Marre de payer les hôpitaux, les écoles et les géraniums de rond-point ? Eh bien, pas nous. L’économiste le plus généreux de France vous explique pourquoi.
On a vu apparaître ces derniers temps le hashtag « #cestnicolasquipaie » sur les réseaux sociaux. L’idée défendu par ces partisans étant de dire que Nicolas, une personne lambda qui travaille, est devenu, à cause des impôts qu’on lui prélève, une vache à lait permettant de financer les retraités oisifs, les services publics défaillants, les chômeurs fainéants et les malades imaginaires. La bonne poire Nicolas financerait tout cela, mais ne profiterait de rien. Mais cette image d’un « Nicolas qui paie sans rien recevoir » atteste pour ces partisans d’une grande méconnaissance des bénéfices de l’État social dans son ensemble et du fonctionnement de l’économie.
« TU PAIES POUR UTILISER »
L’État social peut se définir comme la protection sociale, les services publics et les politiques de soutien à l’activité et l’emploi. Les indicateurs les plus utilisés pour le caractériser sont le taux de prélèvements obligatoires et la dépense publique. Des indicateurs qui, en dehors des comparaisons internationales amenant à dire « nous avons le taux de prélèvements obligatoires le plus élevé au monde » ou « nous avons le niveau de dépenses publiques le plus important des pays de l’OCDE », sont plutôt mal compris. Prenons le cas des prélèvements obligatoires (impôts et cotisations sociales), que montrent-ils ? Contrairement à d’autres pays, nous avons choisi de financer notre protection sociale et les services publics par l’impôt. Leur accès est gratuit – on ne sort pas sa carte bleue à l’hôpital – mais ils sont financés par l’impôt. Il est intéressant de comparer le prix que l’on débourserait dans un système privé. Prenons l’exemple d’un accouchement à l’hôpital public en France. Il coûte 2500 en moyenne pour une durée d’hospitalisation de 3 à 5 jours et est intégralement pris en charge par la sécurité sociale (vive la carte vitale). Aux États-Unis, il coute entre 10 000 et 15 000 dollars et la durée d’hospitalisation est de 6 à 24 heures. Au États-Unis, le coût de la santé représente 17 % du PIB contre 11 % chez nous. Elle est également plus inégalitaire, puisque 2 millions d’Américains font faillite chaque année à cause de leurs factures médicales.
Revenons à notre Nicolas. Il a dû naître dans un hôpital public financé par les impôts payés par d’autres. Ses parents n’ont rien déboursé pour l’accouchement. Il a probablement été dans une crèche subventionnée par l’État et fait ses premiers pas sur des trottoirs encore financés par d’autres. Il est ensuite allé à l’école primaire, au collège et au lycée sans sortir sa carte bleue. Il a joué le dimanche au football au stade ou au parc municipal gratuitement. Il a soigné sa première otite sévère aux urgences sans avoir encore versé le moindre euro pour financer l’assurance maladie. Nicolas, avant d’être en âge de travailler, a bénéficié de l’État social. Peut-être que les partisans du « tu paies pour utiliser » veulent-ils réhabiter le travail des enfants de moins de neuf ans comme au début du XIXe siècle ?
Plus sérieusement, une étude de l’INSEE reprenant l’ensemble des transferts monétaires et en nature (services publics, prestations sociales, etc) montre que les deux-tiers des individus y gagnent, c’est-à-dire qu’ils reçoivent davantage en prestations sociales et en services publics qu’ils ne paient de prélèvements. Nicolas pense qu’il finance l’ensemble de la société, mais il y a de fortes chances qu’il reçoive plus qu’il ne finance sans même le savoir.
RAS-LE-BOL FISCAL
Derrière ces attaques contre les mécanismes de redistribution et le financement des services publics, plusieurs idées se cachent. La première, celle de diviser les Français pour des raisons politiques. La droite et l’extrême droite tentent de surfer sur le sentiment de ras-le-bol fiscal, surtout en période d’instabilité budgétaire où certaines personnes se demandent s’ils ne vont pas payer plus d’impôts. Mais vous n’entendrez jamais ces mêmes partis réclamer une augmentation des salaires, une taxation des plus riches ou une lutte contre l’évasion fiscale. Ces partis militent même pour déléguer les prestations sociales et services publics aux assurances privées. Les retraites, un marché à 300 milliards d’euros pour les assurances privées, vous imaginez… La vraie question de fond derrière l’État social et son financement est celle de vouloir ou non la marchandisation de la société. Il faut toujours garder en tête le scandale des maisons de retraite du groupe ORPEA où l’entreprise faisait des économies drastiques pour dégager une rentabilité maximale (profitant aux actionnaires). Les partisans du « c’est Nicolas qui paie » défendent volontairement ou par simple ignorance une société du chacun pour soi où tout – la santé, l’éducation, la vieillesse, etc – devient un business.
Par Thomas Porcher