SYLVIE LEGASTELOIS : « AU COEUR DE L’HISTOIRE »

SYLVIE LEGASTLEOIS

Le 3 septembre dernier, jour de notre entretien, Sylvie Legastelois, directrice de la création packaging et de l’identité graphique, a fêté ses quarante ans chez Chanel. L’occasion de revisiter avec elle les créations les plus cultes de la Maison.

Quels furent vos débuts en 1984, dans ces bureaux de Neuilly-sur-Seine, siège historique de la branche Parfum et Beauté ?
Sylvie Legastelois : J’ai commencé graphiste aux côtés de Jacques Helleu (le directeur artistique de Chanel Parfums à l’époque, ndlr). Je pensais rester un an, puis j’ai été happée par son talent et la beauté de la Maison. Je m’occupais des dossiers de presse, c’étaient mes premières amours. J’étais également peintre, donc je ne voulais pas être derrière un bureau à temps plein. Jacques Helleu, responsable de l’architecture des boutiques de mode à l’époque, m’a alors chargée des vitrines. Je partais en atelier à Paris pour peindre des paravents en trompe-œil. En 1993, au retour de mon congé maternité, il m’a confié la création du packaging et des flacons avec lui. Ensuite, j’ai également fait de la communication, donc l’emballage, le ruban, les sacs, les cadeaux pour la presse, les brochures, et les dossiers de presse. Aujourd’hui mon équipe est composée de 35 personnes, et la communication s’étend jusqu’à la mise en page des campagnes dans les aéroports.

Qu’avez-vous appris avec Jacques Helleu, surnommé « l’œil » de Chanel ?
L’exigence, l’excellence et l’humilité. C’était mon maître spirituel. J’ai été à bonne école de 1984 à 2007, l’année de son décès. Sur un de ses livres, il a écrit que j’étais sa main droite, c’était joli.

Malgré la singularité des flacons du N°5, d’Allure, de Gabrielle, ou de Chance, comment insufflez-vous l’héritage de Chanel dans vos dessins ?
En termes de codes Allure se présente rectangulaire, galbé, avec des chanfreins et une bague autour du bouchon. La bague est un élément qu’on a repris du lait pour le corps Chanel N°5 et du rouge à lèvres Rouge Coco. Cette inspiration a évolué sur le flacon de Chance qui est serti comme un bijou. Sa fiole ronde est enveloppée d’une bague posée comme un bracelet. Lors de sa naissance, il y a 23 ans, cette bague était fabriquée en laiton. Aujourd’hui, pour respecter les enjeux d’éco-conception, elle est en aluminium. Le flacon de Gabrielle, lui, est extrêmement fin pour retrouver l’épure du début du siècle. Je ne voulais pas qu’on voit la marloquette (la goutte de verre au fond du flacon, ndlr). Gabrielle Chanel disait que l’envers doit être aussi beau que l’endroit. Dans son appartement, elle avait une boîte que le Duc de Westminster lui avait offerte. L’extérieur est en argent et l’intérieur en or, c’est du vermeil. C’est cette histoire qu’on a voulu poursuivre sur le packaging de Gabrielle. L’or à l’extérieur est poli et à l’intérieur, il est plus profond. En 2012, pour Noël, nous avons conçu le parfum N°5 tout en rouge. C’était un hommage au tailleur de Carole Bouquet (Monuments, 1986, par Ridley Scott, ndlr), au rouge à lèvre de Gabrielle Chanel, etc. Pour le Bleu de Chanel, son bouchon aimanté permet au logo CC, de se placer automatiquement face à l’avant de la bouteille. Il fallait un code aimanté au fond du bouchon, et au lieu de mettre deux barres inesthétiques, nous avons mis un petit CC. Depuis ce jour-là, ce détail est devenu une véritable identité et il se retrouve dans le fond de chaque bouchon.

En 1970, un alphabet Chanel a été officialisé. Comment travaillez-vous le lexique de cette marque pour enrichir le design de chaque création ?
Je puise toutes mes inspirations au cœur de l’histoire de la Maison. La Mode est toujours une grande richesse d’inspiration pour les couleurs. Le parfum Chance est inspiré des tailleurs roses, le Bleu de Chanel, nous l’avons retrouvé dans les robes de Gabrielle Chanel, mais aussi chez Karl Lagerfeld. Parmi les couleurs de la Maison, il n’y a aucun pantone, elles sont faites sur mesure. Même le papier qui sert au packaging de Chance a été fabriqué pour Chanel. Toute la création est en interne, depuis les champs de fleurs jusqu’au produit final. Nous avons l’habitude de dire : de la fleur, au parfum.

Face aux objectifs de neutralité carbone de Chanel pour 2040, le flacon du N°5 est fabriqué depuis 2021 avec 15 % de verre recyclé. Comment composez-vous pour respecter le plan « Net-Zéro » de la Maison ?
Gabrielle Chanel disait toujours : enlever, jamais remettre. Le less is more, c’est véritablement le credo de la Maison. Nos flacons sont ajustés aux boîtes, il n’y a pas de place perdue. Le rouge à lèvre 31 Le Rouge est notre premier cosmétique tout en verre, sans plastique. Nous avons collaboré avec un maître-verrier japonais. Il est rechargeable pour avoir un produit durable. Sa fabrication nous a demandé quatre années, parce que c’est un vrai challenge de réaliser d’aussi petites pièces en verre. Aujourd’hui, grâce à ce produit, nos fournisseurs japonais et français travaillent main dans la main pour trouver les meilleures technologies durables. Par exemple, la crème Sublimage a évolué en trois temps. Sur notre dernière version, nous avons ôté le maximum de matière, la brochure d’explication est devenue un QR code, la spatule en plastique est en métal, et le pot est réutilisable et se décline en format voyage. C’est très complexe quand on transforme un produit où l’on a beaucoup de fidélisation. Il faut réfléchir à la bonne façon d’intégrer la CSR (Responsabilité Sociétale des Entreprises, ndlr) au cœur de la création. Je pense qu’on peut faire rêver davantage avec des produits que l’on aurait jamais imaginé sans la CSR.

 

Par Anaïs Dubois