurs. Cela confirme que les univers ont besoin de se rencontrer et de se croiser.
C’est important pour toi de démocratiser l’art, de le vulgariser ?
Totalement, et surtout pour déconstruire ce sentiment d’illégitimité que certaines personnes peuvent ressentir, notamment face à l’art contemporain qui n’a pas toujours été très bon en communication, parfois perçu comme un peu snob. Je ne pense pas que ce soit volontaire ou malveillant, mais plutôt une certaine vision des choses. Je suis vraiment heureux de réussir à mélanger les univers, c’est quelque chose qu’on essaie de faire depuis toujours, même dans la musique. À nos débuts, il y a eu des incompréhensions et des critiques quand on s’associait avec des YouTubeurs. Sans prétention, on faisait partie des premiers artistes à collaborer avec des créateurs comme Squeezie ou Léna Situations. À l’époque, dans l’industrie musicale, ce mélange était vu d’un œil sceptique. Mais nous, on y croyait. On a toujours pensé que chacun pouvait apporter quelque chose à l’autre…
Dans ce Musée imaginaire, tu exposes des œuvres de JR, Andy Warhol, Keith Haring et Pierre Soulages. Comment justifies-tu ce choix d’artistes pour refléter ta vision ?
Je les ai sélectionnées moi-même, parce que les réserves du musée, c’est une vraie caverne d’Ali Baba. Il y a des œuvres partout, accrochées sur des racks, et c’est assez fascinant. Mais j’ai aussi utilisé le numérique, toutes les 4700 œuvres du musée sont numérisées et accessibles sur un site que tout le monde peut consulter, appelé « Navigart ». Ça m’est vite devenu une habitude : en tournée, le soir sur mon tel, je me baladais sur Navigart comme on scrolle sur Insta. J’avais même l’impression d’un algorithme qui me suggérait des choses, et dès qu’une œuvre me parlait ou faisait écho à quelque chose, je la classais. Un peu comme sur Pinterest pour ceux qui, comme moi, adorent ça : je faisais des dossiers, j’organisais mes trouvailles. Une fois que j’avais toute cette matière, il fallait donner du sens à l’ensemble, trouver ce que je voulais raconter et comment tout relier à mon histoire personnelle. J’ai aussi invité des artistes qui ne figuraient pas dans les collections du musée, comme JR ou Inès Longevial, une peintre incroyable que je suis depuis longtemps, mais qui n’était pas dans les réserves nationales, en tout cas pas celles du FRAC ou du musée. C’était long, mais passionnant.

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Long comment ?
Très long. Ça a duré plusieurs mois, d’autant que j’étais aussi en tournée en parallèle. Ce qui était vraiment long, c’était de trouver l’angle, de savoir comment aborder tout ça… C’est sympa d’accrocher des œuvres connues et d’artistes reconnus, mais il fallait aussi trouver comment raconter une histoire et attirer un public qui ne connaît pas forcément ces œuvres. Chaque choix doit avoir un sens. J’essaie toujours de faire en sorte de demander aux gens de s’interroger, il faut trouver une logique, une manière intelligente et un peu fun de présenter tout ça, et de lier le tout à notre propre histoire.
Tu envisages de prolonger l’expo ?
Je ne crois pas, mais en tout cas, j’ai vraiment envie de continuer à réaliser des projets artistiques comme celui-ci, différents. En plus, j’ai eu la chance de créer mes premières œuvres, des installations contemporaines en tant qu’artiste, au-delà de la musique. Ça me motive vraiment, j’ai plein d’idées et de projets en cours.
Formé à la trompette au Conservatoire de Toulouse, vous l’intégrez parfois dans vos productions. En mars 2025, ce bagage musical a-t-il influencé la conception de Musée imaginaire ?
Peut-être un peu dans l’ouverture d’esprit que ça nous a donnée. Si je joue au philosophe, je dirais que c’est aussi le fait qu’on faisait du rap tout en étant au conservatoire, ce qui nous a permis de croiser plein de musiciens de tous horizons : des gens du classique, des jazzmen, des reggae-men, des rockeurs. Ça m’a poussé à développer ma curiosité. Et effectivement, il y a pas mal de liens à faire entre le jazz et l’art contemporain. Je pense évidemment à Basquiat, à toute cette génération très connectée. Donc, oui, il y a peut-être une influence, mais elle se fait plutôt entre les lignes.
Cette exposition va-t-elle changer ta manière de construire ta carrière musicale ?
Oui, peut-être. De toute façon, il y a déjà des connexions entre l’art contemporain et le rap depuis un moment. La semaine prochaine, je suis invité au vernissage d’une expo, Femmes, où le curateur, Pharrell Williams, a choisi une quarantaine d’artistes femmes. Donc oui, il y a de plus en plus de liens entre le rap et l’art contemporain. En effet, ça m’inspire déjà ; dans cette expo, il y a même quelques morceaux que j’ai créés spécialement pour l’occasion. J’ai aussi réalisé un clip exclusif qui sert d’introduction à l’expo. Donc le rap, en tout cas le mien, se nourrit déjà de cette influence contemporaine.
L’album Les autres c’est nous (juin 2022) a clos une décennie de carrière. En ce 11 mars 2025, comment juges-tu l’évolution de votre duo depuis vos débuts en 2015 avec La Cour des grands ?
C’est dur de se juger. Je dirais déjà qu’on est heureux d’être encore là ! Quand tu parles de décennie, ça me semble fou, car je n’ai pas vu le temps passer. Beaucoup de gens connaissent un buzz ou un moment sous les projecteurs, mais ça ne dure pas toujours, surtout en musique ces dernières années. Alors, je me considère chanceux et reconnaissant, avec l’envie d’ajouter au moins une décennie de plus. J’ai cette volonté de continuer, de durer, une immense gratitude de pouvoir encore remplir des salles et des stades et d’avoir un public fidèle après tant d’années. Bref, très heureux.

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Bigflo s’est lancé en solo avec « Koopa » sous le pseudo Bunshiin en 2023. En mars 2025, toi, Oli, tu n’as pas l’envie d’un projet personnel ou le tandem reste-t-il sacré ?
En musique, j’ai l’impression d’être déjà un peu en solo, car on est tellement connecté et on fait la musique naturellement ensemble. Donc oui, il y aura peut-être quelques morceaux solo, comme Flo a déjà fait, ou moi aussi. Mais ce n’est pas une vraie fracture, comme les Frères Gallagher d’Oasis. C’est plus une envie commune de liberté. En fait, c’est deux solos qui fonctionnent bien ensemble. Je pourrais faire des projets solo si lui n’a pas envie ou ne trouve pas sa place, et inversement, comme pour l’expo.
Est-ce qu’on pourrait retrouver de l’art contemporain à la prochaine édition du Rose Festival ?
Oui ! Lors de l’édition précédente, on avait invité un artiste, Cyril Ancelin, qui fait de grosses sculptures gonflables et est assez reconnu dans le monde de l’art contemporain. Il collabore avec des marques et des festivals d’art. On avait aussi Philippe Katerine, un artiste entre musique et art, qui fait des grandes sculptures de bonhommes, dont un rose. On s’entend super bien avec lui, et quand on l’a rencontré, on a trouvé ça marrant, alors il a fabriqué un bonhomme pour l’occasion. Ta question est pertinente, car c’est un peu mon objectif et mon rêve pour les prochaines années : lier le Rose Festival, qui est devenu un gros événement, à ma passion pour l’art, et en faire un rendez-vous à la fois musical et visuel, centré sur l’art contemporain. Ce serait top !
Tu as commencé à un moment où rap n’était pas le genre musical dominant ; les grands musées ne proposaient pas ce genre de collaborations.
Je ne vais pas faire l’ancien, mais quand j’étais au collège ou au lycée, écouter du rap, c’était vraiment pas stylé. On était trois à écouter du rap, et les gens se moquaient de nous. Je pense que Simon (son manager, ndlr) derrière sera d’accord avec moi. On était trois, et on se faisait balancer des « yo yo » en mode moqueur. C’est marrant et beau de voir qu’aujourd’hui, le rap est devenu la musique des cours de récré. L’échange, dans l’art, il en faut toujours, et je suis plutôt confiant. Le fait qu’une institution comme un musée national, avec tout ce que ça représente, fasse confiance à un rappeur, prouve que les choses avancent en France.
La différence entre le Oli rappeur et le Oli conservateur ?
Peut-être un peu plus d’humilité en tant que conservateur, parce que ce n’est pas mon milieu. Aujourd’hui, même si on ne se la pète pas, on a plus confiance en nous, surtout en musique, avec tout ce qu’on a accompli. Mais je dirais que je suis encore au début de ma carrière artistique pure, en tant que curateur ou personne qui fait le lien entre l’art et autre chose, tandis que ma carrière musicale est bien installée.

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Toulouse, la famille et la musique ne te quittent jamais, on le voit encore dans cette expo. Pourquoi ces trois aspects sont indissociables d’Oli ?
Parce que je viens de Toulouse, que je suis heureux avec ma famille, que je fais de la musique. Mais si je réponds de manière plus profonde, c’est peut-être ce que j’emporte avec moi. Comme on voyage, notre carrière nous mène parfois dans des endroits inattendus, dans des doutes ou des changements, ces repères sont mes grigris. Ce sont eux qui font partie de ma palette de couleurs et qui me permettent de m’exprimer. Et au fond, c’est surtout mon enfance à Toulouse, mon lien avec la musique étant petit, et tout ce que j’ai vécu avec ma famille. Ça me permet de garder les pieds sur terre.
La scénographie de votre exposition est totalement réinventée, est-ce une inspiration des salons de la Renaissance ?
Peut-être pour l’endroit où tous les tableaux sont accrochés, un peu dans ce style magistral. Sinon, bizarrement, je me suis aussi inspiré des réseaux sociaux. Quand j’ai dit ça, les plus anciens ont rigolé, mais c’est vrai. Sur le grand mur, je me suis imaginé un peu comme un feed, un style Pinterest où j’aurais sélectionné des fenêtres et créé ma propre sélection. Un mélange de nombreuses influences, du rap à Internet. Ça peut même faire penser à l’univers d’Harry Potter, avec ces couloirs remplis de tableaux. L’idée était de faire quelque chose de monumental, et ça a marché. Les gens restent longtemps devant, je crois qu’il y a plus de 60 heures d’accrochage. On a aussi mélangé des éléments comme un vinyle d’Eminem dédicacé, un Keith Haring, un Joan Miró, un maillot de Maradona… Les gens fouillent, un peu comme on le fait sur les réseaux quand on cherche des trucs stylés.
L’œuvre de Pierre Soulages présente dans ton exposition a été annotée par ton père, quelle annotation aurait été la tienne ?
Bonne question… J’aurais probablement dit que c’est un artiste qui me touche. Ce qui me touche dans ses œuvres, c’est qu’on pourrait se concentrer sur le noir, mais en réalité, ce qu’il raconte et ce que les gens interprètent, c’est un hommage à la lumière. J’aurais sûrement trouvé une phrase un peu profonde sur ce qu’on a de plus sombre en nous et comment ça peut nous mener vers la lumière.

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Et JR t’a prêté son camion photographique, Inside Out…
En fait, lui m’appelle le stagiaire, si vous lui demandez. Je suis un peu son stagiaire éternel de troisième. C’est quelqu’un de très généreux. Même dans la rue, si quelqu’un l’arrête, il dit, « vas-y, montre ce que tu fais », et l’emmène à son atelier. Il m’a beaucoup guidé, m’a toujours écrit, me propose des projets. Par exemple, j’ai passé une semaine avec lui à New York et c’était l’une des semaines les plus inoubliables de ma vie. Avec JR, j’ai bu un verre aux côtés de De Niro, qu’il m’a présenté. Le lendemain, nous étions dans une usine de papier où il me faisait passer pour un stagiaire en vérifiant les papiers pour ses projets. C’est une relation un peu de grand frère.
La suite ?
Les projets à venir, c’est de finir ceux qu’on a sur le feu. On est à fond sur la musique, on travaille sur une mixtape ou un album, avec plein de sons inédits. En parallèle, on prépare la tournée Inter, qui nous mènera dans cinq ou six capitales européennes, ainsi qu’au Québec et à New York. C’est vraiment excitant. On a aussi une grosse tournée d’été, avec des festivals comme les Déferlantes et le Main Square. Et bien sûr, notre festival, le Rose Festival, qui revient pour la quatrième année.
@lemuseeimaginairedeoli
LE MUSÉE IMAGINAIRE D’OLI
Exposition au musée Les Abbatoirs à Toulouse, jusqu’au 4 mai
Entretien Lina Bacchieri & Robin Lecomte