JONATHAN COHEN : « À CORPS PERDU ! »

Jonathan Cohen

Star déconnante de La Flamme, Jonathan Cohen change de registre et incarne un fantôme amoureux dans la rom-com fantastique L’Âme idéale. Le pari audacieux d’un comédien qui quitte la scène burlesque pour explorer les territoires du cœur et… de l’au-delà.

Depuis les séries cultes Serge le mytho, La Flamme ou Le Flambeau, Jonathan Cohen s’est imposé comme le roi de la comédie zinzin, une figure incontournable du cinéma made in France. Qu’il campe un rôle secondaire, comme dans Tout simplement noir, ou qu’il porte un film sur ses épaules (Une année difficile), la tornade Cohen dévore l’écran avec sa tchatche, son naturel, et cette énergie qui dynamite tout sur son passage, tel un Will Ferrell sous amphétamine. Alors qu’il aurait pu se contenter d’exploiter son fond de commerce comique, Cohen navigue avec aisance entre grosses machines (Astérix & Obélix : l’Empire du Milieu) et petits films indés comme En même temps du duo Kervern-Delépine. Avec un talent rare, il écrit, réalise parfois et produit ses propres projets au sein de sa société, Les Films entre 2 & 4, fondée avec deux amis et rachetée depuis par le groupe Mediawan.

À 45 ans, cet admirateur de Shakespeare, Racine, grand amateur du cinéma iranien et de mode venue du Japon, négocie un virage inattendu, comme Jim Carrey avec le sublime Man on the Moon. On le retrouve ainsi au sommet de l’affiche de L’Âme idéale, une rom-com aussi réussie qu’émouvante dans laquelle il incarne… un fantôme, amoureux de Magalie Lépine-Blondeau, merveilleuse comédienne canadienne vue dans Simple comme Sylvain. Jonathan Cohen donne à voir une palette insoupçonnée, se révèle un acteur tout en nuances, sensible, touchant, capable de porter des émotions plus graves et poétiques dans ce feel good movie, parfait pour Noël, qui devrait lui ouvrir de nouveaux horizons.

Marc Godin : Bon c’est quoi votre problème avec le prénom Marc, c’est un très beau prénom, quand même !
Jonathan Cohen : (Il se marre) Vous n’êtes pas le seul à le porter, Marc, vous êtes nombreux…

Vous avez commencé dans l’immobilier, puis vous avez vendu des fenêtres. Qu’est-ce qui s’est passé ?
J’adore (rires). Il s’est passé que mon meilleur ami, qui avait eu le courage de se lancer avant moi dans le théâtre, m’a emmené un jour à son cours. Et là, coup de foudre total !

Vous n’aviez jamais envisagé cela auparavant ?
Il y avait une zone de mon cerveau qui ne pouvait même pas imaginer que c’était possible. Des potes me disaient « Tu devrais faire du théâtre », et je répondais invariablement « Ce n’est pas parce que je fais quatre blagues à table que je suis comédien. » J’avais conscience que c’était un métier. Et puis j’ai tout lâché : j’ai démissionné, je me suis lancé à corps perdu. La vie a été clémente : j’ai passé le Conservatoire et tout s’est enchaîné assez vite.

Clémente, je ne sais pas. Vous avez été vraiment pro-actif. En une vingtaine d’années, vous avez tourné près de cent films, séries et télé !
Ah bon ?

Vous avez initié les séries cultes Serge le mytho, La Flamme ou Le Flambeau, écrit les scénarios, réalisé des épisodes…Vous avez été vraiment au charbon.
Ouais, c’est vrai. J’ai toujours aimé initier les projets. Même quand j’étais au Conservatoire, je montais des pièces. J’ai toujours aimé créer. Quand on est à l’origine des projets, ça demande d’être plus créatif encore, puisqu’il y a beaucoup de responsabilités sur l’ensemble. Et j’ai toujours aimé cela.

Tout cela nourrir votre amour de la connerie ?
Absolument, et c’est une connerie que j’avais envie de voir à la télé française. La Flamme est l’adaptation d’une série américaine (Burning Love, ndlr) dont j’étais fan. J’avais envie de cet humour-là chez nous.

On n’a pas l’habitude de voir autant de dérision ici, surtout avec un personnage principal qui est un gros con.
C’est la force du truc.

Votre héros, c’est Will Ferrell ?
Oui, bien sûr, puis il y a Steve Carell, évidemment, avec tous les The Office. Comme lui, Marc est une espèce d’idiot qui vit dans un monde parallèle, et les autres le ramènent au réel. C’est jubilatoire car ce personnage peut tout dire, tout faire, il ne se rend pas compte, il ne veut faire de mal à personne.

Vous jouez autant dans de grosses machines comme Astérix, où le Toledano-Nakache, mais aussi dans de petits films indépendants de Quentin Dupieux, du duo Kervern-Delépine, ou encore dans Les Pistolets en plastique. Vous pourriez vous contenter d’engranger les cachets mais vous prenez des risques…
Je suis un amoureux de ce cinéma-là. Je suis amoureux du cinéma de Kervern et Delépine depuis leurs débuts. Je suis fan du metteur en scène des Pistolets en plastique, Jean-Christophe Meurisse, le fondateur des Chiens de Navarre, une troupe théâtrale que j’aime énormément. Quand il m’a appelé, je lui ai dit oui, avant même de savoir ce qu’il me proposait. Je voulais vivre l’expérience avec lui, comme avec Kervern ou Dupieux. Ces gens ont un univers et c’est très rare. C’est ce que je recherche : des auteurs qui ont une vision, un regard sur le monde. Du coup, moi, je suis très content d’être invité chez eux.

Vous n’êtes pas trop cher pour eux ?
Pas du tout ! Pour eux, je suis le mec le moins cher. Je m’en fous de l’argent dans ces cas-là, il n’y a que le kif.

Avec Benjamin Bellecour et Jean-Toussaint Bernard, vous avez monté votre boîte de prod, Les Films entre 2 & 4, rachetée en 2025 par Mediawan.
Jean-Toussaint et Benjamin sont des amis de très longue date, très chers. Un jour, avec Benjamin, comme on essayait d’initier nos projets, on s’est dit que ce serait pas mal d’avoir une petite structure. On a fait ça au début pour avoir une espèce de garantie artistique sur nos projets, parce que très souvent, tu peux te faire vampiriser ton bébé et tu n’as plus aucun regard. Il ne s’est rien passé pendant un bon bout de temps (rires) et puis, il y a eu La Flamme qui a marqué le début réel de la boîte. Mais on n’y connaissait rien et on a appris en faisant que des conneries, puis en n’en faisant un peu moins… Aujourd’hui, cela fait dix ans que cette boîte existe.

Votre nouvelle production, c’est L’Âme idéale.
On a déjà produit des séries, mais là, c’est notre premier film cinéma, donc c’est une émotion particulière. On entre dans la cour des grands ! Il faut donner envie, faire venir les spectateurs… C’est un autre monde. 

C’est Jean-Toussaint qui a écrit le scénario ?
Il est à la base du projet. Il a eu l’idée originale, puis celle d’engager Alice Vial comme coauteur et réalisatrice, alors qu’elle n’avait jamais mis en scène un long-métrage. Avec Alice, on a travaillé ensemble à développer le projet, puis, elle s’est totalement approprié l’histoire, et elle m’a proposé le rôle principal.

Vous n’étiez pas très chaud au début ?
Non. Je ne m’envisageais pas dans une comédie romantique. Je voyais des personnages, des acteurs plus jeunes. Alice a dû me convaincre à plusieurs reprises pour que je le fasse. Quand elle a développé le projet, il y avait quelque chose qui allait un peu au-delà de la comédie romantique, avec des questions existentielles qui me parlaient énormément. Quand j’ai lu le scénario finalisé et que Magalie Lépine-Blondeau est entrée dans le projet, je ne me suis plus posé de questions.

Jonathan Cohen
UN COUPLE PARFAIT
Malgré son scénario casse-gueule, L’Âme idéale fonctionne à 300% grâce à l’alchimie parfaite entre Jonathan Cohen, tout en nuances et la sublime Magalie Lépine-Blondeau, révélée en France dans Simple comme Sylvain.


Mais votre registre, c’est quand même le burlesque. Vous aviez envie de faire votre
Eternal Sunshine of the Spotless Mind, comme Jim Carrey ?
On me connaît pour la comédie, mais j’ai aussi fait des choses plus dramatiques, moins connues. L’année dernière, j’ai tourné dans Ma mère, Dieu et Sylvie Vartan. J’aime tout jouer, mes goûts sont très éclectiques, il y a des cinémas différents dans lesquels j’ai envie de m’inscrire, que j’ai envie de défendre. C’est peut-être ce que l’on appelle la maturité…

J’ai l’impression que vous prenez un virage. Je vous vois bien dans un polar ou dans n’importe quel rôle dramatique.
Moi aussi ! Les projets arrivent. La vie est courte et je pense que j’ai envie d’explorer d’autres territoires.

L’Âme idéale n’est pas un film évident. C’est une rom-com, mais en même temps, le film aborde des thèmes comme la mort, la reconstruction, la seconde chance… C’est entre Sixième Sens et une comédie romantique britannique.
On savait que c’était casse-gueule, tellement il y a de genres, de thématiques… Il y a des pièges à tous les coins de rue, à toutes les pages, il fallait que le spectateur y croit, trouver le bon ton de la comédie, du drame… C’était un défi de passer d’un genre à l’autre. Mais dès la lecture, le film touchait. Il interroge notre intimité, nos idées sur la mort.

Très vite, on comprend (attention SPOIL) que vous êtes… un fantôme. Et ça fonctionne !
Il faut prendre des risques. C’est super si on peut proposer au public des choses un peu nouvelles, un peu risquées. Les Anglo-Saxons maîtrisent mieux ce genre de films, comme Ghost ou L’Aventure de madame Muir. L’Âme idéale fait partie des films exigeants qu’on avait envie de voir. On avait aussi la chance d’avoir Alice avec nous. L’histoire la touchait profondément, elle avait quelque chose à raconter et de fort à donner. Elle avait à cœur que le film soit tendre, profond, que ce ne soit pas une blague ou juste un « high concept » comme on a l’habitude de voir.

Vous partagez l’écran avec Magalie Lépine-Blondeau. Comment est-elle arrivée sur ce projet ?
C’est un peu magique. J’avais vu Simple comme Sylvain. Je l’avais trouvé magnifique, et j’avais trouvé Magalie magnifique dedans. Par le plus grand des hasards, je l’ai rencontrée un soir chez des amis. Je lui ai dit à quel point j’avais aimé le film et on avait après beaucoup ri ensemble. Par un autre hasard, on commençait au même moment avec Alice à réfléchir au casting. Et il se trouve qu’elle avait rencontré Magalie une semaine avant !

Vous présentez le film en ce moment en province. C’est important la promo ?
Très ! Ce film-là, avant qu’on le montre, on ne savait pas trop comment il allait être reçu. On ne pouvait pas imaginer la réception du public… Et c’est fou, le film nous dépasse ! Les spectateurs sont touchés, bouleversés, parce que chacun a un rapport très intime avec ces sujets-là. Et puis, quand on fait des débats après la projo, les gens ont besoin de parler, de témoigner. Des spectateurs nous ont dit qu’ils voulaient appeler leur femme ou leur mari pour leur dire qu’ils les aimaient. C’est assez magnifique à vivre.

Le film va sortir face à Avatar 3, le 17 décembre.
Ouais…

Ça ne va pas être trop compliqué ?
Avatar est une locomotive complètement folle. Je serai le premier à aller le voir, évidemment. Mais c’est super d’avoir une telle locomotive et notre film représente une alternative originale, avec une facture qui n’est pas celle qu’on a l’habitude de voir, avec des émotions typiques de Noël. C’est le bon timing. On a besoin de ce cocon, de se réchauffer un peu le cœur. Avoir le cœur au chaud en hiver, je trouve ça beau. Je pense que ce film peut faire du bien.

Vous avez une passion pour les grands textes et il paraît que vous lisez Shakespeare ou Racine le dimanche.
Mais que le dimanche (rires) ! Effectivement, j’y reviens souvent.

Ça veut-il dire qu’on va vous revoir sur les planches ou à la Comédie-Française ?
C’est mon rêve le plus vif, Marc. Il faut du temps, et je ne l’ai pas pour l’instant, mais j’ai besoin de revenir au théâtre.

Avec des classiques comme Hamlet ou Britannicus, vraiment ?
Peu importe la pièce : c’est la vision du metteur en scène qui importe. Au théâtre, j’ai eu la chance de travailler avec des gens exceptionnels et j’ai envie de retrouver cela, des artistes qui ont quelque chose à dire sur les textes et qui savent les mettre en forme.

Et côté comédie américaine, toujours fan d’Adam McKay, Jim Carrey, Sacha Baron-Cohen, Danny McBride… 
Absolument. En ce moment, il y a trois gars que j’adore, qui s’appellent les Please Don’t destroy, vus au Saturday Night Live pendant deux ou trois saisons. J’ai trouvé que c’était un souffle nouveau. Ils avaient leur petit format de trois, quatre minutes, et ils étaient hilarantissimes. Vous pouvez trouver ça sur YouTube.

Vous aimez aussi le cinéma iranien et des réalisatrices comme Justine Triet ou Katell Quillévéré.
Le cinéma iranien est, pour moi, le plus proche de la tragédie grecque, avec des thématiques qui me transpercent. J’adore Triet, Quillévéré, mais aussi Monia Chokri, Rebecca Zlotowski… Il y a une âme dans leurs films. C’est tellement bien écrit ! J’aimerais faire partie de leur cinéma.

Parmi vos projets, on parle d’Astérix & Obélix : les douze travaux, un film live dont vous seriez metteur en scène ?
C’est mon Astérix préféré, mais les gens se sont un peu emballés. Pour l’instant, on l’écrit, on travaille, on rêve avec Jean-Toussaint et d’autres auteurs.

Vous allez jouer Astérix ?
Non, pas du tout, je ne sais même pas si je jouerai dedans ! L’avenir du projet est encore flou, ces films nous dépassent. Mais j’adore l’écrire.

Il y a aussi Marc, le film ?
J’ai bossé dessus, mais c’est en stand-by car c’est compliqué avec les calendriers de tous les acteurs. Du coup, Astérix a pris le dessus en termes de développement. Mais oui, un jour, on le fera, c’est sûr.

Et dans l’immédiat ?
On va me revoir bientôt, mais pour l’instant, c’est compliqué d’en parler. Je vais tourner cette année avec des gens dont j’admire profondément le travail.

Est-ce que l’on vous reverra un jour dans une série comme Le Flambeau ou La Flamme ?
Je participe à une série Netflix intitulée Les Lionnes, écrite et réalisée par Olivier Rosemberg, un des coauteurs de Family Business. C’est l’histoire d’une bande de femmes qui font des braquages et je joue au côté de François Damiens, Rebecca Marder…

Vous tournez quatre ou cinq films par an. Qu’est-ce qui vous fait courir ?
J’essaie de faire des choses qui m’amusent, que j’ai vraiment envie de voir sur un écran. Mais après, il est vrai que mes journées sont longues…. J’aime écrire, me dire que je vais réaliser, accompagner des artistes dans leur travail, jouer, produire… J’aime beaucoup de choses dans ce métier, en fait !

L’Âme idéale, en salles le 17 décembre


Entretien Marc Godin
Photos Guillaume Boucher
Stylisme Anne-Sophie Da Fonseca