Pourquoi votre masque vous rend (un peu) trop sexy.

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Ah, comme ils vont nous manquer, ces bouts de tissu lavables 25 fois ! Le romancier Oscar Coop-Phane* pense savoir pourquoi…

On lit beaucoup de petite littérature sur les masques. Untel s’en offusque, l’autre est émoustillé. On se demande si tout ça ne sera plus jamais comme avant, si les regards vont se faire plus intenses, plus précis, plus appuyés. On se trouve un peu originaux puisqu’on écrit. Oui, nous, vous voyez, on a le droit de penser bizarrement, de fantasmer tranquille sur une silhouette ou un regard féminin dont on nous cache les lèvres. On a de l’imagination. On est écrivains.
Et moi le premier – pas avant les autres je veux dire, mais moi aussi, je me suis félicité de ces regards échangés d’une nouvelle manière. J’ai adoré me sentir absolument anonyme, pas vraiment obligé de saluer dans la rue une personne qui m’ennuie puisque je peux faire comme si je ne la reconnaissais pas. J’ai adoré inventer les visages des filles que je croisais pourtant réellement. J’ai le romantisme facile – des cheveux longs, une certaine allure, un masque, et mon esprit turbine, au rayon produits laitiers de mon Intermarché. Marque repère et jolie blonde, vous voyez, je pense même à des titres. Incorrigible et crétin.
Ce que je retiens alors, c’est que mon esprit doit fonctionner comme les vôtres et que, admettons-le, non pas comme une originalité, mais comme un fait : il est doux de créer une image autour de celle que l’on nous donne, de fabriquer des formes comme si on les modelait du bout des doigts. Et si l’on trouve du coup un potentiel érotique dingue au masque chirurgical, pourquoi pas. Tant que l’on pourra l’enlever à l’abri des regards, tant que l’on pourra sentir ces lèvres contre les siennes, ça me va.
Je me souviens d’un courrier de lecteur que j’avais lu il y a quelques années dans je ne sais plus quel journal. Le type écrivait sur le voile, expliquant qu’il était farouchement pour, puisque ça l’excitait considérablement. Il adorait imaginer ces cheveux qu’on lui cachait.


ATTRAPER L’ÂME

Avec le masque, oubliez les histoires de laïcité ou de liberté individuelle. On n’a pas d’avis sur le masque. C’est bien tout le problème de l’hygiène. Mais ce qui est fort, indiscutablement, c’est qu’il recouvre la bouche, cet endroit de notre corps qui parle, qui boit, qui bouffe et qui embrasse. Ce n’est pas tout à fait anodin, une bouche. Les cheveux derrière le voile, ok, je comprends l’idée, mais c’est de l’ordre du fétichisme. La bouche c’est autre chose. L’essentiel de nos jouissances passe par là. Les mots, l’amour, l’alcool – trinité, triade ou tiercé.
Que reste-t-il alors ? Les yeux, direz-vous. Ces yeux sans visage chers à Billy Idol. On se permet un regard plus franc, plus direct. J’ai toujours été conquis par les filles qui me regardaient sans minauder – qui me regardaient simplement, sans manière, seulement puisqu’entre êtres humains on se détaille et on s’ausculte. Et alors, certaines intensités vous saisissent admirablement. J’aime que les regards ne soient plus une partie de carte, qu’ils percent droit. Rien d’autre qu’un regard ne peut vous attraper l’âme comme ça. Ça vous saisit de fond en comble et vous êtes pris.
Je le confesse, puisque mes pupilles, comme toutes les autres, mentent difficilement, je prends plaisir à croiser ces yeux que je ne reverrai pas, ces yeux détachés du visage, accrochés seulement à un corps qui file d’un point à un autre. Que ferons-nous, cet été, quand, toutes bouches dehors, les visages retrouveront leurs mimiques, leurs grimaces, leurs mots inutiles et leurs cigarettes ?
Puisque les bars sont fermés et que j’ai le luxe de louer une terrasse sur le côté de mon appartement, je reçois beaucoup chez moi. On ne porte pas le masque. En général, les personnes qui viennent l’enlèvent dans l’ascenseur. Quand elles repartent, plus tard, je les vois l’enfiler. Et je les découvre pour la première fois camouflées. C’est étrange, je ne devrais pas voir ça. C’est leurs vies à elles, leurs vies du dehors, quand je ne dois pas m’y immiscer, qui me sautent au visage. Il n’y a rien de plus privé, de plus intime. Je fais irruption dans leurs existences en dehors de moi, leurs existences dans la rue ou au supermarché. C’est leurs yeux mis à nus – on devine aisément les joies ou les tristesses. Je ne sais pas si ça me plaît. Je ne sais pas si je suis heureux de les comprendre en bloc quand on leur ôte les mots de la bouche. Tout ce que je sais, c’est que je ne devrais pas.

*Morceaux cassés d’une chose (Grasset, 2020)

Par Oscar Coop-Phane
Photo Anaël Boulay
Model : Marion Massat, MakeUp : Diana Bodruh