William Lebghil est-il le nouveau Pierre Richard ?

Avec son physique de grand échalas et sa poésie lunaire, William Lebghil est bien plus qu’une des nombreuses promesses du cinéma français. Mais chut, il ne le sait pas encore.

Comme en foot, le réservoir 2017 du cinéma français n’arrête plus de déborder de rookies surdoués. Des jeunes scénaristes, des jeunes producteurs, des jeunes réals, des jeunes chefs op’, tous très talentueux, ce pays en compte des wagons (voir notre Top 100 dans les pages qui suivent). Le centre de formation tourne à plein régime, y’a plus qu’à se servir, nos félicitations aux institutions de la République.

Le nouveau Bebel ?

La section comédie est à l’avenant. Surtout, la jeune génération d’acteurs, celle née vers les 90’s, aura été la grande gagnante d’une nouvelle donne esthétique locale : ici ça joue bien. En tout cas beaucoup mieux qu’à l’époque où Samuel Le Bihan était présenté comme le nouveau Bebel. Difficile de savoir exactement de quand ça date (disons qu’Un Prophète et son cast d’inconnus sublimés ressemble à un bon marqueur temporel) mais c’est assez épatant. Dans les daubes TF1, les prototypes barrés, l’indie fauché, les bêtes de festival, le cinéma de papa, partout, on trouve des gamins tuants. Pas un seul n’a pour l’instant réussi à s’imposer aux yeux de l’industrie, mais ça frétille dans tous les coins (François Civil, Camélia Jordana, Côme Levin, Kevin Azaïs, Lina El Arabi, ad lib…). Plus qu’à prendre les paris en attendant l’explosion pour laquelle ils (se) sont programmés.

Pour la saison hiver 2018, on va foutre notre pièce sur William Lebghil, pas seulement parce que le circuit promo nous l’offre sur un plateau, mais aussi parce que contrairement à ses collègues, très pros, très décidés, très « performatifs », il a encore l’allure du mec surpris de ce qui lui arrive, la petite innocence maladroite qui fait le charme des aspirants.

Loin de l’ambition TNT

Il pose en janvier 2018 son allure de grande tige maladroite dans Ami-ami de Victor Saint Macary, rom-com urbaine un peu sophistiquée, un peu torchée aussi, dont il est le véritable bras armé. Le pitch est du genre bancal : un mec embarqué en coloc avec sa meilleure amie n’ose pas lui avouer qu’il vient de tomber amoureux d’une autre. Et pourquoi donc ? Euh… on n’aura qu’à dire qu’il est très timide et très anxieux ? 1h40 donc, où Lebghil se charge de faire gonfler une situation qui se règlerait normalement en un espresso bien serré. Un vrai petit spectacle ça, l’observer en train de colmater les trous béants d’un concept-gruyère, remettre le film à sa main, faire un peu le boulot que les scénaristes ont laissé de côté. Il a ce génie burlesque, à la fois doux et poétique, qui fait avaler des situations pas possibles. Un profil plus vu ici depuis Pierre Richard.

Un autre petit spectacle, tiens : taper la causette en terrasse à ses côtés, le voir buter sur les mots, laisser mourir tranquillement ses phrases ou commander candidement une grenadine au serveur (« Me juge pas là-dessus steuplé, je bois des trucs beaucoup plus cool des fois »). Il a le phrasé épuisé et touchant du Darroussin de Mes Meilleurs Copains, la gentillesse dégingandée et immédiate aussi. Ça l’exonère du syndrome langue-de-bois lorsqu’il nous explique d’une traite « choisir les films en fonction de leurs histoires et du feeling avec le metteur en scène » ou « avoir peur d’être cantonné dans un certain type de personnage ». Une gorgée de grenadine plus tard : « Mince, c’est pas un peu bateau ce que je viens de te dire ? » Il n’a pas encore eu le temps de bosser ses punchlines et ses théories parce qu’il se frotte encore les yeux d’en être là.

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Surtout, Lebghil se situe à un endroit de sa carrière où il va devoir choisir entre là d’où il vient (son rôle de sidekick de Kev Adams dans la série Soda lui a offert la notoriété) et là où l’industrie a choisi de l’emmener (il a tourné aux côtés de Thomas Cailley et Riad Sattouf, enchaînera les prochains avec Thomas Lilti et Benoît Forgeard : des gens loin de l’ambition TNT). Le risque : se laisser enfermer dans un cinéma « label de qualité » qui le tiendrait à distance d’un mainstream pour lequel il semble taillé – un peu à la manière de son copain Félix Moati. « Ça, j’ai choisi de m’en foutre. Ma seule vraie décision, au fond, en tant qu’acteur, c’est de carburer à la grenadine. Plus sérieusement, j’ai vu évoluer Kev (Adams) et Félix (Moati) de près. Les deux ont des filmos assez « éloignées » on va dire, moi je voudrais bien être le point intermédiaire entre ces mecs-là. Je suis un acteur centriste en fait, un mec de l’ère Macron, hahaha ! » Probablement la meilleure manière, à notre époque, de se distinguer du vivier de jeunes loups, n’est-ce pas ?

FRANÇOIS GRELET

Paru dans Technikart #218