Franco-anglaise, Alexandra Van Houtte a fait ses armes à Paris comme assistante styliste pour les magazines Elle et Numéro, avant de lancer le premier moteur de recherche par mots-clés pour la mode, Tag Walk, en 2016. Interview runway.
Vous quittez Paris à 13 ans pour l’Angleterre, pour y étudier le mandarin et obtenir une maîtrise en Fashion Media Styling au London College of Fashion, avant de revenir à la capitale et de vous lancer dans le stylisme. C’était le point de départ de Tag Walk ?
Alexandra Van Houtte : Je me suis rendue compte, que si je devais trouver une robe en urgence, je passais en revue tous les défilés un à un. C’était un processus très chronophage et long. On se concentrait sur les marques que l’on connaissait, celles de luxe, et les jeunes designers étaient invisibilisés. Alors j’ai commencé Tag Walk, sans business plan, sur mon canapé à 26 ans. Je voulais rendre la vie des assistants plus facile et la recherche plus équitable.
Comment avez-vous réussi à attirer 384 855 utilisateurs avec un modèle économique basé sur zéro publicité ?
En venant des médias, je connaissais la publicité et c’est toujours géré par les mêmes personnes. Alors j’ai voulu que les marques qui défilent soit sur Tag Walk gratuitement, et celles qui ne défilent pas payent un frais pour être au même niveau. Mais toutes sont par ordre alphabétique, on ne peut pas payer pour être mieux placé. J’ai également voulu que ce soit gratuit. Après neuf ans, depuis 2014, la recherche par mots-clés est devenue payante, mais on peut toujours chercher par designer. Le fait que le classement ne soit pas biaisé a rendu ma data valorisable.
Pourquoi ce paywall sur les mots-clés ?
Quand on ne met pas de valeur sur un projet, les gens ne le considèrent pas. Avec la super base de données qui est la mienne, ça fait peur d’ajouter un paywall, parce que si personne ne paye, mon site n’a aucune valeur. J’ai mis du temps à avoir confiance en mon produit pour cet enjeu. Mais le paiement reste moindre.
Tag Walk cartographie les tendances chaque saison. Quels sont les critères pour donner les lettres de noblesse à un motif, une forme, ou un accessoire ?
On a une taxonomie très structurée. Pendant dix ans, on a fait du tagging manuellement sur 500 000 photos pour entraîner une IA qui maintenant est excellente. On commence par la couleur, puis la matière, le style du vêtement, les détails et le thème. On compare toujours à la saison de l’année passée. Par exemple, si il y avait zéro looks à pois sur la SS25 et qu’il y a dix looks à pois sur la SS26, nos datas vont capter cette augmentation. C’est subtil, parce que ce n’est pas la quantité qui fait une tendance. Et il y a les tops 20 des défilés. Ils lancent énormément de tendances, car ils représentent 40 % des vues.
Les micros-tendances découlent des macros-tendances, c’est-à-dire des mutations plus ancrées et durables dans les habitudes ou la culture. Comment évolue le secteur à l’heure des crises ?
La femme post-Covid était fun, remplie de sequins et de couleurs. Ensuite, elle est devenue plus conforme avec une palette très neutre, et actuellement je trouve qu’elle va vers le sexy. On remarque que les vêtements sont amplement plus portables, moins tendanciels pour mieux vendre. Sur la saison SS26 qui vient de clore à New York, c’est juste commercial, très propre. Le luxe ne peut pas se permettre de vendre des pièces trop folkloriques qui ne seront portées qu’une fois. C’est lié à la situation économique. La maroquinerie dirige 80 % des ventes, donc un sac doit être une tendance. S’il l’est, le chiffre d’affaires est quasiment assuré. Saint Laurent est un parfait exemple, Anthony Vaccarello ne met jamais de sac sur ses défilés, pour autant ils ont un succès incroyable. Sur les rapport d’inclusivité, l’ethnicité est ancrée. La rupture a été le drame de Georges Floyd. Il y a eu un basculement au sein des marques. En ce qui concerne la taille, c’est un grand sujet, parce que malgré une diversité de morphologie, c’est encore lié à une tendance et à la volonté d’un directeur artistique.
Quelles différences notez-vous entre Paris, Milan, Londres et New-York ?
Londres, c’est un éclectisme et un what the fuck général : les designers n’ont pas peur ! New York c’est très minimal, années 1990, et sans prise de risques. Les tendances commencent à Milan. Il y a une vraie proposition artistique à Paris et à Milan, les partis pris sont plus tranchés. Anthony Vaccarello chez Saint Laurent lead massivement. Pas mal de marques françaises et italiennes insufflent la démarche à suivre dans le mass market, ce qui n’est pas négligeable, car il pilote en nombre les tendances.
Comment les marques appréhendent-elles le dashboard, l’outil qui permet de suivre leur performance et leur positionnement ?
C’est autant les marques de luxe que le mass market qui l’utilise et pour des raisons très différentes. L’avantage du dashboard, c’est que la data est en live. À la fin d’un défilé, ça permet au mass market d’analyser précisément une tendance et de la développer. Pour le luxe, cela permet de comprendre ce que leur public a recherché sur les 60 looks du défilé. Ensuite, ils peuvent faire leur merch et leur communication en conséquence.
Qu’attendez-vous de cette rentrée de la fashion week ?
J’ai tellement hâte de voir Mathieu Blazy chez Chanel. C’est quelqu’un d’intelligent, cultivé et avec des valeurs. J’attends Pierpaolo Piccioli chez Balenciaga, parce qu’il a un jeu de couleurs très bon. Et j’ai envie de voir Michael Rider chez Celine, j’ai adoré son premier défilé pré-fall.
Par Anaïs Dubois
Photo Axel Vanhessche




