JOEY STARR : « TU VEUX UNE CLAQUE DANS LA GUEULE TOI ? » NOTRE ENTRETIEN CULTE DU PRINTEMPS 2015…

Joey starr technikart interview

Mais qu’arrive-t-il à Joey « Jaguarr » Starr ? Jadis accueilli à bras ouverts par un show-biz en quête de street-credibility, le voilà aujourd’hui villipendé par ce même milieu décidément très inconséquent. Le grand seigneur du hip-hop français a choisi Technikart pour mettre les points sur les i. Sans prendre de gants.

C’était donc un jeudi, au lendemain de la sortie des Gorilles. Nos smartphones nous indiquent l’heure de l’arrivée chez Joey Starr, dans ce paisible bout du XV ème arrondissement : 14h30. Et celle de notre départ, fracassés : 20h00.
Entre les deux, une interview à bâtons rompus pour tenter de comprendre comment l’artiste à la discographie irréprochable se retrouve avec cette filmo plus proche d’un Galabru 70’s que celle des ses idoles Ventura, Gabin et « Bébel »… Comment l’homme de NTM – ce groupe radical, punk, intègre jusqu’au bout – se retrouve à enquiller les nanars hypertrophiés (Les Seigneurs), les bidules improbables (un film de Richard Berry tiré d’un bouquin de FOG ?) et, il est vrai, quelques sorties Cahiers-compatibles (un Mouret, deux Maïwenn)… Et pourquoi le cinéma français a tant de mal à lui proposer des rôles dignes de ce nom.
Quant au récent lapin posé à « l’homme en noir », il nous a surtout rappelé combien nos amis les journalistes, toujours partants pour profiter de l’aura bad-boy de certains bons clients afin de pimenter leur émission ou leur publication, sont les premiers à jouer les vierges effarouchées dès la moindre incartade.
Avant de démarrer l’interview, notre hôte, qui se fout de ces broutilles comme de son premier stick, tient à nous faire écouter les morceaux qu’il vient d’enregistrer avec le jeune « toaster » Natty pour un futur album, Carribean Dandee. Des chansons ? Non, trois bâtons de dynamite aromatisés au rhum qu’il a décidé de nous jouer in extenso et à tue-tête. On est chez lui, après tout.
On écoute tout en scrutant la piaule, à la recherche d’indices. On note les livres, posés un peu partout. Une monographie sur Jacques Tati, un livre d’entretiens de Pierre Richard, un vieux Artaud bien flingué… Décidément, le maître des lieux mérite mieux que toutes les panouilles suscitées.
Ah oui, une dernière précision, elle a son importance. Nous nous sommes rendus à l’interview avec deux (bonnes) bouteilles de rhum, marque Mezan, de dix ans d’âge. Quand nous sommes repartis, à 20:00 donc, elles étaient quasi vides.

Joey Starr Technikart


Bonjour. Vous…
(Il coupe.) On se tutoie, non ? C’est plus simple. On parle de quoi ?

De votre carrière dans le cinéma.
Allez-y, les gars.

Depuis Le Bal des actrices en 2009, quand on te voit dans les médias, c’est à chaque fois pour faire la promo de films plutôt mainstream : des comédies populaires, le Beigbeder, Les Gorilles ces jours-ci… Tu as l’impression d’être devenu un notable du cinéma français ?
Un notable ? Mais va changer ton slip toi !

Tu as joué dans un Tonie Marshall, à deux reprises pour Maïwenn…
Au départ, je pensais que Maïwenn se foutait de ma gueule. Je devais composer un morceau pour Charlotte Rampling pour la BO du film. J’étais assez flatté : c’était la première fois qu’on me demandait ça. Je lui dis : « Ce sera prêt dans deux semaines ». Bien sûr, deux semaines après, je n’ai rien foutu. Mais à chaque fois qu’elle m’appelle, je lui dis : « C’est dans les tuyaux ». Un jour, j’ai rendez-vous avec elle, elle veut savoir où j’en suis. Alors pour l’enfumer un peu, pour l’attendrir, je ramène mon fils de la crèche au rendez-vous. Et là, Maïwenn me dit : « Il manque quelqu’un pour jouer mon mari. Et quand je te vois avec ton fils, c’est exactement ça. » Et me voilà embarqué pour un mois de tournage…

Sans avoir rien demandé…
C’était une première fois, j’y allais en dilettante. Mais à partir du moment où on me propose de faire des choses fortes, je ne les fais pas à moitié. J’étais arrivé sur le tournage les mains dans les fouilles, j’étais là avec mon bagout. On me parle, je réponds.
Mais quand je regardais le rendu à l’écran, je me disais : « Il se passe quelque chose, on peut y croire ». C’était la première fois.

Depuis, tu as surtout participé à de grosses productions…
Quand tu as l’opportunité d’avoir deux amours, comme moi (la musique et le cinéma, ndlr.), tu n’es pas comptable à ce point-là de: « Tiens, il me faut un film populaire. » C’est sûr que, de temps en temps, effectivement, je me dis : « Bon, ça sent le chien un peu, mais on va y aller parce qu’on a besoin de pépètes ». Mais attends, mettons-nous d’accord, je vous rappelle un truc : j’estime que je fais mon boulot assez sincèrement pour ne pas avoir de comptes à rendre à qui que ce soit. Je ne dis pas que je frôle à chaque fois la perfection, ou qu’il n’y a jamais rien à redire sur ce que je fais. Mais ce genre de truc : « Ouais… Tu l’as fait pour la thune », je vais te regarder dans les yeux et te dire: « Bah ouais, pourquoi ? » Je n’ai aucun problème avec ça.

Et un film comme Les Seigneurs, tu es fier d’y avoir participé ?
Fier, c’est peut-être un grand mot, mais en tout cas, je n’ai aucun regret. Le film a plus de défauts que de qualités mais, au vu du casting, le public a répondu comme il fallait. On a un casting à un milliard de dollars – j’exagère – mais ça a fait deux, trois millions d’entrées. La réponse du public a été juste par rapport à ce que valait le film. Et regarde, quand il est passé à la télé dimanche, il a fait un carton.

On te pose la question sur celui-là en particulier parce qu’il incarne à lui seul tout ce que dénonçait Vincent Maraval (le producteur à la tête de Wild Bunch, ndlr.), dans sa tribune : le film où le budget va surtout dans les poches des têtes d’affiche.
Ouais, l’argent a été pour les acteurs, mais pour la technique aussi – qui n’a pas été exceptionnelle pour autant. Mais tu sais – et c’est valable pour tous les films -, la lecture du scénario n’est pas une science exacte. Ce que tu lis ressemble rarement au résultat fini. À l’inverse, il peut arriver que le scénar d’un film ait des carences, mais que le metteur en scène te le raconte d’une telle façon, que tu te dis : « Ah ouais putain, là je vois. » Quand tu signes, tu ne peux pas toujours savoir.

« Pour certains, je m’appelle encore “Nique Ta Mère”. Pour eux, je suis toujours une espèce de banlieusard pourri »


Donc pour ce genre de film à gros budget, tu ne dis pas oui de manière cynique ?

J’y suis allé par ce que j’avais envie de tourner avec Ramzy, qui pour moi est un super acteur – bien que ce soit un boucan au niveau de certains de ses choix ! (Rires.) Il y avait deux, trois paramètres sur lesquels j’étais partant. Aujourd’hui, j’avoue que si on me proposait de nouveau la même chose, mon regard ne serait pas le même.

Il y a quinze ans, Technikart t’interviewait sur ta participation à l’émission 60 jours 60 nuits et tu te disais content d’avoir réussi à « braquer » Canal, la chaîne qui la diffusait. Quand on négocie avec une grosse prod’ dans le cinéma, ça peut s’apparenter à un braquage ?
Je pense très sincèrement que l’imposture paie, et que ça ne concerne pas que moi (Rires.) Arriver à ses fins, c’est faire des choses qui te plaisent. Et derrière, que ça douille si possible. Donc il y a toujours un petit aspect « braquage ». Mais je n’ai pas non plus ce truc d’aller voir le réal’ pour lui demander des jours de tournage en plus, sous couvert de : « Je crois que le personnage devrait…» etc. Ça, c’est du vrai braquage ! Si je travaille avec un mec, je respecte trop sa création pour lui faire ça.

Ça existe vraiment ça, chez des acteurs installés ?
Ça existe. Tu imagines, sur un film comme Les Seigneurs – je ne parle pas de Franck Dubosc ou de José Garcia, José c’est une vraie personne (on comprend par élimination qu’il doit faire référence à Gad Elmaleh, ndlr.)… On est quinze à attendre que Monsieur termine son petit sketch. Déjà qu’on joue sur un stade à attendre la brume trois heures pour pouvoir tourner. Ou Monsieur qui veut arriver en hélico sur la petite île, et il faut lui expliquer que : « Non, il n’y a que les urgences qui viennent en hélico ». Ce sont des petits trucs, mais à chaque fois j’ai envie de dire : « T’es pas content d’être là en vrai ? Qu’est-ce que tu vas faire ta sucrée ?! » (Rires.)

Donc pour en finir avec Les Seigneurs, même sur un film comme celui-là, tu ne te dis pas : « Celui-ci, c’est pour les impôts » ?
J’aimerais bien pouvoir me dire ça de temps en temps. Mais non : comme on ne me fait pas assez de propositions, je ne peux pas.

Vraiment ? On a l’impression que tu es énormément sollicité…
Ben non, ça c’est de l’enfumage. Sérieusement. Je ne suis pas en train de faire ma victime, je vais juste vous donner un exemple. Je devais tourner dans une série anglaise – une adaptation de Dickens avec Cécile de France et Éric Elmosnino – que je n’ai finalement pas faite parce que TF1 Cinéma est montée, au niveau de la production, avec plus de thunes que prévu. Et de fait, ils ont réclamé des acteurs TF1 : d’un seul coup, le casting, ça devient Patrick Bruel et Mimi Mathy. J’exagère, mais c’est quasiment ça. Et moi, je ne corresponds plus. Voilà. J’avais un agent encore l’année dernière qui me disait : « Je comprends pas, t’as été nommé deux fois aux César, t’as eu le prix Patrick Dewaere 2012, et pourtant il y a des gens qui ne considèrent toujours pas comme un acteur. » Pour certains, je m’appelle encore « Nique Ta Mère ». Pour eux, je suis toujours une espèce de banlieusard pourri.

On a du mal à le croire. Des films sont montés sur ton nom, tu fais partie des Français les plus connus…
Mais c’est pas parce que t’es connu que t’es apprécié ! Attention, là on parle de TF1. Quand Max, qu’on a fait avec Mathilde Seigner, est passé sur Canal, il a cartonné. Après, je ne sais pas exactement comment ça se passe. Ou si, je subodore des choses, mais je ne vais pas faire ma victime non plus. Je suis juste en train de dire que je vois de super projets passer, et j’ai des gens qui sont très compétents qui me représentent (l’agence Artmédia, ndlr.) qui me disent: « Ils sont frileux te concernant ». Et un truc comme l’autre pied carré d’Ardisson la semaine dernière, qui dit : « Il est défoncé, ne le prenez pas sur vos films », ça ne joue pas en ma faveur. Les gens ne pratiquent pas souvent le second degré me concernant.

Joey Starr


Tu penses vraiment que ce qu’a dit Ardisson peut avoir un impact ?

Ah ouais. J’avais un truc dans les tuyaux et c’est mort. J’ai vu le type avec qui je devais travailler et il s’est plaint uniquement de ce que disait Ardisson. D’un feu de paille, tout de suite il y a des gens qui se disent : « Non ». Alors qu’Ardisson était content de Max: le film a fait un bon 500 000 (Ardisson est coproducteur du film, ndlr.) Mais bon, j’ai compris assez vite le truc propre au cinéma, le « un jour c’est toi, un jour non ». Le game du truc, je l’ai assimilé.

Tu disais dans une interview être capable de faire un film pour des clopinettes si le projet te plaisait suffisamment. Ce cas de figure s’est déjà présenté ?
Le seul dernièrement sur lequel je suis allé uniquement pour faire du cinéma et où je n’ai pas pris – parce que je prends quand même un bon cachet quand je monte sur un film -, c’est celui d’Emmanuel Mouret (Une autre vie, sorti en 2014, ndlr.)

Pourquoi ce film-là ?
Quand je l’ai rencontré déjà, j’ai cru qu’il était bègue. Il m’a raconté son film: c’était dur. Je ne sais pas si vous avez déjà discuté avec lui, mais quand il parle, ça ne sort jamais vraiment directement. Je le regardais, j’avais envie de lui mettre une claque derrière le crâne pour que ça vienne. Et le mec a quand même réussi à me vendre son truc. J’en ai ri, alors que le film n’est pas drôle du tout. Et je me suis dit : « Je veux bosser avec ce mec-là ». Avec ce type qui est un BCBG marseillais, avec son foulard et sa petite veste, très concentré – il est d’une patience de pot d’anti-rouille – et bah putain, on a fait du vrai cinéma. Il est fou, Mouret. C’est un malade, un doux dingue. Je pense qu’à partir du moment où tu penses à moi pour un rôle, c’est que t’as mal quelque part ! (Rires.) Tout ça pour te dire qu’il n’y a aucune routine qui s’inscrit. Et excusez-moi, mais Polisse, je le tourne alors que je sors de sept mois à Fleury-Mérogis. Le rôle, quand elle me l’a proposé, j’étais au parloir. En plus, on a dû annuler une tournée (au moment de sa condamnation, ndlr.), rendre de l’argent, virer des gens… Donc Polisse, au départ, je l’ai accepté parce que j’avais besoin de thunes. Et regarde l’histoire. Comme quoi, faut pas faire sa fine bouche. Parce que tu peux te retrouver dans des trucs qui en valent la peine.

« Polisse, au départ, je l’ai accepté parce que j’avais besoin de thunes. Regarde l’histoire. Comme quoi, faut pas faire sa fine bouche. »


Depuis plusieurs années, on a l’impression que ta carrière d’acteur occulte complètement celle de musicien. Tu ne trouves pas ça dangereux ?

Ce qui est dangereux, c’est quand les gens te disent : « Ah mais tu fais encore de la musique ? » « Non, non, je suis speakerine, enculé ! » Depuis que j’ai commencé ma carrière d’acteur, j’ai fait deux albums et j’ai tourné pendant trois ans. Après, c’est vrai qu’au sortir de NTM, c’est pas évident d’exister ou de faire exploser quelque chose derrière. Mais je vis du truc qui me motive le plus, c’est-à-dire la scène. Ça fait moins de bruit que quand tu sors un album et que tu fais cinq soirs à Bercy, mais je joue quand même. Je donne des concerts, je serai sur la grande scène des Vielles Charrues cet été, je n’ai jamais arrêté… Après, il y a des gens qui le vivent vraiment plus mal que moi, ce truc d’avoir été un jour énorme.

Comparé à tous les mecs de l’âge d’or du hip-hop français, tu t’en sors plutôt bien.
Ils sont manutentionnaires, c’est ça que tu veux dire ? (Il se rapproche du dictaphone.) Je rigole.

Tu n’as jamais connu de traversée du désert.
Non, je bosse quoi… Si j’ai une traversée du désert, c’est autre chose. Comme ce qui m’arrive en ce moment:je me sépare d’avec le mec avec qui je bossais depuis vingt ans (son manager Seb Farran, ndlr.), et qui ne travaillait déjà plus vraiment pour moi depuis pas mal de temps. Depuis qu’il est devenu manager de Johnny, mon nom faisait bien pour la vitrine, mais derrière… Donc séparation douloureuse – parce que c’est le parrain de mes enfants etc. -, mais ce n’est pas un truc qui fait du bruit. Je le vis moi tout seul.

Et en ce moment, tu n’as aucun projet cinéma ? On nous a dit que tu tournais Kaïra 2 avec Ramzy.
Ben non, je me suis fait éjecter du projet. Le réal’, Franck Gastambide, nous a fait un truc de gonzesse, comme quoi je n’avais pas un truc assez inscrit au niveau « humour populaire ». Et le mec, il ne prend même pas son téléphone pour te le dire. On m’a préféré Gad Elmaleh. Je n’ai rien contre lui, mais voilà…

Les réals doivent encore se battre pour t’imposer ?
Certains le font. La metteuse en scène Stéphanie Murat, on se connaît depuis NTM, et elle a bataillé grave pour m’imposer sur son film (Max). Parce qu’elle était persuadée que je devais être acteur. C’était moi et personne d’autre. Je pensais que le plus dur serait de convaincre Mathilde, vu les propos qu’on lui connaît (« NTM, ils sont moches, ils sont sales », disait-elle en 2009, ndlr.) Elle a simplement dit : « Je veux voir ce qu’il a dans le froc ». Au bout du premier rendez-vous, l’alcool aidant, elle m’avait accepté. Avec Gérard (Depardieu, les deux ont tourné ensemble dans La Marque des anges de Sylvain White en 2013, ndlr.), pareil. On me disait : « Ça va le faire ou ça va pas le faire ».

Et ?
(Sourire narquois.) Pose une question et je te répondrai.

Gérard Depardieu ?
J’ai rarement vu ça… (Rires.) J’ai l’impression d’avoir rencontré notre Marlon Brando à nous. Gérard, c’est simple: il peut être très intelligent, très con, très sensible, très relou, très… très tout! Avec des petits travers qui sont juste géniaux. Je ne l’avais jamais rencontré et, avant le tournage, le réal’ vient me dire : « Tu sais, Gérard nous a dit que si ce n’était pas toi, il ne montait pas sur le film ! » Comme j’ai bien connu Guillaume [Depardieu] et que je connais bien Julie [Depardieu], il voulait juste me rencontrer. C’est Gérard : s’il a envie d’un truc, et s’il y a moyen de prendre un billet en même temps, bah voilà… Quand t’as tourné avec ce mec-là, il y a un truc qui s’éclaircit encore plus.

Joey Starr depardieu Technikart
Avec Depardieu (La Marque des anges, 2013)


Comment ça ?
Tu as des conversations de fond avec lui et entre deux anecdotes, il hurle en plein restau: « AHHH NOUNOURS ! VA M’CHERCHER DU VIAGRA ! » À la fin du tournage, les mecs venaient me voir, moi, pour que j’aille lui parler ! Je leur ai dit : « Non non ! Je ne ferai pas le go-between, là. Lui ne me fait pas peur, mais sa connerie, oui ! » (Rires.) Moi, à côté…

Tu disais qu’en tournant avec lui, « un truc s’éclaircit »…
On sort du car-loge, il y a une meuf qui passe faire son jogging et il lui dit : « Arrête de courir, tu vas te gercer la chatte ! » Au départ, tu te dis qu’il fait son « kakou ». Mais non : Monsieur est comme ça toute la journée. Et la minute d’après, quand ça tourne, eh bien, il y a son jeu. Le mec, il arrive, il en impose quoi. Si j’ai appris quelque chose sur ce film, c’est ça : ne jamais intellectualiser ce que tu es en train de faire, et de le faire avec ton bas ventre.

Et une fois le film monté, ça t’amuse d’en faire la promo ?
Ça dépend avec qui. Sur Les Seigneurs, j’ai demandé à la faire avec Ramzy. Pour Max, c’était avec Mathilde. On s’est encore découvert, elle ne me connaissait pas en promo. À chaque fois, elle me disait : « Ah putain, on sort de l’interview, on est bourrés, on a dit n’importe quoi… » Et moi: « Bah OUAIS ! » (Rires.) On est en confiance.

Comme aux César 2012 (quand Mathilde Seigner proposait à « mon Didou », le vrai gagnant selon elle, de monter sur scène alors qu’elle venait de remettre le prix du meilleur second rôle à Michel Blanc, ndlr.) ?
Ouais… Ce qu’elle ne sait pas, c’est que j’avais pris du MD

Pour supporter la cérémonie ?
Parce qu’il faut y aller quoi. Du coup, j’y étais avec mon petit frère et à un moment, on sent que ça monte trop fort, faut qu’on s’en aille. Entre-temps, on tombe sur Mathilde, on nous propose du champagne et on le « sucre » un peu quoi !

Vous lui mettez du MDMA dans son verre ?
Ah NOOON ! On va pas faire ça à Mathilde, t’es malade, toi ! On lui fait ça, elle explose sur scène ! (Rires.) Non, c’était du rhum.

« Tu veux une claque dans la gueule, toi ? Mais pourquoi je vous ai raconté ça ? J’y vais pas tous les ans sous MDMA ! »


Tu fais la nouba avec Mathilde Seigner, tu es représenté par Artmédia… Tu ne peux pas dire que tu ne fais pas partie de ce milieu.

Je dis ce que veux d’abord. Je suis obligé d’avoir un agent parce que je ne sais pas tout faire. Pour ce coup-là, je suis un artiste. Parler pépettes, c’est compliqué pour moi.

Aujourd’hui, tu te sens pleinement acteur ?
Peut-être que je le suis, j’ai deux petites plaques qui l’attestent. J’ai été nommé aux César deux fois. Peut-être que je devrais les mettre à l’entrée, devant le portail.

Et tu démarches les gens dont tu aimes le travail ?
Dès que je rencontre quelqu’un qui a fait un truc qui m’a plu, j’ai aucun problème à le lui dire. Le fait d’arriver devant quelqu’un et de lui sortir : « J’ai adoré ton truc », soit tu as une vraie conversation avec, soit ça s’arrête là. Ça permet de lire les gens. Le problème, c’est qu’ils pensent que je suis bourré. Alors que non : je profite de cet instant où j’extériorise un peu pour le dire.

Et cette réputation de mec qui fait trop la fête, elle fait de plus en plus peur aux producteurs ?
Le problème, quand tu prends certains acteurs, c’est que ça peut vite partir en zigzag. Tu ne sais pas trop à quoi t’attendre. Tout à l’heure on parlait de Gérard, c’est pareil. Donc de fait, à un moment donné, tu décides de mettre tes couilles sur la table, et certains réals le font. Ils rendent peut-être, d’un seul coup, encore plus aléatoire ce qui n’est déjà pas une science exacte au départ. Mais ça peut aussi être une valeur ajoutée, ils le savent. Pour autant, je n’arrive pas en me disant : « Oui, je suis une valeur ajoutée. » Je le sais, mais ça ne change rien à ma façon de travailler : j’y vais avant tout pour bosser. Effectivement, la donne a changé sur un truc : hier, j’y allais genre : « C’est cool, je ramène mes potes. » Aujourd’hui, j’y vais parce que je j’ai des trucs à y faire. Et avec l’envie de les faire, surtout.

Donc Ardisson est d’autant plus vicieux, vu que tu as cette réputation-là, d’appuyer là où ça fait mal…
Je vais te dire une chose : pour l’instant, tous les gens qui ont bossé avec moi – à part un mec, mais lui c’est une pompe à vélo -, pourront te dire que le truc de : « C’est un schlag » ne tient pas. Quand je bosse avec les gens, je suis en mission. C’est un travail d’équipe et je viens de là : dans la musique, j’étais toujours en équipe. Il y a moi mais aussi les autres. Même si j’arrive parfois en roue libre, je sais que je suis pas tout seul. Je viens pas faire de la merde. Les gens s’en rendent compte assez vite. Maïwenn, par exemple, elle a misé sur moi la première fois. Elle ne savait pas où elle allait en m’embauchant sur son film.

Elle t’a dit pourquoi elle a pensé à toi pour son film ?
En fait, c’est une enfant de Belleville. Et elle m’a dit : « Je te connais depuis très longtemps. » Ah bon ? Effectivement, j’habitais rue Piat, à deux rues d’elle, et je me battais avec les mecs qui vendaient de l’héro, parce que je ne voulais pas payer. Ils étaient une sacrée équipe, et je venais, je cassais des bouches pour ramasser quelques trucs, et les mecs venaient chez moi, et ça partait en saccage. Donc, je traînais dans le coin, et elle me voyait : « J’étais plus jeune, et tu faisais peur », et puis d’un seul coup… Elle me voyait différemment.Il y a ce truc très gênant me concernant, les gens qui me disent : « Mais t’es pas si con finalement ». C’est énervant.

Joey Starr césar 2015 technikart
Aux César (2015)

Il existe toujours cette image qui te colle depuis les années NTM ?
Toujours. Même ne serait-ce que mon dernier coup d’éclat, dont je ne me suis pas rendu compte sur le coup, avec Kristen Stewart aux César. Je suis là, je fais un boulot d’hôtesse (il remet un César, ndlr.)

Tu étais sous MDMA ?
Tu veux une claque dans la gueule, toi ? (Rires.) Mais pourquoi je vous ai raconté ça ? J’y vais pas tous les ans sous MDMA ! Non, mais je me retrouve là-bas à faire un boulot d’hôtesse. Moi, je n’ai jamais travaillé au Salon de la lingerie. Et la gonzesse, je viens pour lui remettre son truc et elle dit : « Non, pose-le sur la table parce que j’ai les mains moites. » Alors que j’ai ce truc dans les mains, j’ai une palette d’options qui s’affiche. Soit je le lâche, mais ça va me tomber sur le pied, soit je le repose sur la table. Ce que j’ai fait. Et tout le monde s’est dit : « Mais pourquoi il a fait ça ? » Après la cérémonie, mon frère m’appelle et me dit: « Qu’est-ce que t’as fait encore ? » La scène était partout sur Internet. Il m’a même demandé si j’étais déchiré. Même pas, j’avais bu du champagne quoi… Le truc, c’est que c’est moi. Ça serait Jamel, tout le monde aurait dit : « C’est trop bien ! » C’est le même film, mais on n’a pas tous les mêmes sous-titres.


Entretien Sébastien Bardos & Laurence Rémila
Photos Matias Indjic