SKATIN’ THÉO

Théo Christine technikart

On le connaissait fringuant Joey Starr dans Suprêmes (2021), puis colérique dans Vermines (2023), Théo Christine apparaît changé dans le Ollie d’Antoine Besse. Locks jusqu’aux hanches, il traîne la démarche boiteuse de son punk à chien de personnage le long d’un parfait film de skate.

Ollie raconte l’amitié naissante entre en gamin en deuil et Bertrand, un marginal qui l’initie au skate. On y découvre tes talents sur la planche à roulettes, mais originellement on connaissait surtout ton amour du surf… Les deux sports sont similaires ?
Théo Christine : Complémentaires, pas similaires. Quand tu tombes, tu te fais beaucoup plus mal en skate… Quand j’étais petit et à fond dans le surf, j’allais skater s’il n’y avait pas de vagues. Certains mouvements se ressemblent, on a l’impression de glisser de la même façon. J’habitais en Vendée, dans une petite ville où il n’y avait pas grand-chose à faire. L’activité principale restait la mer. En lisant le scénario de Ollie, cet univers de champs, où il n’y pas pas énormément de choses à faire, m’avait interpellé, ça me parlait beaucoup. De créer ce film autour du skate, ça me ramenait un peu à ma vie d’avant. Ce lien qui se crée à travers le sport : qu’il soit collectif ou individuel, forcément, ça crée des amitiés. Dans le film, il y a aussi ce cadre familial détruit, qui fait du skate un moyen d’évasion.

Pour Bertrand aussi c’est un moyen d’évasion ?
Surtout un moyen de créer du lien. On peut dire beaucoup de choses de Bertrand, que c’est un mec un peu brisé par la vie, qui a absolument besoin de se reconstruire, et de retrouver un chemin. Mais moi, je dirais que c’est surtout un mec seul. Bien sûr, il y a ses chiens, mais en termes de contact humain, c’est quelqu’un qui s’est laissé dériver dans une solitude très sombre. Il a besoin de cette petite étincelle que tu trouves avec quelqu’un, à travers des passions comme le skate, des sports..

Ollie prouve que le film de skate est un genre à part entière, avec en parangon Wassup’ Rockers de Larry Clark (2006) et Mid 90’s de Jonah Hill (2019)… Pourquoi selon toi ?
À mon avis, l’univers très punk, très libre du skate y est pour quelque chose. C’est hors des sentiers, ça fait du bruit, ça dérange. C’est sûrement la raison pour laquelle beaucoup de jeunes adorent le skate aujourd’hui, et les films de skate. Quand tu en fais, tu ne penses plus aux problèmes de la vie. Tu penses juste « il faut que je trouve ce spot, il faut que je rentre ce trick et il faut qu’on filme ». Et puis ça recommence, parce qu’une fois que tu as réussi un trick, tu veux tenter le prochain. Et tout ça avec des amis qui aiment la même chose. Quand tu es jeune, c’est magnifique.

Les skateurs ont pour habitude de filmer leurs sessions et leurs voyages, puis de les poster avec une musique qui leur est propre. Tu t’es inspiré des vidéos d’un skateur en particulier pour la gestuelle ?
J’étais doublé par Moose, un skateur Supreme, sur certains tricks parce que je n’avais pas le niveau pour les faire. Donc j’ai essayé de beaucoup le regarder, de me caler sur lui pour qu’il n’y ait pas de différences quand c’était mon tour de skater. Antoine [Besse] m’avait aussi donné beaucoup de références de grands skateurs comme Tom Penny, un peu trash, old school, qui ont des styles très décontractés, très volatiles. C’est ce qu’on voulait pour le personnage de Bertrand. Je me suis donc entraîné à adopter cette démarche, cette position lâche… J’ai aussi tâché de me caler sur Moose, un skateur Supreme et mon doubleur sur quelques tricks..

« EN ACTING, C’EST RARE QU’ON VIENNE TE CHERCHER POUR T’EMMENER À L’OPPOSÉ DE CE QUE TU ES… »

 

Tu as fait la couverture de Technikart en novembre 2021, pour ton rôle dans Suprêmes, biopic de NTM. Tu nous confiais alors que Joey Starr était devenu une sorte d’obsession pour toi, avec laquelle tu vivais au quotidien. Le phénomène s’est reproduit pour Ollie ?
Ce travail à long terme avec le réalisateur permet en tant qu’acteur d’être à la genèse du projet. Avec Antoine Besse, on a travaillé des mois durant sur la démarche, l’accent de Bertrand. J’ai porté ses locks longues avant que la version finale du scénario ne soit terminée. Ça me permet d’être à la base de ce qui se raconte et de quelle manière il faut le raconter. Se poser ces questions-là quatre, cinq mois avant le tournage laisse le temps au personnage de mûrir. Et je jure que quand tu travailles sur un rôle ou un texte, si tu le joues une semaine plus tard, tu vas avoir une ou deux propositions de jeu. Mais après un mois, tu auras huit chemins différents, et certaines mimiques vont t’échapper. Quand j’ai vu Suprême ou Ollie, mes passages préférés sont des mouvements que j’ai faits par inadvertance, en me laissant porter. Le diable est dans les détails, c’est le plus important pour moi. Et la seule manière d’y arriver, c’est d’avoir du temps pour travailler ton imaginaire en amont. Ce qui est intéressant là-dedans, c’est qu’Antoine était prêt à prendre un mec comme moi, qui sort d’un Suprêmes, d’un Vermine, pour jouer ce gars brisé. En acting, c’est assez rare qu’on vienne te chercher pour t’emmener à l’opposé de ce que tu es. Ça demande un investissement, des répétitions. C’est une chance qu’en France on commence à avoir des réal’ qui n’ont pas peur de te prendre à un endroit pour t’emmener à des kilomètres.

Pour Suprêmes, tu allais taguer, tu traînais tout le temps dans la rue, tu faisais du freestyle, du rap. Pour Ollie, quelle était ta routine hors tournage ?
J’ai beaucoup skaté seul, j’ai beaucoup traîné avec des vrais punks à chien, des vrais marginaux qui ont cette vie-là. C’est ça qui m’aide à appréhender vraiment ce mode de vie, ces choix. Et au bout d’un moment, là où avant j’aurais pu juger, avoir un discours ignorant, désormais je comprends. Et une fois que moi, j’ai saisi le sens de tout ça, c’est mon taf d’apporter cette compréhension au monde. Le personnage de Bertrand est inspiré d’un ami d’enfance d’Antoine [Besse], qui est décédé. On essayait donc de coller à ce modèle un peu lointain, de raconter ce mec avec ses longues locks. Cette démarche un peu boiteuse que j’ai mise en place, c’était pour signifier ce corps cassé, brisé par la vie et les excès…

Tes trois derniers films Vivre, Mourir, Renaître, Magma ou Ollie sont des drames. En fait, tu n’as jamais été dans des films très légers…
Je vais peut-être plus vers l’émotion et le drame parce que j’ai l’impression que ce sont des histoires nécessaires. C’est ça aussi, le cinéma, non ? Apporter de la clarté là où il n’y en a pas. J’aime bien me dire que je fais des films pour que des gens réfléchissent à un sujet et changent d’avis. En tout cas pour qu’ils ouvrent leur esprit. C’est là que je me sens utile. En expliquant les actes, les ressentis de personnes qu’on ne prend pas en compte habituellement, une forme de pédagogie.

Et pour la suite ?
On a tourné la saison 2 de BRI en avril dernier, elle arrive bientôt. Je serai aussi dans une série Arte, Quelqu’un devrait interdire les dimanches après-midi, réalisée par Isabelle Coixet… Et je rejoins le casting de Dumas : Diable noir, de Ladj Ly, produit par Dimitri Rassam !

Ollie, d’Antoine Besse, en salles le 21 mai


Entretien Adèle Thiéry
Photos Axel Vanhessche