LE POINT PORCHER : COMMANDE TON PROF’ !

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C’est la débandade générale. Pendant que certains politiques se disent prêts à accueillir les chercheurs américains voulant fuir l’Amérique de Trump, deux-tiers des enseignants français sont en contrat précaire à l’Université. Vacataire pendant cinq ans, l’économiste le plus ubérisé de France nous livre un cours magistral.

Légende photo : MILLE BORNES_ La multi-surintendante de la Macronie mérite une retenue. Si Madame Borne, désormais ministre de l’Éducation nationale, sait gérer sa carrière (elle a été ministre des Transports, de la Transition solidaire et Première ministre) elle galère beaucoup plus à gérer celle de nos professeurs. Au coin. 

En 2023, Camille, enseignant vacataire et porte-parole d’un nouveau collectif « vacataires.org », appelait à la rétention des notes du deuxième semestre afin que les présidents d’universités acceptent de reconsidérer la place des vacataires dans les universités. Les revendications portaient principalement sur l’augmentation du taux horaire des cours, fixé en 1987 sans réelle revalorisation depuis, et sur une mensualisation des salaires. Les vacataires sont des enseignants de l’université en contrat extrêmement précaire, payés à l’heure de cours et touchant leur salaire une fois leur service effectué, c’est-à-dire au minimum tous les six mois. Ils représentent aujourd’hui deux-tiers du personnel enseignant et, sans eux, les universités ne pourraient fonctionner.

BOUCHE-COURS PROFESSIONNEL

Les années 2000 ont été marquées par l’arrivée massive de nouveaux étudiants dans les universités. Ce résultat a été le fruit de choix politiques. La volonté que 80 % d’une classe d’âge obtienne le bac avait été affichée en 1985 par le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Pierre Chevènement. En 2012, c’est au tour du président de la République François Hollande de fixer l’objectif ambitieux d’amener 60 % d’une classe d’âge à un niveau d’enseignement supérieur. Le problème est que ces ambitions se sont faites sans les moyens nécessaires. Face à l’afflux de nouveaux élèves à l’université, les budgets stagnent, voir même déclinent et l’université s’appauvrit. Concrètement cela amène à des conditions dégradées pour les étudiants et au recours de plus en plus systématique à une main d’œuvre en contrat précaire dans les administrations, comme dans l’enseignement. Cette précarisation se fait en silence depuis de nombreuses années parce que les vacataires ont peur. Ils craignent de ne pas être renouvelés les années suivantes et donc de perdre des revenus. Ils craignent de ne pas être titularisés un jour. C’est notamment le cas de Camille, le porte-parole du collectif « vacataires.org », qui a volontairement changé son prénom pour rester anonyme afin que son activisme n’entrave pas la possibilité qu’il obtienne un poste un jour.

J’ai été de ceux-là pendant cinq ans. De 2006 à 2011, j’ai été ce qu’on appelle communément un chargé de TD, ou plus précisément comme le stipulait mon contrat « un chargé d’enseignement vacataire ». En réalité, j’étais plutôt « un bouche-cours professionnel » c’est-à-dire celui qu’on appelait lorsqu’il y avait des cours qu’aucun enseignant statutaire ne voulait assurer. À l’époque, je donnais 40 heures de cours par semaine et signait une vingtaine de contrats par an. Dans une certaine mesure, j’étais le type d’enseignants qui faisait rêver les libéraux. Celui qui n’était pas fonctionnaire. Celui qui était rémunéré à la tâche. Celui qui n’avait pas de congés payés. Celui qui n’avait pas droit aux allocations chômage. Celui qui n’avait pas le luxe de faire grève. Cinq ans avant qu’Uber ne s’installe en France, séduisant au passage des politiques, comme notre Président qui a théorisé « l’ubérisation de l’économie », sa logique existait déjà dans le fonctionnement de l’université.

Le Vacataire, Expérience vécue de la précarité à l’université, Stock,
198 pages, 19,50 €


Par Thomas Porcher