Kiddy Smile, va-t-il rendre la banlieue queer ?

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Membre actif de la communauté « voguing » parisienne, le jeune producteur de house fait vibrer les banlieues d’une énergie nouvelle, résolument queer. Avec une longueur d’avance ?

Deux mètres, plus de 100 kg. « Je ne rentre dans aucune case parce qu’il n’y a pas de case assez grosse pour moi », lance d’emblée Pierre-Édouard, mieux connu sous le nom de Kiddy Smile, lorsque nous le rencontrons autour d’un Club-Mate et d’un sandwich aux gambas au bar À La Folie, parc de la Villette.

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Voguing

Si la silhouette impressionne d’abord, le sourire enfantin rassure. Kiddy Smile porte bien son nom. « Performeur, vocaliste, producteur. Dans cet ordre-là », précise-t-il d’une voix douce. Après un premier EP, Enough Of You, sorti sur son propre label (Neverbeener Records) en mars dernier, ce Parisien de 30 ans a surtout fait parler de lui cet été en sortant le sulfureux « Let A B!tch Know ». Cinq minutes 37 de house sensuelle, inspirée des dancefloors 90’s, avec son clip mettant en scène des « jeunes de banlieues » en perruques qui dansent, comme possédés, sur fond de barres d’immeubles et de voitures en flammes. La sexyness raffinée, l’extravagance des poses et la queen-attitude – on reconnaît l’esthétique entre mille : c’est celle du « voguing », cette danse née dans la communauté gay afro et latino- américaine du New York des années 70…

Mais que vient-elle foutre en 2016 dans les cages d’escaliers de nos cités franciliennes ? « Quand on dit que les jeunes de banlieues ne sont pas assez représentés, c’est faux. Il y a pas mal de films ou de chansons qui parlent d’eux. Mais personne ne parle de la vie de ces jeunes, noirs et homosexuels, que j’ai voulu montrer. » Parce que Kiddy en connaît un rayon sur cette vie-là. Originaire d’une cité de Rambouillet, dans les Yvelines, lui aussi traînait en bas des immeubles, cachait du shit avec ses potes et tirait des trucs à l’étalage – mais il aimait les garçons. « Tous ces codes qui rendent ces gens très fiers de faire partie d’un quartier, quand tu es homosexuel, tu dois les abandonner. Tu es doublement en marge : en marge de la société parce que tu habites dans une cité, et en marge de ton propre quartier à cause de ta sexualité. Tu dois toujours te faire tout petit. Et si tu sors de ton placard pour assumer ton homosexualité, tu dois quitter là d’où tu viens. Tu ne peux jamais être complètement toi. » En portant l’héritage voguing issu des ghettos, il se met à rêver d’une réconciliation de ces minorités apparemment incompatibles.

Casting pour Madonna

C’est grâce à la danse que l’ado traversa le périph’ pour découvrir un autre monde. Dès ses 14 ans, il s’aventure dans les clubs parisiens pour participer à des concours de hip-hop – ce qui l’amène à goûter aussi aux plaisirs de la musique électronique. « C’était à l’époque de Justice, Kanye West et Daft Punk. Normalement, les gens de couleur ont rarement accès à ces soirées dites de hipsters, mais on y allait parce qu’on nous bookait pour danser. C’est comme ça que j’ai commencé à sortir, à en vouloir plus. » Après une formation de danse contemporaine à  l’Académie internationale de la danse qui le laisse espérer une belle carrière, il se casse la cheville, passe un an à l’hôpital, subit une greffe osseuse qui lui évite de perdre sa jambe. Alors qu’il est encore en période de convalescence, il participe à un casting pour danser pour Madonna et passe toutes les étapes avec succès jusqu’à ce qu’on lui annonce que « physiquement, ce serait difficile ». C’est le déclic : « Je me suis dit que j’en avais assez d’être du décor qui bouge. J’avais aussi des choses à dire. »

Alors naît Kiddy Smile. Le garçon se met à produire sa propre musique, s’inscrivant assez naturellement dans la house music des maîtres de Chicago Marshall Jefferson ou Robert Owens : « Il y avait quelque chose d’authentique et de spirituel dans cette musique des années 90, qui est difficile à retrouver aujourd’hui. Tu vois ce morceau d’Erick Morillo où il dit “House music is a feeling” ? Ce n’est pas une technique ou un genre, c’est l’âme que tu y mets qui compte. » Sans background musical, squattant d’abord les boîtes à rythmes et le studio de ses potes, Kiddy s’inspire de cette époque pour produire « de la musique qui fait danser les gens – ou au moins bouger la tête » : lignes de basse sexy, beats enlevés, vocals mélancoliques mais dansants, une signature brut et pop à la fois.

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Lors d’une soirée gay aux Bains Douches en 2011, il fait la rencontre de Lasseindra Ninja (aujourd’hui figure maîtresse du voguing parisien, ndlr) : « Elle revenait de New York et m’expliquait qu’elle était en train de créer un mouvement autour du voguing à Paris. Elle cherchait des endroits pour organiser des compétitions, les “balls”. J’ai fini par comprendre que c’était bien plus qu’une danse : c’est une communauté avec des enjeux et des revendications…

SARAH DIEP / PHOTOS SYLVAIN LEWIS