DANICOLLATÉRALE : « MON STYLE ? UN PARI ! »

Danicollatérale technikart

Dans Flatland, Danicollatérale nous plonge à l’intérieur d’un monde que beaucoup ont oublié depuis les bancs du collège : celui de la deuxième dimension. Triangles, etc. ? Une critique de la société en bonne et due forme, nous répond ce jeune dessinateur. Interview à la recherche du trait qui n’a pas encore été tiré.

Flatland est ton adaptation au format bande dessinée d’un des premiers romans de science-fiction, par Edwin A. Abbott. Comment as-tu transformé cet exigeant objet sur les habitants d’un monde en deux dimensions, en livre ludique ?
Danicollatérale : C’est effectivement un roman original et exigeant et je pense que le dessin apporte une seconde lecture. J’ai souhaité amener le lecteur pas à pas dans cette réalité nouvelle. Mais Abbott est ironique et drôle, et ça, j’ai souhaité le garder, comme j’aime son style et son ton. Maintenant, le rendre ludique, c’était mon véritable projet, et pour cela, j’ai inventé des dialogues et un second personnage.

Était-il évident que ce roman peu connu en France devait être adapté en bande dessinée ?
Je l’ai découvert il y a vingt ans, au lycée. Il m’a été conseillé par ma prof de math, qui nous en avait parlé comme d’un livre révolutionnaire et étrange. Je n’aurais pas imaginé l’adapter, tout simplement parce que je ne m’imaginais pas devenir dessinateur de bd.

Quel a été le déclic ?
Quand je travaillais à temps plein comme architecte, parfois le boulot était répétitif et j’ai cherché de m’épanouir artistiquement en réalisant des illustrations à côté. Ce passe-temps a amené à la publication d’un premier livre jeunesse, Entre les lignes, aux Éditions Sarbacane. Avec le confinement, le travail à distance… j’avais du temps et j’ai raconté mes expériences dans de gros cabinets, ce qui a donné lieu à ma première bande dessinée, Je suis charrette. Ensuite, mon éditrice m’a fait confiance pour Flatland, même si elle n’est pas forcement passionnée des mathématiques– mais c’est une histoire qui les dépasse, tout comme la géométrie.

En quoi ce livre est-il toujours d’actualité ?
Il dépeint la société victorienne, et on la trouve rigide, codifiée, injuste – mais petit à petit, on se rend compte qu’elle est proche de la nôtre. L’histoire se déploie en deux parties. D’abord, l’arrivée dans ce monde en deux dimensions, puis la découverte de la troisième. Il se conclut enfin, ce qui est une des prouesses du livre, car c’est le premier à la formuler, sur l’hypothèse de la l’existence de la quatrième dimension.

Avant qu’Einstein ne la théorise, ce qu’on apprend avec Flatland.
Oui, même si ce n’est évoqué qu’à la toute fin du roman. J’ai décidé de continuer le livre, en ajoutant des chapitres, pour le moderniser avec nos connaissances. La quatrième dimension n’est plus une hypothèse, c’est une vérité physique et mathématique. Abbott a eu l’inventivité d’être le premier homme à l’imaginer, ou à le mettre dans un livre en tout cas.

On peut lire : « La lecture est une expérience en quatre dimensions », le temps s’ajoutant à l’objet-livre en 3d. Esthétiquement, quelle a été ta démarche ?
La couleur fait partie de la narration. Dans chaque dimension, il y a une couleur dominante. Mais j’avais la contrainte donnée par Abbot lui-même : à Flatland, il n’y a pas de couleur. C’est pourquoi, la première partie est sombre, avec un gris bleuté assez austère. Je suis parti sur des couleurs Pantone, avec pour condition : less is more. L’élégance graphique, c’est comme en math : on élimine ce qui est en trop pour simplifier au maximum et renforcer la lisibilité. J’ai en revanche souhaité que ce soit un objet précieux, à la manière des livres de l’époque d’Abbott.

La suite ?
Je prépare en ce moment ma troisième bande dessinée, qui portera sur les coulisses de la mode. Les éditions Delcourt ont vu un parallèle entre ce que je racontais du monde de l’architecture et celui de la mode. Ce sera une adaptation de Le plus beau métier du monde de Giulia Mensitieri.

Pour Je suis charrette, ton dessin était architectural. Ici, il est pensé à la manière d’un mathématicien. Es-tu en train de prendre le trait d’un couturier ?
Je m’inspire effectivement des illustrations de mode. Je n’ai pas d’esthétique propre. Chaque livre est pour l’instant l’occasion d’une nouvelle démarche conceptuelle. Certes, on adore suivre un auteur pour son trait, mais je fais l’inverse. C’est un métier économiquement difficile, avec peu de temps à consacrer à la recherche. Mais je fais ce pari.

Danicollatérale, Flatland, éd. Delcourt, 256 p., 26,99 €


Par
Alexis Lacourte