AMBRE SOUBIRAN : « LA BLOCKCHAIN CHANGERA LE MONDE »

Ambre Soubiran kaiko

Dans le business de la crypto depuis ses débuts, Ambre Soubiran, PDG de Kaiko, veut ouvrir la blockchain à la finance classique. Véritable exploratrice des données crypto, elle voit dans cette technologie l’avenir de nos sociétés.Interview tokenisée.

Légende photo : CRYPTO BOSS_ Ambre Soubiran, PDG de Kaiko – scale-up française et leader mondial de la data blockchain – a pour objectif de révolutionner la finance traditionnelle.

Kaiko est aujourd’hui le leader mondial dans la donnée financière sur l’industrie des crypto actifs. Quelle est votre vision sur le long terme ?
Ambre Soubiran : Chez Kaiko, notre ambition est de devenir le pont indispensable entre la finance actuelle et l’écosystème blockchain. Notre vision est d’être l’infrastructure de confiance qui fournit les données essentielles à la prochaine génération d’applications financières, où la transparence et l’efficacité seront au cœur des systèmes.

Kaiko a été fondée en 2014, seulement cinq ans après la création du Bitcoin. Aviez-vous la certitude que ça allait décoller ?
Oui, j’étais convaincue que la blockchain allait devenir une technologie importante dans le futur, et que les acteurs institutionnels allaient commencer à investir dans les cryptomonnaies, en ayant besoin d’accès à des données fiables. Nous avons créé Kaiko pour adresser ce besoin de données sur les crypto-monnaies. Aujourd’hui, nous travaillons avec les acteurs institutionnels sur l’utilisation de la blockchain pour des applications traditionnelles. Au début, c’était vraiment un pari, parce que personne n’y croyait. C’était très spéculatif. Je pensais honnêtement que tout cela nous prendrait moins longtemps, que nous serions déjà plus loin aujourd’hui. Mais je me souviens que j’avais rencontré un investisseur au tout début qui m’a dit : « Tu sais, toi, tu as l’impression que ça va prendre deux ans, mais ça en prendra sans doute dix ». Et il avait raison !

En tant qu’analyste du monde de la crypto, quel conseil donneriez-vous aux journalistes de la rédaction qui veulent se lancer dans la crypto ?
La clé est de s’appuyer sur des données vérifiables plutôt que sur des opinions. Je recommande aux journalistes d’adopter une approche rigoureusement factuelle, en privilégiant l’objectivité face à un domaine souvent submergé par les biais et les émotions. Notre métier consiste à fournir une information fiable et précise – c’est cette rigueur qui permet de distinguer les tendances réelles du simple bruit médiatique.

Vos cryptos préférées du moment ?
J’en citerai trois, Bitcoin, « l’or numérique », Ethereum, « le super computer », et Canton, « le futur de la finance ».

Kaiko, c’est aussi le nom de la sonde sous-marine qui a voyagé jusqu’au fond de la fosse des Mariannes. Votre idée, c’est de combler le fossé entre la finance traditionnelle et la finance numérique ?
On est le véhicule de confiance qui apporte de la donnée à ceux qui ont besoin de l’utiliser. Nos clients sont des acteurs institutionnels de l’industrie financière et la donnée en question, c’est la donnée de la blockchain.

Une innovation dans la finance sur laquelle vous misez ?
On se concentre vraiment sur les applications d’amélioration d’efficacité opérationnelle dans la finance traditionnelle. Nous avons remarqué qu’un grand nombre de choses pourraient être améliorées et nous sommes à l’aube d’une révolution d’efficacité dans la finance. Nous allons vers une finance augmentée : plus rapide, plus sûre, plus intelligente. Et redéfinie par le code et la donnée.

Comment récoltez-vous des informations fiables ?
C’est purement de l’infrastructure technique. On est connectés à toutes les bourses cryptomonnaies. On fait tourner des serveurs pour avoir la donnée des blockchains en temps réel sur les cryptos et les instruments financiers tokenisés. On a 70 % de développeurs dans les équipes.

Et l’IA vous y aide maintenant ?
On a intégré des composants IA un peu partout dans l’organisation. On l’utilise pour augmenter la puissance de nos équipes internes, mais aussi au niveau de la recherche, pour pouvoir être tout simplement plus efficaces et plus précis dans notre manière de travailler.

Comment génère-t-on de la confiance ?
Déjà en présentant de la donnée fiable. On est capables d’apporter à nos clients une transparence sur les structures de marché, sur la profondeur des marchés, l’offre, la demande, etc. C’est précisément cette capacité à transformer la complexité en clarté qui nous positionne auprès des acteurs institutionnels souhaitant naviguer dans l’univers blockchain.

« LE CODE ET LA DATA VONT REDÉFINIR LA FINANCE. »

 

En 2024, vous fêtiez les 10 ans de Kaiko. Comment voyez-vous les 10 prochaines années dans ce secteur ?
J’ai toujours dit à tout le monde qu’il y aurait deux étapes dans le développement de l’industrie de la blockchain. La première serait vraiment les cryptomonnaies et l’investissement des acteurs institutionnels dans la classe d’actifs. Mais la deuxième étape, c’est l’utilisation de la technologie pour des applications industrielles. C’est ça qui est fascinant. Et c’est cela la grande opportunité, notamment pour les acteurs institutionnels. La blockchain, c’est une technologie qui permet d’exécuter du code avec moins d’intermédiaires. Aujourd’hui, la finance traditionnelle repose sur énormément d’intermédiaires et de systèmes différents. La blockchain permet de transformer des contrats financiers en code et d’exécuter ces codes de façon beaucoup plus efficace, transparente et moins chère. Je vois la blockchain comme une technologie qui pourra apporter à la finance traditionnelle la prochaine vague d’innovation, comme la numérisation et l’électronisation de la finance l’a été dans les années 1980-1990. Et nous, en tant que data provider, notre rôle est gigantesque, car les contrats financiers transformés en code ont besoin de data pour fonctionner.

Vous avez plus de 200 clients, quel est le profil type ?
Les acteurs des marchés financiers mondiaux early adopters. Ce sont des institutions financières: banques, fonds d’investissement, infrastructures de marché, prestataires de services. Mais aussi des régulateurs ou des grosses entreprises de l’industrie blockchain. 

Il y a quelques années, vous exprimiez chez Kaiko l’objectif de « couvrir n’importe quel actif financier qui vit sur la blockchain ».
Oui, et nous le faisons déjà. Pour rappel, la tokenisation consiste à rendre un actif du monde réel existant sur une blockchain. On peut tout tokeniser, l’art, les immeubles et évidemment les actifs financiers. Aujourd’hui, tous les tokens qui existent sur des blockchains ont une activité de marché, ils peuvent s’acheter et se revendre. On les couvre d’un point de vue data. On ne touche pas aux cryptos, on ne fait pas de la tokenisation. On fait l’information financière sur tout ce qui est tokenisé.

Depuis 2018, vous vous êtes implantés à Londres, Paris, New York, Singapour… Vous planifiez de nouvelles destinations ?
Oui, au début, le business était entre Londres et Paris. Puis, en 2018, j’ai ouvert le bureau à New York. Et en 2019, juste avant le Covid, on a ouvert le bureau à Singapour. Ça fait maintenant plus de 5-6 ans qu’on est complètement internationaux. Pour l’instant, on est content avec les régions actuelles. Par exemple l’Asie, le Japon, la Corée, etc., on les couvre depuis Singapour. Et les équipes là-bas voyagent pas mal. Nous regardons aussi de très près les Emirats et l’Amérique du Sud.

La crypto est un domaine très fluctuant. Dans quel état d’esprit vous levez-vous le matin pour gérer un tel climat ?
Les joies de l’entrepreneuriat combinées aux joies de la blockchain font qu’un jour, on se réveille en pensant qu’on est un génie et le lendemain, on se dit qu’on est débile. Et ça n’arrête pas. J’ai l’impression que le lot de préoccupations normales d’un entrepreneur, c’est de jamais savoir si on a tout gagné ou tout perdu. J’ai commencé à investir dans les crypto-monnaies en 2012. Il y a des moments un peu difficiles quand les cours s’effondrent. Mais je n’ai jamais renié mon intérêt pour la technologie sous-jacente et la conviction que ça changerait le monde.

En 2022, vous avez levé 53 millions de dollars dans un contexte instable pour la crypto. Aujourd’hui, au vu du climat international, est-ce encore faisable ?
Absolument. Pour l’instant, nous nous trouvons dans une situation financière très stable qui ne nécessite pas de lever des fonds. En revanche, le marché est compétitif et incertain économiquement. Nous pourrons, et nous allons sans doute, relever des fonds d’ici un ou deux ans afin d’être plus agressifs et ambitieux sur notre développement.

Depuis votre création, comment percevez-vous l’augmentation de l’attrait du grand public pour les crypto-monnaies ?
L’industrie de la crypto-monnaie a d’abord été grand public. C’étaient des individus qui achetaient du bitcoin et des cryptos, qui voulaient créer une monnaie numérique propre à internet ou qui voulaient gagner de l’argent rapidement. De ce fait, les institutions financières ont mis beaucoup de temps à se familiariser avec cette industrie. Mais depuis deux-trois ans, les institutions financières, les banques, les régulateurs, etc., commencent à prendre la classe d’actifs au sérieux et à juste titre. La blockchain, la tokenisation, ce sont des technologies absolument fascinantes et qui vont déboucher sur des applications industrielles majeures dans la finance. Et c’est pour ça que je m’intéresse à cet angle pour les dix prochaines années. La question, c’est comment est-ce qu’on s’applique à résoudre des vrais problèmes plutôt que tokeniser de l’art numérique…

Et justement, est-ce qu’un matching total entre la finance classique et la crypto serait possible ?
Absolument. La blockchain sera utilisée de la même manière qu’on utilise aujourd’hui Internet et les systèmes de bases de données ou demain l’IA !

www.kaiko.com

 

Par Robin Lecomte & Serge Adam
Photos Axel Vanhessche