WILL SMITH, ANGRY MAN : FAUT-IL SÉPARER LE NANAR DE L’ARTISTE ?

will smith

L’ex-Prince de Bel- Air ne sera certainement pas le dernier people à fauter publiquement. Alors, comment punir – de manière sévère mais juste – les prochains ? Nos pistes.

Revenons deux secondes sur les faits. L’acteur Will Smith, déjà nommé par deux fois aux Oscars, pour Ali et À la recherche du bonheur, assistait tranquillement à la dernière cérémonie organisée par l’Académie pour son rôle dans La Méthode Williams (King Richard) – un biopic sur l’ascension des championnes de tennis Serena et Venus. Sauf que cette fois-ci, Will allait, enfin, obtenir la statuette dorée du meilleur acteur. Alors forcément, la gifle qu’il avait donnée quelques minutes plus tôt à l’humoriste Chris Rock, lequel s’était risqué à faire une blague sur le crâne rasé de son épouse, Jada, atteinte d’alopécie (Chris ne savait pas), a fait jaser. 

Sentant le scandale arriver, l’intéressé avait quand même pris soin, à l’instant où il s’emparait de sa récompense bien méritée, de présenter des excuses qui n’en étaient pas vraiment : « L’amour vous fait faire des choses folles », a-t-il déclaré alors, pensant sans doute éteindre le feu qu’il venait de déclencher. Mais depuis, une avalanche de sanctions s’est abattue sur le malheureux oscarisé : interdit de toute cérémonie ou de tout événement, même virtuel, organisés par l’Académie pendant dix ans (pourquoi pas cinquante !), Will fait maintenant face à la suspension du tournage de Bad Boys 4, produit par Sony, qui venait juste de débuter, et à l’arrêt de la production du film Fast and Loose, côté Netflix. Et si Emancipation, qui devrait sortir sur Apple TV+ fin 2022, n’est pour l’instant pas déprogrammé, on ne saurait dire avec précision ce que sera le coût total de cette satanée claque… 

Même Jim Carrey, qu’on aurait imaginé plus coulant – lui qui donne des beignes à tous les méchants qu’il croise dès qu’il enfile un simple masque en bois –, a choisi d’enfoncer le clou, en se disant « écoeuré » par la standing ovation qu’avait reçue Smith lorsqu’il était venu chercher sa récompense, le jour de la cérémonie. « Moi, j’aurais annoncé que je poursuivais Will pour 200 millions de dollars, parce que cette vidéo sera là pour toujours ». Bah, faut pas déconner avec Ace Ventura !

Heureusement, certains essayent de prendre un peu de hauteur par rapport à l’événement. C’est ainsi que Michael Bay, réalisateur de Transformers, qui avait dirigé Will dans les deux premiers Bad Boys en 1995 et 2003, a confirmé qu’il serait prêt à retravailler avec l’acteur, « à 100% », en ajoutant que c’était « quelqu’un de très stable ». 

L’ÉCHELLE DES PEINES 

Mais au fond, ce qui est sans doute le plus intéressant dans l’histoire, c’est le pourquoi de la gifle : après tout, Chris Rock avait-il le droit de se foutre de la gueule de la femme de Smith avec une remarque sur son physique ? Et du coup, fallait-il « cancel » l’humoriste pour propos inappropriés ? On assisterait alors à une double cancelation, en mode poupées russes : je dis une connerie, je suis canceled, mais entre-temps la victime de la blague se rebiffe et me fout une claque, puis se fait elle-même canceled… Bizarre ? Pas tant que ça, étant donné qu’en matière de politique des sanctions médiatiques, tout est encore à écrire…
 

« EN MATIÈRE DE POLITIQUE DES SANCTIONS MÉDIATIQUES, TOUT EST ENCORE À ÉCRIRE… » 

 

On est aujourd’hui en droit de se demander si ce n’est pas le cadre de la culture du Cancel qui est totalement à revoir. En mettant plus ou moins sur le même plan les violences sexuelles, la haine raciale et une foutue gifle (ou l’insulte sur le physique, au choix), n’est-on pas exactement en train de détruire l’essence même qui avait présidé à l’essor de ces mouvements à leurs débuts, c’est-à-dire la publicisation des actes les plus graves et les plus attentatoires à la dignité humaine ? Car si l’on considère, et c’est le principe de la culture du Cancel, qu’il faut évincer des gens de l’espace public en dehors du strict cadre juridique – qui fait apparaître, par exemple, des cas de prescription des actes en cause –, il conviendrait en toute logique de hiérarchiser l’échelle des peines « médiatiques », de la même manière qu’il en existe une dans le Code pénal. En clair : une gifle ne devrait pas avoir les mêmes conséquences qu’une agression sexuelle, du point de vue du niveau de cancelation qu’il s’agit d’appliquer… Mais la difficulté, c’est qu’en matière d’image publique et de réputation, la demi-mesure n’est pas concevable : qu’est-ce que serait une personnalité publique semi-canceled, pour avoir commis un acte « peu » ou « moyennement » grave ? 

On pourrait peut-être établir un barème : 
– un verre par terre (comme Milla Jovovich) = un bannissement pendant six mois
– un verre jeté à la gueule (comme Arno Klarsfeld) = un an de bannissement
– une petite insulte (connard, salope) = deux ans
– une grosse insulte (pédé, pute) = trois ans 
– un crachat au visage (comme Kate Winslet dans Titanic) = cinq ans
– une gifle, donc = dix ans
– une agression sexuelle = perpétuité. 

Et le juge, dans tout ça, bah ça pourrait être nous, les spectateurs ébahis, et un tantinet navrés d’avoir à assister à ça. Tout en le remerciant de nous épargner les prochains nanars boursouflés de l’ancien Fresh Prince de Bel Air. 


Par
Tom Connan