Y a-t-il un robot pour sauver la presse ?

Test sous-titre

Ras le bol de lire les mêmes articles partout ? de voir des fakes news atterrir sur votre fil Facebook ? Et d’être déçu par votre journal de chevet ? Une intelligence artificielle a peut-être la solution… 

À l’heure où les pure-players tirent leur révérence (RIP Buzzfeed France, Mashable France, 8ème Etage…), et où les rares success- stories (Konbini, Brut, Melty…) sont surtout des usines à brand content, quel futur digital pour le journalisme à l’ancienne ? Nous avons trouvé celui qui y croit encore et rêve de mettre l’intelligence artificielle au service des survivants de la presse. Son nom : Benoît Raphaël. Cet ancien journaliste du Dauphiné libéré, est devenu, dès 2007, le pionnier français des médias participatifs en participant aux lancements du Post, du Plus de l’Obs… Dix ans plus tard, il revient avec Flint, une IA qui vous compose une newsletter sur mesure (voir le site www.flint.media). Son credo : la qualité, le local, les histoires vraies, le slow, les solutions, l’intime….
 
Et il a raison ! La preuve : le Canard Enchaîné a 128 millions d’euros à la banque, Médiapart fête ses 10 ans avec 140 000 abonnés, Les Jours ont dégoté 3500 abonnés en deux mois, les mooks (XXI, La Revue Dessinée, 12°5) et leurs articles à rallonge se vendent comme des petits pains, la PQR fait le plein sur le net (+47% d’abonnements en ligne), les magazines Flow et Regain, positifs et bucoliques, font un carton en kiosque. Existerait-il donc une recette du bonheur journalistique ? Et une intelligence artificielle pourra-t-elle nous aider à la trouver ?
 
Il y a dix ans, vous participiez à l’essor des médias collaboratifs. Ceux-ci contribuent désormais à la diffusion de fake news ? Comment faire ?
 
Benoît Raphaël : J’avoue, je ne suis pas vraiment un visionnaire et encore moins un futurologue ! Par contre j’ai une conviction : pour sauver les médias, il faut horizontaliser d’information le plus possible.
 
« Horizontaliser » ?
 
Oui, le monde est trop complexe pour que ce soient toujours les mêmes qui parlent. Il y a 30 ans, chacun vivait dans sa bulle l’informations : le type de gauche lisait Libé et regardait le 20 heures de France 2, le type de droite, le Figaro et le 20 heures de TF1. Ces bulles ont – presque – disparues… mais de nouvelles se sont créées. Ce sont des bulles  algorithmiques sur les réseaux sociaux : plus on like certains types de contenus, plus l’algorithme va nous en montrer. Horizontaliser l’information, c’est briser la bulle.
 

Vous avez créé une Intelligence Artificielle, que vous appelez Flint, pour « briser cette bulle ». Comment fonctionne-t-elle ?

Flint, que je considère comme un robot, va chercher de l’info de qualité, en fonction des centres d’intérêts du lecteur abonné. Mais Flint ne décide pas à votre place. Il ne fonctionne pas avec un « profil » prédéfini à partir de votre âge, votre pays ou votre profession. On n’est pas dans un de ces anciens algorithmes qui mettent les gens dans des cases. Concrètement, vous allez montrer à cette IA une dizaine de contenus que vous estimez être « de qualité ». Vous allez aussi désigner des articles que vous jugez de mauvaise qualité. Et, à partir de cette sélection, l’IA va définir 300 critères, totalement adaptés à vos choix, et en tirer une newsletter avec des articles différents de ceux du mainstream. Des articles qui vont vous sortir de votre bulle et vous emmener ailleurs.

L’actuelle crise des médias serait donc une crise de la qualité des contenus ?

 
Malheureusement, la crise de l’information ne fait que commencer. Elle n’a pas débuté il y a 20 ans, comme on le dit. Elle débute maintenant. Pourquoi ? Parce que les médias ont perdu le pouvoir de distribution : les réseaux sociaux et Google ont remplacé le papier et les canaux télé. Il faut comprendre qu’aujourd’hui les médias en ligne ne bossent plus que pour les robots de Google ou de Facebook : ils écrivent comme Google le leur demande, ils font des vidéos comme Facebook le leur demande. On est entré dans l’ère de l’infobésité. On est submergés d’infos… qui se ressemblent toutes. Depuis combien de temps n’avez-vous pas lu sur internet un article qui vous a vraiment nourri intellectuellement ? On nous pousse à consommer toujours les mêmes infos, qui nous rendent surtout méfiants et malheureux. Et comme ces contenus n’intéressent pas les lecteurs, ils vont voir ailleurs… et la pub aussi. Conséquence : les médias sont à plat et n’ont plus de ressources.
 

Intelligence artificielle

En quoi l’IA peut-elle nous sortir de cette crise de la qualité ?
 
En reconstruisant les liens entre le lecteur potentiel et les contenus de qualité… qui existent toujours, mais cachés sous des tonnes de contenus copié-collés et de fake news. Ce travail de reconstruction, c’est une mission qui va durer au moins 10 ans ! Il faut prendre notre temps, pour construire une IA qui soit une modélisation du meilleur de nous-même et non pas du pire. Une IA – ou un algorithme – c’est comme le moule d’une pièce d’usine : si vous dessinez mal votre moule, dès que vous allez industrialiser la production… ça va péter. C’est ce qui arrive à Facebook actuellement : ils reçoivent un milliard de contenus chaque jour et ne savent plus comment gérer ; ils doivent donc embaucher 3000 humains pour réparer les erreurs des robots. Les robots ne sont que le reflet de ce que nous sommes. Les algorithmes reproduisent les biais de notre société : dans une société raciste, les algorithmes seront racistes… Les acteurs des médias doivent donc travailler avec des valeurs fortes de transparence, d’inclusion, et surtout sans voler les données des gens.
 
Et en quoi l’IA de Flint peut-elle nous protéger des fake news ?

 
D’abord, c’est quoi une fake-news ? Ça peut être une blague, un point de vue insolite, une vraie info détournée, ou des contenus mal intentionnées. Le rôle de l’IA n’est pas de dire quelle est la bonne et la mauvaise info. La seule solution face aux fake news, c’est de diversifier l’information et d’éduquer les citoyens à l’information… et puis leur redonner envie de lire du bon journalisme.
 
Et comment fait-on ?

 
Il faut réinventer les circuits courts de l’information. Les circuits courts, ce sont par exemple des médias locaux qui impliquent le lecteur, qui lui proposent de choisir les sujets abordés et qui laissent aux journalistes le temps d’aller sur le terrain. C’est un journalisme de solutions.
 
Vous voulez dire des « médias de bonnes nouvelles » ?

 
Non, quand je dis journalisme de solution, je pense à ce que nous avions fait avec Nice Matin : plutôt que de nous focaliser sur les problèmes, nous avons essayé de trouver des solutions et d’engager les lecteurs dans une démarche active. À l’époque, personne ne pensait que ça allait marcher. Et bien, quand nous avons fait une série d’articles sur le problème du loup italien qui menace les bergers de la vallée niçoise, en envoyant des journalistes trouver des solutions en Italie, notre vidéo a fait 10 fois plus de vues que les autres. Quand nous avons traité des faits divers, comme un accident de la route en pleine ville, en montrant les solutions proposées dans d’autres villes pour les éviter, non seulement ces papiers marchaient mieux que les articles sensationnalistes, mais ils obtenaient des commentaires bien plus positifs. C’est aussi comme ça qu’on redonne envie aux gens.
 
 
C’est à cela que doit ressembler le journalisme de 2020 ?

 
Oui, je pense que sans une info locale qui implique ses lecteurs, on va dans le mur. Bien sûr, on peut penser que la blockchain sera une nouvelle étape qui permettra de se passer de Google ou des réseaux sociaux. Mais le premier pilier de l’info de demain, c’est l’info locale. La prochaine mission du journaliste sera non seulement d’informer, mais aussi de conseiller et d’éduquer ses lecteurs. Les médias seront les nouvelles écoles.
 
 
C’est-à-dire ?
 
Aujourd’hui, internet donne au citoyen les moyens d’être pleinement acteur de la cité, de son quartier : c’est aussi un consomm-acteur, il s’engage dans des associations, des pétitions, des campagnes de crowdfunding… Internet lui apporte un énorme « empowerment ». Mais pour pouvoir utiliser ses nouveaux pouvoirs et ces nouveaux outils, le citoyen a besoin de connaissances. Ce qu’il a appris à l’école ou à la fac ne suffit plus : il a besoin de connaissances pratiques, en droit, en finances, en informatique, pour gagner en autonomie. Et cela, il revient aux médias de demain de les lui apporter.
 
Entretien Jacques Tiberi