Frédéric, ex-footballeur et Joseph, un œil de lynx qui dévore le sport et la mode, ont fondé L’AM en 2020. Une agence qui connecte meilleurs athlètes et maisons prestigieuses.
Comment a débuté la création de L’AM ?
Frédéric Vilches : Nous avions une vraie vision. Nous voulions faire un pont entre le sport de haut niveau et l’esthétisme et élever l’image des champions et championnes. C’est une vision partagée avec Joseph, que j’ai rencontré quand j’allais au Grand Prix des Rolex Masters. Il se rendait à Cannes pour photographier Charles Leclerc. Tout de suite, il y a eu des atomes crochus entre nous. J’avais l’agence déjà depuis un an et nous nous sommes associés quelques mois après ce déjeuner.
Joseph Degbadjo : Dès les premiers échanges avec Frédéric nous avions la même manière de voir les choses. Nous cherchions le beau chez les athlètes. C’est-à-dire qu’ils se sentent bien mentalement, physiquement et esthétiquement. Par exemple, j’ai shooté Zlatan Ibrahimović pour un magazine et le brief artistique de la couverture c’était de le mettre dans un environnement avec des ballons, etc. J’ai tout changé, car on savait déjà que c’était un joueur de foot, donc il fallait aller chercher autre chose. C’est cette exigence qui a créé par la suite des ponts entre lui et des marques.
Vous avez senti une évolution après ce shooting avec Ibrahimović ?
JD : Il y a vraiment eu un avant et un après. Quand nous avons travaillé ensemble, il n’avait que le statut de joueur de foot. Ensuite, il est devenu ambassadeur de deux marques de luxe, et récemment il a fait la couverture de GQ Italie en tant que directeur sportif de l’AC Milan. Normalement, dans le foot, c’est très cadré : le directeur s’occupe des affaires sportives mais on ne le voit pas dans des magazines de mode. D’ailleurs, ça nous a fait dire que l’on pourrait représenter des personnes de l’institution sportive. Une entraîneuse ou un directeur sportif, ce sont des profils qui peuvent servir l’image d’une marque.
Comment la mode et le sport se complètent-ils ?
FV : Un athlète doit s’entraîner dur, se lever tôt le matin, performer et toujours innover, créer. S’il n’est pas bon, il ne joue pas. Dans la mode, les DA font face au même niveau d’exigence et de rigueur. S’ils ne performent pas et qu’ils ne font pas vendre, ils peuvent être transférés, comme dans le sport.
En janvier, pendant la Fashion Week homme, on a aperçu Cameron Woki que vous représentez au premier rang du défilé Sacai. L’athlète de haut niveau est-il le nouveau visage du luxe ?
FV : Ils apportent leur univers et sont guidés par la performance. Ils ont une aura. À l’époque, les athlètes n’avaient pas de tribune où s’exprimer en dehors de leur discipline, on les voyait en tenue de sport seulement dans L’Équipe ou France Football. Il n’y avait donc pas de raison de les choisir, car ça n’allait pas influencer les ventes. Aujourd’hui, grâce aux réseaux sociaux, ils sont aperçus avec leur style. Ils deviennent des influenceurs intéressants pour les Maisons. Et surtout ils font vivre des émotions. C’est la clé.
Sara Balzer est ambassadrice de Dior et Élodie Clouvel est au premier rang des défilés Hermès. Comment définissez-vous les projets qui sont pertinents ?
FV : Notre fonctionnement est très structuré, unique dans l’écosystème du sport, nous procédons en trois étapes. La première, le positionnement ; nous travaillons l’image de l’athlète, nous l’ancrons dans un univers cohérent avec sa personnalité en le plaçant sur les bons événements. Nous le mettons en lien avec les marques qui partagent ses valeurs, que ce soit dans la mode, le luxe ou d’autres secteurs qui investissent dans le sport. Ensuite, une fois cette image construite, nous développons des collaborations créatives avec pour objectif de générer des partenariats rémunérés. Nous voulons éviter le piège du simple placement de produit, il s’agit de créer une vraie relation entre le sportif et les marques avec une vision à long terme. Notre objectif ultime, que la carrière après le sport rapporte plus que celle passée sur le terrain.
Les JO ont renforcé les liens entre les Maisons et les sportifs. Avec Roland Garros on observe que ce sont de véritables théâtres de démonstration pour le luxe. Ces espaces sont-ils devenus les nouveaux front rows ?
JD : Ce sont des espaces publicitaires gigantesques, qui leur permettent d’être une vitrine en dehors de leurs propres événements. Ce sont des scènes d’émotion et de valeur. Les marques l’ont compris : elles investissent ces lieux non pas pour vendre, mais pour faire vivre une expérience inaccessible avec leurs meilleurs clients, leurs égéries, leurs ambassadeurs. Elles ne veulent plus seulement vendre un produit, elles veulent créer du lien affectif. C’est là que nous intervenons. Nous transformons un moment vécu en message stratégique.
Les manifestations des relations entre mode et sport ont toujours existé : Lacoste est passé du vestiaire de tennis à une marque de lifestyle, Michael Jordan et la Air Jordan, le défilé YSL au Stade de France pour la Coupe du Monde de 1998, et désormais les athlètes comme égéries… Comment s’invente le futur entre ces deux sphères ?
FV : Je verrais bien Lewis Hamilton DA d’une maison de mode !
JD : Il y aura de la casse. Beaucoup veulent faire du sport un levier marketing, mais peu en comprennent la noblesse. Ceux qui réussiront seront ceux qui respecteront les codes du sport comme une culture, pas comme une tendance. Certaines maisons ont encore peur. Mais elles craqueront. Parce que les chiffres sont là. Parce que l’émotion est là.
Par Anaïs Dubois et Laurence Remila
Photos Axel Vanhessche