Parés pour le marché du travail 3.0 ? Instant coaching avec le boss de PwC

Dans sa dernière étude (Workforce of the future : The competing forces shaping 2030), le cabinet de conseil PwC explique sa vision du monde du travail pour les 10 prochaines années. Bernard Gainnier, son CEO en France & Afrique francophone, fait le bilan.

1-Que faut-il retenir de cette étude ? 

Bernard Gainnier -président-pwc
Bernard Gainnier (@pwc)

L’étude se livre à un exercice difficile ! Prévoir ce que sera le marché du travail dans plus de dix ans, dans un monde en plein bouleversement technologique et sociétal et préconiser les bonnes pratiques RH qui en découleront, peut s’apparenter à de la science-fiction !

Quelles seront les compétences les plus importantes ? Comment motiver les talents ? Quelle nouvelle culture d’entreprise pourra-t-on imaginer ? Permettra-t-elle d’aligner raison d’être de l’entreprise, stratégie et business ? L’avenir appartient-il aux généralistes ou aux hyper-spécialistes ? Le rendement primera-t-il sur l’éthique et la responsabilité sociétale ? C’est à toutes ces questions que tente de répondre l’enquête, en privilégiant quatre scénarios différents, selon que la solidarité sera plus forte que l’individualisme et que les dynamiques collectives l’emporteront sur la fragmentation du monde.

Le monde de « l’humain avant tout », fondé sur l’équité, le partage et le bien social, caractérisé par des marques éthiques et des communautés ouvertes et collaboratives, est selon moi celui vers lequel nous devons tendre, mais l’étude met aussi en évidence les forces centrifuges qui pourraient contredire ce modèle.

Un tri redoutable entre les insiders bien formés, adaptables, protégés, et outsiders

2-Dans un billet publié sur LinkedIn, vous considérez que le marché du travail de demain opérera « un tri redoutable entre les insiders bien formés, adaptables, protégés, et les outsiders ». Que faudra-t-il aux travailleurs de 2030 pour faire partie des insiders ?  

Je pense surtout que tout doit être entrepris pour augmenter le nombre d’insiders et laisser le moins de salariés possible sur les franges ou en marge des grandes dynamiques économiques du futur. Le monde décrit par Yuval Noah Harari dans Homo Deus, partagé entre des « demi-dieux » maîtres de l’économie du savoir, et des « inutiles » tout juste bons à percevoir le revenu universel, est juste une vision d’horreur ! Nous ne devons pas nous diriger vers cette division catastrophique de la société !

Donner à chacun une place dans l’économie du futur, c’est un enjeu essentiel, et les entreprises ont un rôle majeur à jouer. Qui passe par la formation et l’adaptation des compétences, la fin de la sacralisation des diplômes, la valorisation des talents et des compétences atypiques.

Et n’oubliez pas qu’à l’échelle de la planète, il y a beaucoup plus d’insiders que par le passé, grâce à la sortie de la pauvreté de nombre de pays asiatiques ou africains. Je le dis avec ma casquette de président de PwC pour la France et l’Afrique francophone mais c’est une réalité incontestable.

Reconversion

3-Que doit faire un outsider pour se « reconvertir » et s’adapter au marché du travail du futur ?

Cela dépend bien sûr de plusieurs paramètres : son cursus et sa formation initiale, son secteur d’activité, son âge, son implantation géographique, etc… Il n’y a pas de réponse uniforme, c’est différent si vous êtes un jeune entrant sur le marché du travail ou un senior, si vous possédez ou non un savoir-faire transposable à d’autres industries, etc.

Il est certain que la mise à niveau et l’actualisation continue des compétences seront de plus en plus nécessaires dans l’économie du savoir, mais avoir une technicité ne suffira pas si elle n’est pas accompagnée de « soft skills » comme l’ouverture d’esprit, l’empathie, l’intelligence émotionnelle… tous domaines où les « outsiders » sont aussi bien armés que les « insiders » !

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4-Vous affirmez aussi : « le jour où la technologie supplantera l’homme n’est pas près d’arriver ». Et pourtant, elle le fait déjà dans la plupart des jeux de stratégie (et bientôt dans certaines activités créatives comme les débats ou la morphologie)… qu’en pensez-vous ? Pariez-vous sur un modèle coopératif entre IA et IH (Intelligence Humaine) ? 

Je ne crois pas que la technologie puisse supplanter l’homme ! Si une machine bat un champion de go ou d’échecs, c’est parce que l’intelligence humaine l’a programmé dans ce but. La machine elle-même n’est pour rien dans la victoire dont on la crédite ! Elle n’a aucune conscience de ses performances, c’est d’abord une victoire de l’intelligence et de la créativité humaine !

L’IA sera ce que l’on voudra en faire : au service du bien-être et du développement, par exemple dans le domaine de la santé ou de l’éducation, ou au service de desseins beaucoup plus problématiques, qu’il s’agisse des armes autonomes – songez aux robots tueurs – ou du contrôle social et de la mise sous tutelle des citoyens que permet la technologie. On peut en avoir un avant-goût avec ce qui se passe en Chine. Des choix éthiques et démocratiques fondamentaux sont en jeu. Nous devons réfléchir avant toute chose, au sens vers lequel nous construisons notre futur !

L’IA sera-t-elle « humaniste » ou au contraire un outil d’asservissement des individus, c’est la vraie la question, et ce ne sont pas les algorithmes qui vont la trancher.

Job passion VS Bullshit job

5-Permettez-moi de vous soumettre une théorie : on remarque que beaucoup des emplois les plus mal payés (prof, aide-soignant, pigiste, cuistot…) sont des « jobs passion ». Le plaisir au travail aurait-il un prix ? 

Si l’argent ne fait pas le bonheur, comme dit le proverbe, il est certain qu’il ne suffit pas non plus à assurer un haut niveau d’engagement et d’épanouissement professionnel ! Notamment chez les jeunes. L’enthousiasme, la passion de son métier, et je dirais même l’utilité sociale de son activité professionnelle, devraient être corrélés au nombre de zéros sur son bulletin de paie.

Le plaisir au travail est une notion essentielle, très liée à celle du sens dont on parle beaucoup dans le monde du travail contemporain. Et à juste titre ! Vous évoquez les « jobs passion », mais à l’inverse les « bullshits jobs » ne sont pas forcément ceux qui sont les plus mal payés, Cherchez l’erreur !

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Cela dit, il serait souhaitable évidemment d’avoir du plaisir au travail en gagnant bien sa vie en essayant, pourquoi pas, de vivre comme Steve Jobs, qui n’était pas dans le besoin, et de revendiquer ses rêves et ses passions. « Stay hungry, stay foolish ! » disait-il. Je vous accorde que nous avons encore un long chemin à parcourir.

Entretien Jacques Tiberi