DESTINATION : NÉANT

Anthony hopkins technikart

Perdu dans un labyrinthe temporel, Anthony Hopkins sombre dans la maladie d’Alzheimer. Pour sa première réalisation, récompensée de deux Oscars, Florian Zeller creuse un cauchemar en forme de gouffre sans fond. Déstabilisant et brillant. 

Un film d’horreur ! On pense visionner le petit téléfilm d’un théâtreux ou un gros prout arty et on se retrouve en enfer, dans un cauchemar plus flippant que Massacre à la tronçonneuse, L’Exorciste ou Hérédité. Pourtant, pas d’hémoglobine, de membres coupés, ni même de tête qui tourne (quoique…). Il est juste question d’un cerveau qui se vide comme un évier, d’un vieillard qui sombre dans les méandres de la démence sénile, qui perd la mémoire et tous ses repères. Voici donc Anthony, qui vit avec sa fille, devise à l’infini et écoute de la musique classique. Mais bientôt, prisonnier d’un boucle hors du temps, il ne reconnaît plus son luxueux appartement londonien et qui est cette femme qui tente de se faire passer pour sa fille ? 


SURDOUÉ

Florian Zeller a 41 ans et tous les talents, c’est énervant. Dramaturge le plus joué dans le monde, il réalise son premier long-métrage, adapté de sa pièce de théâtre, Le Père, crée en 2012 avec Robert Hirsch. Et parvient à en faire oublier la précédente adaptation ciné, le médiocre Floride, mis en scène en 2015 par Philippe Le Gay, avec Jean Rochefort dans son ultime rôle. Sous la double influence de Michael Haneke (Amour) et de Roman Polanski (Le Locataire), Zeller jongle en virtuose avec l’espace et le temps, qu’il fusionne, tord et distord. Comme son pitoyable héros victime de la maladie d’Alzheimer, le spectateur se retrouve plongé, submergé, perdu dans un labyrinthe inextricable, dans un cerveau malade ou une peinture de Francis Bacon. Et ne sait jamais si ce qu’il voit est la réalité, un fantasme ou un lointain souvenir. Zeller ne fait pas le malin avec la caméra, gère son décor, ses couleurs et ses cadrages au millimètre et se contente de serrer le garrot jusqu’à la scène finale, cathartique, qui te réduit en cendres. Car si la structure narrative est elliptique, la trajectoire est linéaire, destination : néant.

Au-delà de cette maîtrise formelle, la grande idée de Zeller, c’est d’avoir écrit ce script sur l’oubli – avec le dramaturge britannique Christopher Hampton (Les Liaisons dangereuses) – spécialement pour Anthony Hopkins. Acteur à la réputation difficile, qui a l’habitude de quitter le plateau quand un réalisateur ose lui donner une indication, Hopkins a très vite accepté le projet de Zeller. Et il se met à nu comme jamais, tour à tour tyrannique, enfantin, odieux, pathétique, égoïste, perdu. Et finalement, terriblement humain, pleurant pour retrouver les bras de sa maman. Alors qu’il cachetonne depuis des années dans des produits industriels indignes de son talent (Transformers 39 ou Thor : Ragnarock), Anthony Hopkins livre une performance ahurissante qui lui a valu un Oscar en avril dernier. Comme Zeller qui est reparti avec la statuette de la meilleure adaptation. 
Hautement recommandé. 

THE FATHER
FLORENT ZELLER
(EN SALLES LE 26 MAI)

Par Marc Godin