Xavier Darcos, chancelier de l’Institut de France mène, depuis 2017, la modernisation et la valorisation du patrimoine. L’académicien et ancien Ministre s’applique à restaurer pour sublimer la langue et les monuments français. Interview cocorico !
L’Institut de France regroupe cinq académies aux missions variées. En quoi consiste la responsabilité de chancelier de l’Institut et quels défis cela représente-t-il aujourd’hui ?
Xavier Darcos : La fonction de chancelier de l’Institut de France est à la croisée de la gestion, de la fédération et de la représentation institutionnelle. En tant que gestionnaire et ordonnateur, le chancelier assume la direction des services, qui mobilisent près de 350 collaborateurs, ainsi que la préservation et la valorisation d’un patrimoine exceptionnel comprenant dix monuments historiques. Cette responsabilité implique la mise en œuvre rigoureuse des recommandations formulées par la Cour des comptes. Les efforts de sincérité budgétaire entrepris en 2022 et 2023 d’amorcer une dynamique de réduction des dépenses et d’augmentation des recettes de l’Institut. Par ailleurs, le chancelier se doit de favoriser le développement des travaux inter-académiques, tout en respectant l’autonomie et la singularité de chacune des cinq académies. Il doit représenter l’Institut de France auprès de ses partenaires institutionnels et lors des travaux menés en collaboration.
L’Institut de France est dépositaire d’un patrimoine exceptionnel. Quels sont les défis liés à la gestion d’un tel héritage culturel ?
Fort de la confiance de grands propriétaires, le patrimoine de l’Institut s’est constitué au fil des siècles, accueillant de véritables joyaux français. Le premier à accorder sa confiance à l’Institut fut Henri d’Orléans, qui nous légua le domaine de Chantilly en 1886. Aujourd’hui, on administre dix sites patrimoniaux en gestion directe ou en concession. La majorité de ces sites sont ouverts au public et abritent des collections de tout premier ordre : le domaine de Chantilly, par exemple, a la seconde collection de peintures anciennes de France après le Louvre, et attire chaque année près de 500 000 visiteurs. La programmation culturelle de ces sites rencontre un succès croissant, témoignant de leur vitalité et de leur rayonnement.
Pour recevoir convenablement le public, il faut entretenir ces lieux. Comment gérer vous leur restauration ?
La conservation, la valorisation, l’ouverture et l’accessibilité de ces lieux sont le cœur de notre mission. Conscient de la nécessité d’entretenir ce patrimoine d’exception, on a engagé une politique ambitieuse de restauration et de planification des travaux. Parallèlement, des interventions ponctuelles sont menées pour répondre aux impératifs de conservation et de sécurité. À plus long terme, on souhaite développer nos sites, à travers le plan « Chantilly 2030 » et un programme ambitieux de travaux à Chaalis jusqu’en 2028, de 15 millions d’euros. Ce chantier suppose également la mobilisation de financements externes, par la voie du mécénat et du soutien de l’État, afin de garantir la préservation de ce patrimoine exceptionnel.
Depuis votre première élection en décembre 2017, vous avez œuvré à la modernisation de l’Institut de France et à la valorisation de son patrimoine. Quelles initiatives ont marqué vos mandats successifs ?
Depuis 2018, l’Institut de France s’est ouvert et modernisé, pour partager plus largement les travaux des Académiciens et accueillir plus de public. Parmi les initiatives marquantes on peut citer l’inauguration de l’auditorium André et Liliane Bettencourt en 2019, tout comme l’ouverture en septembre 2021 de la « Librairie de l’Institut ». La diffusion continue de podcasts en partenariat avec Radio France, l’organisation de conférences, ainsi que des programmations hors murs témoignent de cette volonté de rayonnement. Les commémorations solennelles orchestrées par France Mémoire, consacrées à des figures comme Marc Bloch, François Guizot ou Del Duca, s’inscrivent également dans cette dynamique.
Comment s’est organisée cette modernisation sur le plan interne ?
Une attention particulière a été portée à l’efficacité du fonctionnement institutionnel et à la conformité aux règles du droit public. La gouvernance a été rendue plus collégiale par l’instauration de réunions mensuelles entre le Chancelier et les Secrétaires perpétuels. Une réforme organisationnelle, menée en 2022, a permis de clarifier l’architecture administrative de l’Institut, désormais structurée autour de dix services. La professionnalisation des équipes a également renforcé notre capacité à répondre aux missions. Chaque site patrimonial dispose désormais d’un administrateur général doté d’une délégation, garantissant une gestion de proximité et une plus grande réactivité. Cette réforme, en voie d’achèvement, vise à nous doter d’une organisation moderne et efficace. On a renforcé la conformité de sa gestion avec l’adoption d’un nouveau règlement et une réduction à moins de cent fondations.
Vous êtes également membre de l’Académie française depuis 2013. Quel rôle doit jouer l’Académie pour préserver la langue française selon vous ?
Les nouvelles technologies et les médias sociaux posent la question de la modification très rapide par la numérisation et la globalisation. La langue française à la chance d’avoir une syntaxe élaborée et codifiée à la suite d’une longue histoire. Elle peut avoir du mal à s’adapter à cette réalité. L’Académie française est bien consciente que la langue est un patrimoine vivant. Elle doit veiller à la préserver et à l’aider à s’adapter dans une logique de progression, et non de régression. Cela signifie ne pas céder à l’éphémère, à l’instantané, au gré des modes. L’Académie doit se concentrer sur ce qui dure et se maintient. Un élément qui intervient dans la définition de l’usage : il faut accepter qu’il puisse se créer, mais ne pas le dénaturer et le sacrifier sur l’autel de la fugacité.
Quels sont ses outils pour la promouvoir ?
l’Académie doit continuer à montrer l’importance de sa mission aux yeux des locuteurs, et se positionner comme un acteur central. Sa position, autant actuelle qu’historique, fait toute sa force et sa pertinence dans le débat public. Nous devons créer des ponts avec la jeunesse, qui hérite de la langue et portera la charge, qui est aujourd’hui la nôtre, de la transmettre. L’Académie française doit accompagner les changements. Elle doit faire preuve d’une écoute bienveillante nécessaire à ses positions rigoureuses, mais surtout parvenir à se doter des bonnes armes pour les guider.
Vous avez été ministre de l’Éducation nationale et ambassadeur pour le rayonnement du français à l’étranger. Comment votre expérience politique influence-t-elle votre mission au sein de l’Institut de France ?
Mon expérience politique permet de renforcer la position de l’Institut dans le paysage institutionnel et de favoriser de nombreux partenariats. À l’image d’un ministre ou d’un ambassadeur, mon rôle est de fédérer, dans le respect de l’autonomie des académies. Il faut favoriser le développement des travaux interacadémiques. Chacune des cinq compagnies est indépendante et joue un rôle normateur dans les différentes disciplines dont elle assure le rayonnement. L’indépendance ne signifie cependant pas l’isolement. L’interdisciplinarité et le croisement des regards sur un même thème font notre originalité et notre force.
Par Robin Lecomte