WEB3 POUR TOUS : LES ANARS DE LA BLOCKCHAIN

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Vous pensiez que le Bitcoin et la crypto étaient dead ? Vous feriez mieux de vous réveiller un peu. Il se pourrait bien que le web 3.0. soit sur le point de tout avaler. Explications.

C’était il y a quelques mois. Galvanisé par le tsunami crypto, j’avais bossé sur plusieurs projets de NFT – des petits Jpg et des séries de vignettes plus ou moins identiques –, dans l’espoir de pouvoir écouler mes sympathiques œuvres auprès des investisseurs du net. Sauf que voilà, je n’étais pas exactement le seul à tenter l’aventure, et même si je commençais à capter une bonne partie de ce que je lisais sur Twitter à ce sujet, on était en fait des millions à essayer de se lancer dans le game. Malgré tout, je continuais à creuser, en naïf explorateur.

Mais lorsque le marché a commencé à s’effondrer, l’ensemble des Bitcoins perdant 900 milliards de dollars de valeur entre novembre 2021 et juin dernier, je me suis dit que j’avais tout simplement loupé le coche, et que mes petits Jpg allaient sans doute me rester sur les bras. Surtout que l’Ethereum, la deuxième plus grosse cryptomonnaie après le Bitcoin, qui permet justement d’échanger des NFTs, était pour sa part accusée, à juste titre, d’avoir une empreinte carbone trop lourde pour pouvoir assurer sa pérennité. Bref, la crypto dans son ensemble me semblait aller droit dans le mur, et pas simplement à ma simple échelle individuelle.

Entre-temps, le marché a commencé à se redresser, et l’Ehereum a annoncé à tambour battant une mise à jour de son système – « The Merge » – censée pouvoir réduire sa consommation d’énergie de 99,9 % « au moins ». Et surtout, je continuais à voir sans cesse autour de moi des marques et des grandes banques prendre des positions de plus en plus durables dans le Web3 : la Société Générale s’est lancée dans la crypto dès 2018 avec sa branche « Forge », Nike a vendu des milliers de baskets virtuelles sous forme de NFT au printemps dernier avec le studio RTFKT, et je viens d’apprendre qu’Hermès a déposé sa marque pour couvrir désormais des applications métavers et NFT… Bref, la tendance se poursuit plus que jamais. Et derrière, il n’y a pas que du business qui se joue.

« LA BLOCKCHAIN EST UNE ARCHITECTURE MULTI-DIMENSIONNELLE QUI ASSURE UN RÔLE DE TIERS DE CONFIANCE. »

 

PAR-DELÀ LA CRYPTO

Le projet crypto a toujours prétendu aller au-delà de la simple alternative aux monnaies d’État avec, comme étendard, le Bitcoin. Et depuis que le secteur se développe à vitesse grand V, l’expression « Web3 » est privilégiée de plus en plus souvent : il s’agit, au-delà des questions d’argent et d’investissement, de fabriquer un système digital alternatif entièrement autonome, qui soit géré de façon décentralisée. La blockchain ne saurait se réduire à un mécanisme de validation des transactions : c’est une architecture multidimensionnelle qui peut assurer un rôle de tiers de confiance pour n’importe quel type de décision. Y compris, le cas échéant, pour des choix politiques. 

Parce qu’en effet, grâce à ses propriétés de transparence et d’horodatage, qui permettent de retracer l’historique de chaque mouvement, la blockchain rend pensable l’émergence d’un monde virtuel ouvert et transparent, où les informations qu’on veut sécuriser sont protégées efficacement comme dans un coffre-fort – en dehors de tout contrôle étatique direct. Et si le gouvernement américain a déjà tenté, avec plus ou moins de succès, de réguler le secteur – en interdisant notamment le protocole controversé dit « Tornado Cash » qui mélange plusieurs smart contracts en empêchant une bonne traçabilité sur l’origine des fonds –, une prohibition générale des cryptos semble illusoire : les sommes investies sont colossales, et les États ont peur de légiférer dans un sens qui entraînerait une perte de confiance chez les utilisateurs. 

DÉVELOPPEMENT INÉLUCTABLE

Pour cet ami rescapé de la Silicon Valley, le Web3 est un phénomène « instoppable et inéluctable ». Un peu comme pour les téléphones portables, où le produit s’est progressivement imposé alors qu’il ne répondait pas à un besoin antérieur, ou comme aujourd’hui avec les voitures autonomes : c’est l’offre qui crée sa propre demande, laquelle en devient ensuite dépendante… De fait, les usages de la blockchain sont illimités : monnaie d’échange, monnaie de réserve (le Bitcoin jouant le rôle de valeur refuge), identification d’actifs digitaux (grâce aux NFTs), et, bien sûr, stockage sécurisé des données de toutes sortes. Et demain, avec le développement des monnaies numériques de banque centrale, ce sont les banques traditionnelles qui pourraient se faire évincer, dans l’hypothèse où les utilisateurs se détourneraient d’elles pour effectuer leurs transactions courantes en monnaies virtuelles. 

Mais alors, le monde de demain pourrait-il être un univers à la Blade Runner, avec des décisions entièrement gérées par des robots et des algorithmes sans intervention directe des États ? Le projet d’un troisième monde, et d’une alternative à la fois à l’autoritarisme et à la démocratie, est-il sur le point d’éclore ? Dans un contexte où les États souffrent d’une grave crise de confiance, quand certains ne se montrent pas carrément défaillants (l’Argentine, le Liban), la blockchain peut parfois jouer le rôle d’ultime recours en permettant aux citoyens de sortir de systèmes politiques corrompus ou instables. L’enjeu n’est pas mince.

Pour autant, les freins d’accès au Web3 sont encore bien présents, avec des barrières à l’entrée notables, ne serait-ce que pour comprendre ses mécanismes élémentaires. À ceci près que les « vieux » d’aujourd’hui maîtrisent déjà tous – ou presque – leur smartphone… Alors pourquoi pas demain la blockchain ? 

Le risque, dans tout ça – au-delà des pannes électriques ou des bugs –, reste celui de tout projet d’inspiration anarchiste : la perte de contrôle, et le détournement de son usage au profit d’intérêts privés, ou financiers, avec des énormes détenteurs de bitcoins qui pourraient imposer leurs vues aux autres… Si demain l’on décentralisait la gestion, par exemple de la Sécurité sociale, sur la blockchain, garderait-on le même niveau de protection et d’égalité d’accès que l’on a aujourd’hui dans un pays comme la France ? Rien n’est moins sûr. 


Par 
Tom Connan
Illustration Kenzo Lauriat