Stallone, le dernier Hercule

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Il est revenu, il a vu, il vaincu, on l’a interviewu. Rencontre avec Stallone, un mythe refondé, grâce aux Expandables et à Creed 2 et Rambo V. 

Dans la famille des « mythes du cinéma d’action », je demande Sylvester Stallone : les costauds qui définit une époque, un genre, une génération. 

ARNOLD & WILLIS

Le destin de Sly, son génie, sa croix : avoir inventé, défini, incarné une idée de cinéma et de l’alpha mâlitude, y compris dans ses demi-bides.

Dans The Expendables, on peut dire qu’il fait semblant. Au nom de son désir de la jouer collectif, il fait mine que d’autres gros bras, 80’s ou non, sont à son niveau. Dolph. Mickey. Jason. Jet. Et puis aussi Arnold et Willis, pour faire le poids sur la balance de la nostalgie 80’s. 

Tous ceux-là sont des stars, immenses, parfois plus grandes que lui. Mais le fait est que tous sont expendables (sacrifiables), sauf lui. Parce qu’il est un mythe – sans doute même deux –, quelque chose qui dépasse de beaucoup la célébrité, le succès, la réussite, les records. Il est une incarnation. On dirait qu’il le sait.

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ADRIAAAAAAANNNE

Comme Wayne, Lee et Eastwood, Stallone a une histoire proche de la fable. Paralysie faciale contractée à la naissance, rictus étrange, voix brisée en mille morceaux, un soft porn au moment des vaches les plus maigres, puis l’écriture d’un des plus beaux films de sport de tous les temps, qui détermine son destin d’underdog infatigable, fonçant comme un taureau dans le rouge des gants de ce sale frimeur d’Apollo Creed. Ironie, ici, dans le fait que ledit Apollo est inspiré de Mohamed Ali, et le petit Balboa, de l’anonyme Chuck Wepner, qui tint quinze rounds contre un Ali vieillissant en 1975.

L’écran de cinéma devient donc un miroir mythologique inversé et Stallone a l’idée grandiose d’en faire son paradis trouvé, où les derniers – comme lui – seront les premiers. Pour cela, il lui fallait à tout prix le rôle-titre de Rocky, la légende dira qu’il s’y accrocha comme un chien à un os, alors qu’il semble bien qu’il n’ait JAMAIS été question de le refiler à un autre acteur. John G. Avildsen (très mauvais cinéaste par ailleurs) signe là-dessus l’un des plus beaux films américains des années 70, l’un des seuls qu’on puisse qualifier de parfait. Les quartiers de viande, le synthé de Bill Conti, ce putain d’escalier qui n’en finit plus, les abdos jusqu’à dégueuler, le bonnet sur la tête de con, l’uppercut de fou qui lance le combat, Adriaaa aaaannne, le grand verre d’œufs crus avalé cul sec, les millions de dollars, les Oscar, tout est bien qui commence tellement bien que c’en est inquiétant.

 

LOSER INVINCIBLE

Nous sommes en 1976 et Stallone a déjà gravé son nom au fer rouge sur le cuir de cette vache à lait de pop culture. Ce qui est gravé aussi, dans le marbre de sa mâchoire indestructible, c’est l’aspect chrétien de sa démarche et de sa vision du petit peuple américain. Plus ça ira, plus il poussera cette (il)logique vers une certaine folie, notamment celle de Rambo (1982-2008), personnage invincible mais qui perd à chaque fois, totalement paumé jusqu’au dernier épisode où il peut enfin rentrer chez lui.

Parce qu’il n’est pas vraiment « élu », si ce n’est par lui-même, le destin de Stallone ne peut se lire que comme une revanche, une preuve aux sceptiques, un retour en grâce perpétuel après avoir succombé aux pires tentations et au veau d’or de sa propre idolâtrie. Alors il se crucifie, prend toute la misère du monde sur ses épaules et dans sa chair, devenant un monstre sulpicien, moins messianique que christique. Il ne sauve pas, il souffre, Sly, dans son corps et dans son cœur. Il bouge, meurt pas mais ressuscite. Et à chaque fois, il chiale à la fin, comme une merde ou comme un homme, quand tout est perdu ou qu’il peut enfin se laisser aller.

Pourquoi se spécialiser dans les rôles de gros bras ? « Ça a été un accident. Déjà parce que ça n’existait pas, les films d’action. Il y avait des scènes d’action, pas des films d’action. Tu penses à l’Inspecteur Harry, c’est un thriller à suspens. Steve McQueen dans Bullit ? Il y a juste une poursuite en voiture, et puis basta. En faisant Rambo, je n’avais pas réalisé qu’il y aurait 80% d’action, pour une raison simple : ce n’était pas le concept, juste le résultat de l’histoire. Si tu y penses, dans Rocky, il y a quoi ? Six minutes de boxe ? Dans Rocky II, encore 90% de drame. C’est Rambo qui a tout changé, sur un coup de dés, puisque le film avait failli se monter avec une bonne dizaine d’autres acteurs, comme McQueen, Nick Nolte, Newman, Pacino… Voilà, ça a été le début. »

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TENUE PARAMILITAIRE EXIGÉE

Enfin, ça, c’est dans les bons films, dans les bons moments, quand il ne se goure pas de chemin. Le reste du temps, il faut admettre qu’il fait souvent n’importe quoi, inventant un surhomme absurde, aux membres apparents aussi veinés que celui qu’il cache dans son slip, une créature dégénérée, pathétique, brinquebalée de nanars en sous-merdes, une star hollywoodienne à qui la revanche, justement, a fait tourner la tête du mauvais côté. 

Là, oui, se trouve l’autre Stallone, celui qui oublie d’où il vient – les années 70 – pour ne se rappeler que de là où il s’est vu arrivé – les mid-80’s. Mais peut-être est-ce justement son salut, ou un réflexe, quand il est en haut, de se saborder de façon spectaculaire pour se contraindre à tout recommencer non pas à zéro mais encore en dessous, tout en bas, tel un Sisyphe qui se condamnerait lui-même pour l’éternité à son propre supplice. Parce que ce n’est qu’à ce prix que son mythe prend sa pleine signification.

« J’appartiens autant aux 70’s qu’aux 80’s. Ma sensibilité, le moment où je suis devenu un homme, tout ce que je sais du cinéma vient de cette époque. Je fais moins la différence entre les deux qu’entre les mecs de cette génération et ceux qui ont 20 ans aujourd’hui, dont la sensibilité, le rapport à la technologie, au sexe et à la politique est très différent. Je me vois comme une créature du passé qui comprend le futur. »

Ceci posé, c’est quand même sympa et assez élégant de sa part d’avoir invité tout ce petit monde dans The Expendables, pour un last hurrah jouissif à la gloire du cinéma bourrin qu’il a inventé il y a une tren-taine d’années. Pour ce film, Stallone joue le rôle de l’hôte. « Vous êtes invité à un film de castagne entre amis, il y aura de la bière, des tatouages, des Harley et des bras cassés. Tenue paramilitaire exigée. » Sly reçoit. Il a dressé la table et mis les petits plats dans les grands, avant les claques dans la gueule.

PALIER MYTHOLOGIQUE

Depuis son retour en 2007 après trois ans de réflexion, il a changé son fusil mitrailleur d’épaule, et de calibre aussi. Systématiquement scénariste et réalisateur des trois films qui ont suivi, de loin ses meilleurs depuis… allez… 25 ans (Copland ne compte pas), il a encore franchi un palier mythologique supplémentaire, pour devenir un homme-cinéma total. Acteur, on peut juste pas lutter, il a dans le cadre la présence d’une montagne dressée au milieu d’une prairie. 

« Je crois que tout le monde s’accorde sur le fait que je suis un meilleur acteur à présent, parce que j’ai passé dix ans dans les ténèbres à enchaîner les bides et que ça fait qu’il y a plus d’émotion et de densité dans mon jeu et dans ce que j’écris. En sortant de la projo de The Expendables, Bruce Willis m’a dit : « Je n’arrive pas à croire que tu dises : “Je me suis fait botter le cul” dans le film », parce qu’un héros de film n’est pas censé dire ça. Mais la réalité est la suivante : dans les 80’s, je pouvais affronter des géants énormes et m’en tirer. A mon âge, si je me bats avec un type comme Steve Austin, je me fais botter le cul. Toujours cette notion de crédibilité. »

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Scénariste, il a retrouvé la clé de son équilibre, la vulnérabilité, accentuée par le sentiment de fatigue sous ses yeux et par la façon dont ses épaules ploient sous la difficulté de la tâche à accomplir. Réalisateur, personne ne s’aligne, il est aujourd’hui, et de loin, le plus efficace, le plus brutal et le plus limpide du genre. The Expendables n’a même pas besoin d’être totalement bien, il doit juste être bon. Bonnard.

Au moment de faire le service, comme tout hôte attentionné, il réserve les meilleurs morceaux (de bravoure) à ses convives, qui n’en demandaient pas tant. Est-ce que Jet Li donne des coups de pied ? Oui. Statham casse-t-il des gueules ? Oui, les enfants, des tas. Et Arnold lui offre un cigare en balançant deux punchlines. Sly, lui, se contente d’être là, heureux que la fête soit réussie. Revenu de l’enfer et à ce qu’il fait de mieux, on a l’impression que, pour la première fois, il profite sereinement de la vue depuis le haut de la colline, sans éprouver le besoin de tout flanquer par terre. 64 ans, meilleur que jamais. Expendable, mon cul.

Louis-Henri de La Rochefoucault et Gaëlle Bantegnie