La qualité française, sans fléchir et jusque sous vos fripes, c’est la ligne maintenue par Garçon Français depuis sa naissance, en 2012. Rencontre avec son créateur, Vicky Caffet, artisan du boxer patriote.
Vous avez lancé Garçon Français après un passage aux États-Unis et quelques jobs en entreprise. D’où vient cette envie de créer une marque de sous-vêtements 100 % française ?
Vicky Caffet : Aux US, j’ai découvert la vision ultra premium qu’ils ont du Français, et ça m’a fasciné. En parallèle, j’ai découvert des marques d’underwear, notamment australiennes, que j’ai adorées en tant que consommateur. Alors, je me suis dit pourquoi pas tenter moi aussi et créer une marque française de sous-vêtements à ma façon. Surtout que je me suis rendu compte assez rapidement qu’être salarié, ça ne me convenait pas vraiment – ayant la fâcheuse habitude de dire tout ce que je pensais à mes patrons… J’ai quand même eu quelques jobs avant, via lesquels j’ai compris que tout le business du made in France pouvait être sacrément roublard… C’est aussi pour ça que je voulais créer une marque avec des produits d’une grande qualité, qui soit proche de mes valeurs. J’ai toujours été très attiré par le développement durable, par le recyclage, la production locale. Si nous sommes encore là aujourd’hui, c’est parce que nous avons maintenu notre exigence, sans jamais la compromettre.
Lorsque vous montez Garçon Français, vous n’avez aucune formation textile, et misez d’abord sur l’identité visuelle. Comment s’est déroulé le lancement ?
Je me suis rapproché de plusieurs agences de communication pour donner vie à l’univers que j’avais déjà en tête. Mon objectif, c’était de poser une identité forte avant même de penser aux produits, j’avais une vision claire. Finalement, on est arrivé à un logo et ça a été un déclic. À partir de là, j’ai collaboré avec une modéliste pour développer les premiers prototypes. Je ne dessine pas moi-même, mais à force de shopping et d’observation, j’avais quelques idées en tête – floues, certes, mais assez pour guider le processus créatif. Un atelier m’a fait confiance, et c’est comme ça qu’on a lancé la première production. J’ai eu la chance de bénéficier de la presse locale au moment du lancement du site Internet, ce qui m’a ensuite permis d’avoir une couverture dans la presse nationale, notamment avec Canal+, à peine dix jours après le lancement du site Internet ! C’est grâce à cet engouement médiatique que la marque s’est véritablement lancée. Les 1000 pièces que j’avais prévues pour les six premiers mois, je les ai écoulées en trois semaines…
Le made in France est au cœur de votre démarche. Et vous avez choisi d’ancrer la production à Troyes, votre propre ville. C’était un choix logique pour vous ?
Mon envie première, c’était de produire français à tous les niveaux, afin de réduire les transports et procéder selon des normes environnementales strictes, du traitement des tissus à celui des eaux de teinture. À Troyes, il restait encore tout le savoir-faire nécessaire pour fabriquer des slips localement. Et pourtant, étant moi-même Troyen, je ne connaissais pas si bien ma ville. C’est en creusant que j’ai compris que quelques uns des grands noms du secteur comme Petit Bateau ou Lacoste travaillaient ici depuis toujours.
Produire en France, ça semble simple quand vous en parlez. Mais beaucoup jettent l’éponge. Qu’est-ce qui coince vraiment ?
La fabrication Made in France est en réalité extrêmement complexe, pour plusieurs raisons. La première, c’est la désindustrialisation. Jusqu’au début des années 2000, la filière textile disposait encore d’un outil industriel assez performant. Malgré les vagues de délocalisation vers l’Asie, plusieurs marques continuaient de produire en France, car les quotas d’importation en provenance de Chine étaient limités. Mais à partir des années 2000, ces quotas européens ont été supprimés, et toute la production encore présente en France a été balayée. Entre les années 1980 et 2000, de nombreux ateliers ont survécu en travaillant avec leurs clients existants ou en gérant la perte progressive de certains. Quand je suis arrivé, en 2011-2012, pour trouver des ateliers, je faisais face à beaucoup de chefs d’entreprise vieillissants dont le principal objectif était la retraite. La formation du personnel était limitée, ce qui rendait difficile toute projection à long terme, on ne trouvait quasiment aucun industriel jeune et dynamique. La majorité avait perdu confiance en la fabrication française, en raison des vagues de licenciements et des départs de clients. Essayer de structurer une offre produit avec une capacité de production évolutive selon les commandes a donc été très complexe, car l’outil industriel ne suivait pas. J’ai néanmoins réussi à trouver un atelier pour accompagner mon développement, avec lequel je travaille depuis ma création.
Est-ce toujours le cas de nos jours ?
Avec la pandémie, on a observé un regain d’intérêt pour la fabrication française, aussi bien du côté des consommateurs que des marques. Mais ce phénomène n’a pas duré longtemps. Dès la réouverture des frontières et la reprise du transport maritime, les marques sont reparties en Asie sans se poser de questions. Aujourd’hui, la situation reste difficile. Si je voulais réduire mes coûts de 30 à 40 %, il me suffirait d’aller au Portugal. Ce serait facile, c’est proche, et ça ne soulève pas trop de questions éthiques. Mais pour moi, il est essentiel de contribuer à la réindustrialisation de notre pays. Pendant des années, on nous a dit que l’Europe penserait, pendant que l’Asie produirait. C’est quand même ahurissant comme idée… À mon échelle, préserver une industrie locale, c’est garantir un avenir à nos enfants. Tout le monde n’a pas l’occasion ou l’envie de devenir chirurgien ou architecte. Il faut aussi valoriser ceux qui fabriquent. C’est une démarche éthique, sociale, et profondément humaine. Et puis bon, un dessous qui a du sens selon moi, c’est un caleçon fabriqué à 200 km de chez moi, et qui ne fait pas le tour du monde (parfois plusieurs fois) avant d’arriver.
Le bon moment, le bon endroit : vous aviez senti venir le retour du made in France ou c’était un pur hasard ?
Non, pas du tout. Je suis simplement arrivé à ce moment-là, à une période où les journalistes s’intéressaient au renouveau de la fabrication française. Quelques années auparavant, Nicolas Sarkozy avait tenté de lancer des politiques de réindustrialisation, puis François Hollande avait lancé avec Arnaud Montebourg le ministère du Redressement productif. C’était vraiment une période où les politiques donnaient l’impression de vouloir impulser un grand coup à ce niveau là.
Avec ce succès, on imagine que vous avez de beaux projets en tête. Que préparez-vous pour la suite ?
En 2025, le commerce est un domaine complexe… Pour se démarquer, nous innovons avec une approche produit différente. Garçon Français propose trois coupes de sous-vêtements avec, chaque année, dix nouveaux coloris : le slip, le boxer court et le boxer classique. Ce sont nos essentiels auquel on a ajouté avec le temps les pyjamas (trop souvent sous-estimés sur le marché de l’underwear, ndlr), mais désormais, nous proposons également des nouvelles coupes avec le caleçon en toile classique ou encore le string… Apparemment, c’est LE segment du marché qui est en pleine croissance, alors on s’adapte ! On a aussi un suspensoir pour les grands sportifs…ou pas.
Par Max Malnuit & Laurence Rémila
Photo Axel Vanhessche