FRANÇOISE HARDY « JE SOUPÇONNE ÉDOUARD PHILIPPE D’ÊTRE HONNÊTE… »

françoise hardi technikart burgalat

Seule génie de la pop à se passionner pour les arcanes de la vie politique, Françoise Hardy a accepté de décrypter la présidentielle qui vient pour Technikart. Avertissement : cette interview vous donnera envie de voter en 2022… 

On entend souvent les politiques parler chanson, généralement pour dévoiler leur côté tendre, cultivé ou connecté, après consultation de la cellule communication et de leur progéniture. À l’exception de Vince Taylor, dithyrambique sur Jean Lecanuet, les chanteurs qui parlent des politiques qu’ils écoutent sont plus rares, ce n’est pas le meilleur moyen de se faire des amis. Il faut être très bas (comme moi) ou très haut (comme Françoise Hardy) pour ne pas avoir peur de descendre de son piédestal. 
Si je crois en ce que VGE avait appelé la civilisation de l’admiration, elle est en haut de mon podium. Et quand je me demande pourquoi je m’enquiquine à mener des activités extra-musicales plutôt qu’à poser à l’artiste dans ses hautes sphères, je songe à ses thèmes astraux pour RFM et je me dis que si quelqu’un d’aussi splendide s’intéresse à l’humanité dans ce qu’elle a de plus fragile, alors tout est possible.
Son ami, le journaliste Jean-Noël Mirande : « Elle est hyper cash, c’est quelqu’un qui ne sait pas tricher, je n’ai jamais vu ça de ma vie, c’est à la fois l’éléphant dans le magasin de porcelaine et quelqu’un d’extrêmement généreux. » Laurence, notre rédacteur en chef : « Ça risque d’être fantastique ! J’adore entendre cette grande artiste citer des gens sans postérité possible (Wauquiez et toute la clique). » 
Nous sommes dans les derniers jours d’août, juste avant que ledit Wauquiez ne se conduise en homme d’État, peut-être pour la première fois de sa carrière, en décidant de ne pas se présenter à la fonction suprême. Si Françoise Hardy me demandait de voter Delphine Batho j’obéirais, car il n’y a pas beaucoup d’êtres sur terre qui ont réalisé des choses aussi belles que cette femme. Intimidante et sans chichis, réfléchie et spontanée. Intelligence non artificielle qui n’agit jamais par calcul, elle illustre la dernière phrase du discours de Soljenitsyne aux étudiants de Harvard en 1978 : « Nous n’avons d’autre choix que de monter toujours plus haut ». Vive Françoise Hardy.

Par Bertrand Burgalat

 

Vous n’êtes pas sectaire dans vos goûts musicaux, vous pouvez citer aussi bien Julio Iglesias que Nick Drake ou le Requiem de Fauré. Est-ce que vous êtes comme ça en politique ? 
Françoise Hardy : Contrairement à ce que cette apparente diversité laisse croire, je recherche toujours la même chose dans une musique, d’où qu’elle vienne : une beauté qui me touche émotionnellement et sentimentalement au point que je ne m’en lasse jamais. Pour que j’apprécie une personnalité politique, il faut que j’aie l’impression d’avoir affaire à quelqu’un d’intègre, doté d’une vision de son pays et du monde globale, réaliste et à long terme, et par conséquent non démagogique, non idéologique, puisque l’idéologie déconnecte des réalités économiques. François Mitterrand a été le premier à vider les caisses de façon inconsidérée en prenant des décisions qui ont abouti à faire de notre pays le mauvais élève de l’Europe, celui dont, entre autres, la dépense publique est la plus élevée du monde, avec une dette et un déficit trop importants, mais qui travaille le moins, comparativement aux autres grands pays européens. 

De Gaulle a dit : « Je n’aime pas les communistes parce qu’ils sont communistes. Je n’aime pas les socialistes parce qu’ils ne sont pas socialistes. Je n’aime pas les miens parce qu’ils aiment trop l’argent. » Et vous, qui aimez-vous, en politique, et qui avez-vous aimé ?
J’ai été bluffée par Raymond Barre car la première fois que je l’ai vu à la télévision, il s’adressait à un public de chefs d’entreprise qu’il ne caressait pas dans le sens du poil et qu’il mettait face à des réalités dérangeantes que d’autres auraient laissées de côté. Par la suite, j’ai apprécié Michel Rocard pour les mêmes raisons, il a d’ailleurs fini par reconnaître que l’ISF était un impôt contre-productif et qu’il fallait le supprimer, ce que les socialistes s’entêtent à ignorer. Ayant eu le privilège de le rencontrer, j’ai constaté à quel point Michel Rocard était plein d’humanité, chaleureux, adorable. Jamais deux sans trois : le troisième est Hubert Védrine, un homme très lucide qui n’aime pas le sectarisme et fait passer la réalité des faits avant l’idéologie. Lui aussi est très au-dessus du lot. 

françoise hardi technikart burgalat
LAUGHING WOMAN_
Les blocages liés aux manifs du samedi et les candidats les plus flippants de la présidentielle ? Françoise Hardy préfère en rire.


Vous avez grandi à une époque où le PC était parvenu à faire oublier son engagement au côté de l’Allemagne jusqu’à l’été 1941, et où le simple fait de ne pas se déclarer de gauche vous classait à droite. Vous faites partie des grands mythes français, comme Alain Delon, Brigitte Bardot ou Gérard Depardieu. Et, comme ces derniers, votre franc-parler vous a parfois mis à dos les plus grands donneurs de leçons, qui sont souvent ceux qui se conduisent le plus mal socialement. Est-ce que ce n’est pas un honneur ? 
Je ne suis pas un « mythe » du niveau de ceux que vous citez. Ce n’est pas un honneur qu’un chanteur très célèbre et son frère qui ne me connaissaient pas m’aient fait passer pour ce que je n’ai jamais été : antisémite et lepéniste. Le chanteur célèbre a fini par s’excuser, mais son frère, un alcoolique notoire, a continué ses calomnies. Découvrir qu’on me faisait traîner une telle casserole m’a terriblement affectée. Quand j’étais jeune, je ne m’intéressais pas à la politique, juste à l’écologie. Dès qu’un candidat écologique s’est présenté à la présidentielle,  j’ai voté pour lui – il ne récoltait qu’un minimum de voix. J’appréciais Le Club de Rome de ces années-là et Brice Lalonde, mais je me suis désintéressée de l’écologie dès qu’elle a été récupérée politiquement, et j’ai alors voté à droite. Actuellement, certaines personnes veulent traduire le Président de la République en justice pour ne pas avoir pris les décisions qui s’imposent en matière environnementale. La France qui, grâce au nucléaire, a moins de gaz à effet de serre qu’ailleurs ne peut pas grand-chose à elle seule ! Le Président Macron participera le 1er novembre 2021 à la Conférence des Nations Unies sur le climat qui réunira les représentants de nombreux pays. C’est à l’échelle mondiale que des décisions doivent être prises.

Comment expliquez-vous sa décision de fermer Fessenheim ? 
C’était au départ une décision de François Hollande et c’est en effet Emmanuel Macron qui l’a concrétisée. Personne n’est parfait et je crois que c’est une erreur d’avoir supprimé cette centrale, l’une des plus fiables de France car rénovée assez récemment. Cela oblige la région à importer d’Allemagne de l’énergie produite par des centrales à charbon !

Vos enthousiasmes sont totalement dénués de calcul, pourtant vous êtes toujours meurtrie par les inexactitudes. Quelles sont les erreurs vous concernant qui vous agacent le plus ?
De loin, celle que j’ai évoquée, mais un certain Pierre Mikaïloff – qu’on invite dans des émissions qui me sont consacrées à cause de la mauvaise biographie qu’il a publiée sur moi sans me connaître –, a prétendu assez récemment que j’étais allée trouver Michel Berger parce que j’avais besoin de vendre du disque. Mon unique objectif n’a jamais été de « vendre », mais de trouver de belles mélodies qui me touchent au point d’être à même d’écrire un texte dessus. Mes deux albums avant celui de Message personnel font encore partie de mes préférés et n’ont pas marché. Mon contrat discographique n’avait donc pas été renouvelé et je ne savais pas où aller. J’avais d’abord pris contact avec le label de Claude François. Grand ami à lui, Jean-Marie (Périer) l’a su, m’a dit que je faisais fausse route et que la seule personne avec laquelle je devais travailler était Michel Berger – qui me paraissait inaccessible. J’ai avoué que je n’oserais jamais le contacter tellement je l’admirais depuis sa chanson de 1966, « Quand on est malheureux ». Jean-Marie s’en est occupé et j’ai vu débarquer chez moi un couple de rêve, Michel et Véronique, dont j’adorais et adore encore le premier album que Michel avait coproduit. Quant à ses chansons, j’en ai été et en suis toujours inconditionnelle. Il a été l’un des grands mélodistes français, des grands producteurs musicaux aussi.

Vous n’avez pas attendu la distanciation sociale pour éviter les effusions et les mondanités. En quoi la pandémie actuelle a changé votre vie quotidienne ?
Handicapée sur de nombreux plans par les effets secondaires cauchemardesques de thérapies lourdes, je vis confinée depuis 2019 et dépend des autres pour m’alimenter. Lors du premier confinement, mon grand ami Marco qui vit en banlieue ne pouvait plus m’apporter mes courses alimentaires de produits frais, l’approvisionnement en eau s’avérait très problématique, et d’un seul coup l’attente pour les précieuses livraisons Picard durait un mois ! J’ai ressenti une grande détresse. Par ailleurs, depuis l’apparition du Covid-19, je m’inquiète beaucoup pour tout le monde, en particulier pour Jacques et Thomas, même s’ils ont été parmi les premiers à se faire vacciner. Moi non, hélas ! Car à la suite de mes chimios de 2015, je n’ai quasiment plus de lymphocytes et l’efficacité des vaccins ARNm passe par la réponse lymphocytaire comme l’a expliqué la chercheuse Katalin Kariko qui a consacré sa vie à l’ARN messager. C’est un gros problème que je ne suis sans doute pas la seule à avoir, et dont aucun médecin ne parle. Le mien pense qu’il ne faut pas me vacciner.

« EMMANUEL MACRON ? EN RÉSUMÉ, C’EST QUELQU’UN DE BIEN. »

 

Dans Avis non autorisés, publié en 2015, évoquant le virus Ebola, vous vous inquiétiez des effets « d’épidémies à grande échelle » à venir. Avez-vous été surprise par l’ampleur du Covid-19 ?
Oui et non. Avec l’augmentation exponentielle de la surpopulation, la pauvreté, l’insalubrité et la quantité des sources de pollution, je pensais que des épidémies à grande échelle seraient inévitables mais je ne m’attendais pas à ce que ça arrive de mon vivant. Prévues depuis les années 1950-1960, les catastrophes climatiques qui surviennent en même temps sont tout aussi effrayantes.

Vous qui comparez régulièrement les actions des autorités françaises à celles de nos voisins, comment jugez-vous la gestion française de la crise ? 
On est trop nombriliste en France et on n’informe pas assez sur ce qui se passe ailleurs, entre autres en ce qui concerne l’actuelle pandémie. Apparemment, cette gestion n’a été idéale nulle part. Les gouvernements voisins ont tâtonné comme le nôtre. 

Michel Maffesoli vient de déclarer dans un entretien à Causeur, à propos du Covid : « La peur de la mort n’empêche pas de mourir, mais empêche de vivre. » Est-ce que nous ne nous pourrissons pas la vie avec la perspective de la mort, jusqu’au moment où nous réalisons qu’on aurait mieux fait de vivre ?
Il a raison, mais c’est tellement plus facile à dire qu’à faire quand cette perspective se rapproche. Attraper une maladie qui peut vous valoir des détresses respiratoires et vous emporter, c’est effrayant à tout âge, en particulier quand on a des enfants. 

Vous avez repéré très tôt Emmanuel Macron, dès 2015. Il vous fait penser à votre fils Thomas ?
C’est Pascal Nègre, PDG d’Universal à l’époque, qui trouvait une ressemblance entre Thomas et Emmanuel Macron. La première fois que, grabataire à l’hôpital, j’ai vu celui-ci sur la Chaîne parlementaire, en 2015, il m’était totalement inconnu et j’ai été frappée par son apparente gentillesse. La leader virulente des opposants à la loi, qu’il venait défendre chaque jour, l’a remercié le dernier jour pour la courtoisie, la qualité d’écoute, la patience dont il avait fait preuve en effet du début à la fin des séances. Il m’a donné l’impression d’être différent et au-dessus du lot. Quelque temps après, il s’est prêté à une interview en direct sur RTL qui se terminait à 19 h 45. Le journaliste d’RTL a été informé que François Hollande allait faire une déclaration à 20 heures et lui a demandé de rester jusque-là pour la commenter. Après l’annonce inattendue faite par Hollande qu’il ne se présenterait pas aux élections de 2017, on a senti Emmanuel Macron très ému et il a eu ce cri du cœur : « Comme cette décision a dû être difficile à prendre pour lui. » Cela m’a convaincue que cet homme-là avait beaucoup d’empathie et je continue de le penser. En résumé, c’est quelqu’un de bien.

En 2017, vous estimiez qu’il était le mieux placé pour mener à bien les réformes dont la France avait besoin. Êtes-vous satisfaite du résultat ? 
J’avais d’abord apprécié son intention de dépasser les clivages gauche-droite, et comme il avait travaillé dans la finance, été ministre de l’économie sous Hollande, prouvé lors du débat avec Marine Le Pen qu’il connaissait bien les dossiers, il était clair que contrairement à elle et à beaucoup d’autres, il tenait compte de l’économie, ce qui est essentiel en politique mais peu fréquent. On ne réalise pas assez qu’Emmanuel Macron a hérité de 40 années d’irresponsabilité économique et que ça ne se répare pas en cinq ans ! 

françoise hardi technikart burgalat
PROFILS POP_
Quand deux artisans de la pop se retrouvent dans les pages de Technikart, de quoi discutent-ils ? Des chances d’Edouard Philippe, de Valérie Pécresse et du président sortant…


Pourtant il a pris sa quote-part d’irresponsabilité, en tant que ministre de l’économie de François Hollande… 
Il me semble qu’un ministre doit suivre la ligne dictée par le chef du gouvernement. Revenons à votre question sur les résultats de la politique d’Emmanuel Macron président. On ne réalise pas assez non plus qu’il a été empêché de gouverner peu après son accession au pouvoir. D’abord par les Gilets jaunes. Même s’il y a sans doute beaucoup de braves gens parmi eux, je ne les porte pas vraiment dans mon cœur car manifester chaque semaine en incendiant des voitures, des lieux de travail, en endommageant l’Arc de triomphe, en bloquant des centres commerciaux et contribuer ainsi à aggraver une économie en mauvais état, fabriquer par ailleurs une guillotine avec le nom du Président dessus et exposer un dessin de sa tête tranchée, puis le traiter de nazi et lui faire la tête d’Hitler, c’est scandaleux. Comme toujours, il y a eu  la CGT aussi. Dès qu’il s’agit de toucher aux retraites (une réforme urgentissime), la CGT menace de bloquer le pays. Pour couronner le tout, il y a cette pandémie qui a empêché de commencer à redresser notre économie comme prévu. Trop de gens, de médias, de politiciens se sont empressés de dénoncer la mauvaise gestion sanitaire d’Emmanuel Macron et continuent. de le faire On préfère ignorer qu’il s’est agi d’un virus totalement inconnu et que les décisions présidentielles ont été prises en fonction de ce que préconisait l’OMS, la Haute Autorité de Santé et le Conseil scientifique, autrement dit ces décisions ont été dictées par ce que disaient les médecins dont les avis variaient sans cesse avec l’évolution du Covid-19. C’est l’OMS qui a demandé de réserver les masques au corps soignant. Mais encore aujourd’hui les opposants politiques et autres reprochent à Macron cette mesure – qui n’a pas tenu longtemps. Tous les chefs d’État du monde ont dû gérer l’ingérable et le doivent encore. Notre président n’avait pas d’autre choix que suivre les instructions médicales et aggraver la dette abyssale dont il a hérité pour aider les entreprises, les salariés, plus généralement pour couvrir en partie les énormes dépenses que la pandémie entraînait. Ses opposants politiques le dénigrent sans cesse alors que dans ce contexte, personne n’a, n’aurait pu faire mieux. À propos des Gilets jaunes, j’aimerais qu’il y ait une loi qui limite le nombre de fois où l’on manifeste pour la même cause dans le cadre d’une année, car gâcher le week-end des gens pendant des mois est insupportable. C’est comme les amendements à une proposition de loi : que quelques députés puissent bloquer une légalisation à coup d’innombrables amendements est tout aussi inadmissible. Un député ne devrait pas avoir droit à plus de deux ou trois amendements. 

Votre passion pour l’astrologie vous a permis de déceler chez Juppé puis chez Sarkozy une grande sentimentalité. Et chez Macron ?
L’astrologie sérieuse n’est pas une passion mais il est vrai que je m’intéresse au conditionnement particulier sur lequel elle informe sans pouvoir dire de quelle façon il est actualisé, tributaire qu’il est des nombreux autres conditionnements avec lesquels il est en interaction. Le ciel natal d’Emmanuel Macron est a priori celui d’un passionné focalisé sur ce qui lui importe, tout en ayant besoin d’une bulle harmonieuse où les rapports de force n’existent pas, les deux prédispositions n’étant pas toujours conciliables. La sentimentalité n’est pas absente, loin de là, mais ce n’est pas ce qui domine en premier.

En 2007, vous appréciez la jeune garde que Sarkozy avait décidé de faire émerger : Wauquiez, Pécresse, Dati… Aujourd’hui, ils veulent tous être candidats à la présidentielle. Qui pourrait avoir votre soutien ? 
Cela m’avait plu que Nicolas Sarkozy prenne beaucoup de nouveaux venus dans son gouvernement et qu’il déclare que ce n’était pas parce qu’on était de droite qu’il fallait se priver du talent de telle ou telle personnalité du camp opposé. Pour répondre à votre question, je dirais que même si j’apprécie Valérie Pécresse, aucun des candidats potentiels ne me semble avoir la dimension de Nicolas Sarkozy ou d’Emmanuel Macron. 

Avez-vous repéré d’autres personnalités ?
Je soupçonne Édouard Philippe d’être intègre, loyal et plus lucide que la moyenne car doté d’une vision réaliste donc globale et non idéologique du monde. Malgré sa popularité, il ne se présentera pas si Emmanuel Macron se présente. Sinon, il est le seul pour qui je pourrais voter en dehors de l’actuel président.

Vous trouviez le Président Sarkozy extrêmement pertinent et informé sur le dossier Hadopi et sur les effets de ce qui ne s’appelait pas encore la « digitalisation » sur les revenus des auteurs-interprètes. Suivez-vous toujours les débats au sujet du streaming ? Qu’en pensez-vous, et que préconisez-vous ? 
À l’époque, j’allais bien. Aujourd’hui, je vais trop mal et n’ai plus la possibilité de m’intéresser à des sujets trop compliqués pour moi. J’ai quasiment oublié ce qu’était la loi Hadopi, je sais à peine ce qu’est le streaming et ne l’utilise pas. Eh oui, je suis une vieille dame.

Il est rare qu’on ait tendance, comme vous, à se vieillir. À s’exposer aussi, en rendant publiques ses opinions. Quelle est votre motivation quand vous le faites ?
Je ne me vieillis pas. J’aurai 78 ans dans cinq mois. Si je rends publiques certaines de mes opinions, c’est parce qu’on me pose des questions à ce sujet et que j’y réponds si je peux et comme je peux. Mais je ne détiens pas la vérité, et ce que je crois, ce que je pense est, comme pour chacun d’entre nous, le reflet de ce que mes divers conditionnements ont fait de moi. Comme ils sont plus ou moins inconscients, il n’est pas évident de s’en distancier, même si on cherche à avoir du recul. En ce qui me concerne, mes convictions sont souvent sujettes au doute. 

« JE REJETTE L’ÉCRITURE INCLUSIVE : DIRE “AUTRICE”, C’EST AFFREUX ! »

 

Vous ne parlez jamais de la Corse, est-ce par prudence ou par courtoisie ?
Là où est la maison, tout est tellement beau, qu’aller voir ailleurs ne m’a jamais fait envie. Autrement dit, je connais mal la Corse et les Corses. Jacques et Thomas beaucoup plus et j’approuve tout ce qu’ils ont dit et disent à ce sujet. 

Vous avez souvent fait part de vos craintes quant aux problèmes créés par la surpopulation. Préconisez-vous, comme les Chinois il n’y a pas si longtemps, un enfant maximum par foyer, comme vous en avez donné l’exemple ? Et que pensez-vous du fait qu’ils viennent d’y renoncer ?
On ne peut pas préconiser ça. Mais il faudrait que les personnes qui n’ont pas les moyens d’élever et nourrir dix enfants n’en fassent pas plus de deux ! Hélas, un obscurantisme religieux aussi bien catholique que musulman ou autre, empêche de nombreuses femmes de recourir à la contraception. Élever trop d’enfants est impossible en soi, un seul c’est déjà si difficile ! Si on devient parent, il est essentiel d’être responsable et de ne pas faire d’enfants à la chaîne, encore moins quand on n’en a pas les moyens. On devrait enseigner à l’école l’impérieuse nécessité d’avoir un comportement responsable tout au long de sa vie et expliquer ce que cela implique d’être responsable mais aussi de ne pas l’être.

Dans les années 1980 vous avez souligné les intolérances d’une certaine gauche, que vous inspire aujourd’hui le « woke », avec son écriture inclusive et son essentialisme ?
Je rejette l’écriture inclusive : dire « autrice » au lieu d’auteur est affreux ! Je n’apprécie pas non plus les nouvelles féministes qui jugent, condamnent, exécutent quelqu’un qu’elle ne connaissent pas, en ignorant tout à propos de ce dont elles l’accusent.

Avez-vous le sentiment, aujourd’hui, d’appartenir à une classe sociale quelconque ?
Non. Je viens du petit peuple mais je n’aime pas le populisme. J’ai été élevée par une mère célibataire (on disait fille-mère). C’était scandaleux à l’époque. Après avoir eu son brevet, elle est partie travailler à Paris comme aide-comptable et a consacré sa vie à ses deux filles sans voir personne. Je me sens plus proche du petit peuple que de la bourgeoisie, mais j’appartiens à ma famille de cœur.  

Vous semblez attirée avant tout par l’intelligence. Est-ce que vous n’êtes pas, comme Marlène Schiappa, sapiosexuelle ? 
Emmanuel Berl a écrit : « L’illusion consiste à se dire : il ne doit pas être bête puisqu’il est intelligent. Or ce n’est pas vrai : il peut être très intelligent et très bête et souvent même, il y a des gens qui sont à la fois plus intelligents et plus bêtes que tout le monde. » Je préfère le mot « discernement » au mot intelligence et m’intéresse à une spiritualité qui en fait la priorité des priorités et affirme que l’amour dénué de discernement n’est pas valable. Cette formulation est à méditer sans cesse, mais elle me convient, bien que je me rende compte à quel point il est difficile d’y voir clair dans un monde de désinformation comme le nôtre. Mais ce n’est pas parce que quelqu’un est intelligent qu’il est séduisant, et c’est la séduction de quelqu’un qui m’attire d’abord. Il est vrai que si on est borné, aussi beau ou belle qu’on soit, on n’est pas séduisant(e). Il est également vrai que la personne que je vais trouver séduisante ne le sera pas aux yeux de quelqu’un d’autre et inversement. De toute façon, il est impossible et vain de dissocier les divers éléments de l’ensemble sur lequel repose toute séduction, qu’elle soit plus subjective qu’objective ou le contraire. N’oublions pas non plus l’importance de la problématique affective personnelle inconsciente, car pour qu’il y ait attirance, il faut que celle de l’autre en soit complémentaire, et que l’une et l’autre s’alimentent mutuellement. Par exemple, pour qu’une masochiste – qui ignore qu’elle l’est – soit attirée, il faut qu’il y ait une part de sadisme chez l’autre – qui ignore l’avoir. Cela doit fonctionner dans les deux sens, mais la masochiste ne va pas être attirée par le premier sadique venu, ni le sadique par n’importe quelle masochiste. L’exemple est trop schématique, c’est bien plus complexe que ça, et mieux vaut arrêter là.

 

Entretien Bertrand Burgalat
Photos Serge Leblon & Benoit Peverelli