MATHIEU ALAPETITE : « OLD IS COOL ! »

Mathieu Alapetite

Mathieu Alapetite, directeur général de France Silver Économie, nous explique pourquoi les cheveux blancs ont pris le pouvoir… Et pourquoi ça change tout.

Vous êtes le DG de France Silver Eco, une association mandatée par le gouvernement pour fédérer la filière de la silver économie. De quoi s’agit-il ?
Mathieu Alapetite : La silver économie, ce sont les entreprises, startups, acteurs locaux, assurances, écoles d’ingénieurs, travaillant à structurer un écosystème économique autour du vieillissement. Mais dans une logique d’innovation et de création de valeur ! On fait le pont entre le privé, le public et les territoires pour transformer la révolution démographique en cours, en opportunité. L’idée, c’est de faire évoluer le modèle : passer de l’accompagnement de la dépendance à une approche plus préventive et globale.

Vous dites que le vieillissement est devenu « un fait culturel », c’est-à-dire ?
Cela veut dire qu’au-delà du constat démographique, les boomers feront grossir les rangs des seniors de 4 à 6 millions de personnes entre 2020 et 2030. Le vieillissement est désormais un phénomène social, culturel et économique. Ces générations impactent la culture, la mode, les réseaux sociaux, l’entrepreneuriat. Elles redéfinissent ce que ça veut dire d’avoir 60, 70 ou 80 ans. Ce n’est plus un effacement, c’est une présence. Le paradoxe ? c’est qu’on vit mieux et plus longtemps, mais ça crée une forme de déni : beaucoup refusent d’anticiper ce qui vient avec l’âge.

Vous dites d’ailleurs que les frontières se brouillent entre jeunes et seniors. Où ces deux générations se croisent-elles vraiment ?
Dans nos études, on a découvert deux choses. D’abord, beaucoup de seniors ne se reconnaissent pas dans ce terme : ils sont actifs, en bonne santé, donc se sentent encore jeunes. La distinction par l’âge devient même offensante pour eux. Ensuite, sur le terrain, on constate que les attentes des jeunes et des moins jeunes convergent : qualité de vie, lien social, sens. L’opposition générationnelle qu’on fantasme n’existe pas tant que ça dans les faits.

21 millions de plus de 60 ans détiennent plus de 60% du patrimoine. Du coup, le « old cool », c’est aussi une question de classe, non ?
Oui, totalement. Le old cool démarre effectivement en haut de la pyramide : ceux qui ont le patrimoine, la santé, l’éducation peuvent se réinventer et s’avancer avec l’âge plus facilement. Le risque, c’est de créer un phénomène à deux vitesses. Notre rôle, c’est de massifier les solutions pour que ça ne reste pas un privilège exclusif. Et cela en travaillant avec les collectivités sur la mobilité, en sensibilisant les acteurs économiques généralistes pour qu’ils intègrent la silver Economy dans leurs offres, en aidant des fonds d’investissement à se positionner sur cette filière. Si on ne fait que du marketing pour CSP+, on reproduit les inégalités et on rate le coche.

Les seniors sur TikTok, les youtubeuses de plus de 70 ans… C’est un une revanche ou bien un simple mimétisme inversé ?
C’est un peu les deux… Ces générations ont été invisibilisées pendant des décennies, et là elles reprennent la lumière. Mais c’est aussi logique : ce sont eux qui ont vécu Mai-68, le punk, l’arrivée d’Internet. Ils n’ont jamais arrêté de bouger. Aujourd’hui, 96 % des 60-69 ans sont connectés et 63 % des 70+. Le smartphone est devenu indispensable pour 87 % d’entre eux, avec un bond de +16 points depuis le Covid. Facebook reste leur réseau principal, mais Instagram et YouTube montent fort. Sur Leboncoin ou Vinted, ils représentent une part croissante des utilisateurs. L’idée qu’ils soient complètement dépassés par la tech est un mythe.

Et ces seniors qui consomment la triade durable-circuit court-seconde main … Sont-ils militants ou ont-ils juste connu la crise et savent compter ?
Les deux. Ils ont une conscience écologique construite dans le temps, mais aussi un pragmatisme hérité des crises qu’ils ont traversées. Ils savent qu’on ne peut pas consommer à l’infini. C’est à la fois idéologique et pratique.

Et qu’en est-il du coliving senior ?
Ces habitations en communautés sont encore marginales, mais je parie sur leur croissance. On voit émerger des projets de coliving intergénérationnel dans les grandes villes, des lieux où les générations se mélangent… Ces initiatives de niches marchent néanmoins bien parce qu’elles répondent au vrai besoin : le lien social. La majorité des seniors veulent rester chez eux, mais ça ne sera viable que si on construit une société qui lutte activement contre la solitude et l’exclusion.

Si vous deviez donner un conseil à une marque qui veut toucher cette cible sans être ridicule ?
Trois choses. Développez des imaginaires positifs autour du vieillissement, pas de la compassion. Ensuite, ne faites pas de produits « spécial seniors », faites de bons produits, universels, bien pensés. S’ils sont vraiment bons, tout le monde les utilisera. Enfin, ciblez aussi les aidants. Ce sont eux qui accompagnent au quotidien par la suite, et c’est une porte d’entrée indirecte très efficace pour toucher les silver.

Et vous, comment vous voyez vous vieillir ?
(Rires) Je suis parisien de cœur, mais j’ai grandi dans l’Indre. J’aimerais finir de retaper une maison là-bas et y habiter plus tard. Pas tout seul. Et surtout, que vieillir ne soit pas un problème à résoudre, mais une étape à vivre pleinement. Old is cool !

 

Par Assiya Shabi