Ce vendredi, le comédien-réal’ Ruben Alves revient avec la saison 2 de « Escort Boys », sa série aussi sensuelle que smart (diaponible sur Prime Video). À l’affiche de notre torride numéro de juin, il s’est prété au jeu de l’interview vérité…
« Elle a besoin de tendresse, que tu la rassures, que t’occupes d’elle. Sois un parc d’attractions ! » Cette citation tirée de la seconde saison d’Escort Boys montre l’ambiguïté de l’escorting. Une pratique de l’intimité souvent réduite à une impulsion libidineuse (il s’agirait de passer commande sous le coup d’une pulsion animale). À l’opposé, avec Escort Boys, Ruben Alves l’utilise pour nourrir une réflexion sur nos pratiques sexuelles, et interroger l’étendue du désir, ses limites pratiques, sociales, psychologiques et corporelles. Le réalisateur franco-portuguais reprend la formule de la première saison, sortie en décembre 2023. À chaque épisode, une cliente est interprétée par une actrice-guest (c’était Rossy de Palma, Zahia Dehar, Carole Bouquet ; c’est désormais Josiane Balasko, Clara Morgane, Marisa Berenson). Chacune d’entre elles à des demandes, plus ou moins originales, plus ou moins honteuses pour elle-même ou pour nous-mêmes ; elles sont les vedettes de Ruben Alves, le sujet principal de chaque épisode, car elles lui permettent de traiter des enjeux de société. Harcèlement au lycée, pornographie, manque de confiance en soi, fantasme honteux, désirs jamais assouvis… Même si Escort Boys n’est pas une série réaliste, qui prendrait l’escorting comme sujet d’étude, elle en dépeint les aspects méconnus. Les quatre escorts de la série, interprétés par Simon Ehrlacher, Corentin Fila, Guillaume Labbé et Thibaut Evrard, sont davantage psychologues que bêtes sexuels. Ils accompagnent des clients en manque d’affinités, en proie à des désirs en lutte contre leur morale ou celle des autres, voire contre les a priori des escorts eux-mêmes – le « désirer comme un homme » est confronté aux envies plurielles des femmes. L’escort est tout à la fois « parc d’attractions » et sujet tendre, rassurant, à l’écoute. Ruben Alves est pédagogue, il veut montrer la variété des demandes, des besoins et des physiques dans un style populaire, léger, même chevaleresque.
Mais quid de la psychologie des escorts eux-mêmes ? C’est le thème de cette nouvelle saison. Le personnage interprété par Corentin Fila rêve de s’émanciper de son milieu social avec l’argent « facile » des passes. Il se trouve confronté aux pulsions déviantes d’un couple. Esclave, mais maître de leurs désirs, il renverse la situation pour les humilier – il y a chez le réalisateur, l’envie de faire triompher le juste. Sont également traités l’opposition entre amour et pratique d’une sexualité plurielle, le pouvoir et la manipulation par le sexe, mais aussi le sujet central est l’addiction. Aucune source de plaisir n’est anodine ; que faire lorsque par elle nous retrouvons la fierté qui avait disparu de notre vie ? C’est toute la question soulevée dans cette série, à l’objectif clair : ouvrir et nourrir une discussion sur le désir et les plaisirs plutôt que de les normer.

Josiane Balasko, Marisa Berenson, Thibault de Montalembert, Mina Kavani et d’autres… À chaque épisode de cette seconde saison, son guest. Et une découverte, l’actrice Leopoldine Huyghues Despointes.
La première saison d’Escort Boys est sortie fin 2023, longtemps après avoir été tournée et terminée. Comment s’est déroulée la production de cette seconde saison ?
Ruben Alves : Ça n’a pas été classique. Je viens du cinéma et l’idée de partir sur une saison 2 n’est pas dans mon ADN.
La fin suggérait qu’il y aurait une suite pourtant ?
Bien sûr, parce que j’aime terminer sur un événement qui maintient éveillée l’imagination du spectateur. Mais concrètement, je n’étais pas dans l’optique de faire une seconde saison. C’est la connexion créée avec les acteurs lors du premier tournage qui m’a donné envie d’y retourner. En fait, je ne voulais pas faire de suite, sans avoir quelque chose à dire de plus. Sauf qu’on a toujours quelque chose à dire sur le désir, l’amour, ses travers…
Qu’est-ce que le format série t’apprend ?
En tant que réal’, c’est un boulot monstre. Dans les séries, il y a souvent plusieurs réalisateurs, et ce n’est pas pour rien. Or moi je travaille de façon assez artisanale, de l’écriture à la réalisation. Le fait d’avoir plusieurs épisodes, entrelacés, demande plus d’organisation. J’ai appris à faire vite, à être plus efficace. C’est une lutte perpétuelle.
Plus importante en créant une série qu’en faisant un film ?
Beaucoup plus, oui. Pour une saison 2, encore pire ! J’avais une exigence d’image, avec des moyens qui ne suivaient pas. Donc, il faut gérer le fait de se remettre en question tout le temps sans avoir le temps pour ça. Au cinéma, tu as le temps de poser ta caméra, ton scénario et tes plans. Là, non. Il faut faire. C’est comme si tu faisais quatre films avec le timing d’un seul. Il faut avoir les nerfs bien accrochés.
Ça te donne envie de refaire une série ?
Je suis friand du format de la mini-série. Mais là, j’ai très envie de tourner un film, ce que je suis en train de préparer au Portugal.
Dans Escort Boys, on suit quatre hommes escort, qui grandissent moralement et sentimentalement au gré de leurs amitiés mais aussi de leurs passes. Comment as-tu organisé la coordination de l’intimité sur le tournage de cette série ?
Sur chaque contrat, on propose aux acteurs et aux actrices s’ils souhaitent la présence d’une coordinatrice d’intimité. Aucune actrice de cette saison 2 n’en a demandé, de même que les acteurs en général n’ont pas exprimé le souhait d’y avoir recours. Au départ, j’étais même plutôt opposé à l’arrivée sur les plateaux de tournages de la coordination d’intimité.
Pourquoi ?
Parce que j’avais peur de perdre le côté organique d’un tournage ; de perdre, également, une certaine responsabilité – mon exigence, mon attachement à l’élégance et mon mépris pour la vulgarité. Finalement, je trouve très bien que ça existe pour les acteurs qui le souhaitent.
Dans Escort Boys, les personnages changent en se confrontant à leurs désirs sexuels. Jusqu’où nous définissent-ils ?
Je ne sais pas si le désir sexuel nous définit. Dans la première saison, le plaisir d’une femme boulangère est d’être accrochée en chibari. Si cette femme, évoluant à la campagne, le dit autour d’elle, peut-être qu’elle sera mal jugée. Ce qui m’intéresse, c’est l’envers du décor. Je suis beaucoup sorti la nuit pour ça. Elle représente la possibilité pour les gens d’explorer et de s’explorer eux-mêmes. J’ai aimé le film Pédale douce, (Gabriel Aghion, 1996, ndlr), qui mettait en scène des gens de bureau, bien habillés, propres, installés socialement, qui la nuit se travestissaient. Faire le travelo ou faire des passes ne te définit pas. Parmi mes amis prostitués, beaucoup sont pudiques, tandis qu’il existe bon nombre de personnes vulgaires, mais au bon poste dans la société, très clean. Tout est une question d’élégance.
C’est ce que tu aimes filmer ?
Une personne qui est en train de se mettre en danger par rapport à son intimité, je trouve que c’est beau et que c’est intéressant à filmer. Dans cette seconde saison d’Escort Boys, Josiane Balasko interprète une cliente toute en nuance. Elle veut vibrer en se faisant surprendre. Alors, elle commande un escort et lui demande d’entrer masqué, sans prévenir. Finalement, patatra… Ça ne prend pas et on ne comprend plus ce qu’elle veut vraiment. Parce qu’un fantasme, c’est difficile à avouer à quelqu’un d’autre, et même à accepter pour soi-même. Certes, à propos de la sexualité, la parole s’est libérée. Mais les jeunes me semblent de plus en plus se replier sur eux-mêmes. Une interview de l’acteur et réalisateur Artus m’a à ce propos touché lorsqu’il a parlé de ses expériences de bisexualité, avec le poids que ça implique, parce qu’on ne t’identifie plus aux normes de l’hétérosexualité ou de l’homosexualité. J’aime la nuance.
En faisant Escort Boys 1 et 2, t’adresses-tu à un jeune public en particulier ?
Non, je ne m’adresse jamais à une certaine tranche d’âge. J’ai d’ailleurs davantage de retours de femmes âgées qui sont touchées. Les trailers de la série sont explosifs, trash, ils peuvent peut-être faire peur, donner l’impression que ce sera très cul et sexy. Or la série s’étend davantage sur l’exploration des sentiments et leurs conséquences émotionnelles. En tout cas, je ne m’adresse pas aux jeunes ados avec cette série, mais plutôt à des jeunes adultes avec tout ce que la découverte des fantasmes implique.
Dans un épisode, le personnage interprété par Marysole Fertard, la sœur d’un des escorts et qui organise leurs passes, dit, à propos d’une cliente : « Elle a besoin de tendresse, que tu la rassures, que tu prennes soin d’elle. Sois un parc d’attractions. » Est-ce cela qui te fascine chez les escorts, qu’ils soient à la fois un réconfort psychologique et affectueux et des parcs d’attractions, c’est-à-dire un rêve intense et court ?
Oui. On te commande pour une journée ou une heure, tu dois donc être un parc d’attractions. Mais dans cette seconde saison, j’aborde l’envers. Les escorts doivent évidemment mettre de côté toutes leurs problématiques personnelles pendant les passes, et tout l’intérêt est de voir comment ils gèrent cette duplicité.
Sais-tu si les services d’escorting évoluent pour être, comme dans Escort Boys, le moins impersonnels possible, et d’être l’inverse même de la pornographie ?
Depuis très longtemps, l’escorting est beaucoup plus que du sexe. Aujourd’hui, on donne aux gens l’illusion qu’ils contrôlent. L’uberisation du monde te fait croire que tout est accessible, disponible et à ton service, car n’importe qui désormais peut avoir un chauffeur et être important. De même avec les applications de rencontre. Ce n’est pas évident d’aller vers quelqu’un, de séduire, mais c’est ça la vie, c’est ça qui est génial, c’est de ne pas savoir si ça va marcher ou pas. Ce qui fait l’essence de la vie, c’est d’accepter l’effort. Or, tout est aujourd’hui conçu pour supprimer l’effort.
On pourrait penser ça de l’escorting. Tu as envie de faire l’amour, donc tu commandes quelqu’un. Mais tu montres dans la série que ce n’est pas le cas du tout.
C’est tout ce qui m’intéresse, effectivement. Le personnage de Balasko l’exprime. Elle veut être bousculée par un inconnu cagoulé. Mais ça ne se passe pas très bien… Là, on rentre dans la vraie vie. Que fait-on maintenant ? Le petit coup ni vu ni connu ne m’intéresse pas. En revanche, la confrontation entre deux humains, oui. En cela, la pratique de l’escorting est intéressante pour moi, parce qu’il y a plusieurs layers, strates et profondeurs à explorer.
Quelle différence entre l’escorting et la prostitution ?
Dans l’escortisme, il y a autre chose que du sexe et du plaisir animal. Il faut de l’écoute, une attention. C’est du plaisir, mais c’est savoir comprendre pourquoi derrière il y a cette demande de plaisir, et savoir entendre et s’adapter.
Sur les sites d’escorting, on est surpris par la précision des descriptions que les escorts écrivent eux-mêmes, suffisamment pour savoir si une affinité psychologique est possible avec toi.
Il y a des argumentaires et des descriptions qui sont tout l’inverse de ce que tu peux t’imaginer. On est très loin du cliché : « Salut. Bien membré. » Ils et elles doivent faire fantasmer.

Le rêve de Ruben Alves ? Faire découvrir le cinéma portugais au monde entier avec un prochain film dans son ADN populaire et léger.
BLAZER SLIM CALVIN KLEIN
La saison 1 d’Escort Boys avait pour intérêt principal de se mettre du côté des clients, à travers le point de vue de femmes différentes les unes des autres. Cette fois-ci, le sujet principal, ce sont les escorts eux-mêmes et comment ils gèrent ça par rapport à leur vie. L’un d’entre eux n’y arrive plus.
Oui, il commence à se lasser d’être une simple machine sexuelle, qui, en plus, s’est toujours refusé à croire en la possibilité de tomber amoureux. Mais il en rêve. Le reflet des clientes, le choc de certaines pratiques, le fait évoluer.
La sociologue Marie Berström a supervisé une enquête sur l’évolution des pratiques sexuelles chez les jeunes entre 20 et 29 ans (La Sexualité qui vient, éditions La Découverte). L’un des résultats importants est que la fréquence des rapports sexuels a peut-être diminué, mais ils sont plus variés. C’est aussi ce qu’on voit dans Escort Boys, avec un panel de demandes allant du BDSM au plan à trois.
Il y a une curiosité beaucoup plus développée que chez les générations précédentes. Mais peut-être que c’est un cycle, parce qu’il y a eu les années 1970… En revanche, ce qui est très différent, c’est qu’aujourd’hui les jeunes découvrent ou peuvent découvrir la sexualité beaucoup plus tôt.
En tant que réalisateur, avec une série comme Escort Boys, as-tu l’impression d’avoir également un rôle de pédagogue, un Sex Education pour couple trentenaire ?
Je veux questionner. Quand la formidable actrice Leopoldine Huyghues Despointes, en fauteuil roulant, exprime qu’elle aussi a une vie sexuelle et qu’on la voit se débrouiller au quotidien, se préparer et se faire belle, oui, je pense que ça étonne. Le personnage de Ludo, l’escort qu’elle a commandé, est d’ailleurs fasciné, il ne sait pas comment s’y prendre, il a peur de la briser. Mais la tendresse qui se dégage à la fin de cette séquence agit comme une forme de pédagogie. De même quand je montre des actrices très rondes ou les besoins d’une femme mature, ou enceinte. Je ne m’en rends pas compte, je ne le verbalise pas et je ne me prends pas la tête avec ça, mais je pense que c’est en moi, oui. Forcément, puisque tu fais une image qui va être vue, tu as un rôle à jouer. Mon but, c’est de ne jamais choquer.
Pourquoi ne veux-tu pas choquer ?
Évidemment, pour quelqu’un de prude, il y a des scènes qui peuvent choquer dans cette seconde saison. Mais elles n’ont pas été pensées pour cela, mais pour interpeller, montrer des désirs différents, et sortir des caricatures sociales qui enferment le désir du côté du bien ou du mal. Dans la saison 1, le personnage de Carole Bouquet le montrait bien. Enfermée dans une grande maison, dépendante des cartes de crédits de son mari, elle se sentait plus prostituée que les escorts.
Dans la série, les limites, tu les explores avec le personnage de Corentin Fila, mêlé à un couple où la femme est sous l’emprise de son mari.
Oui, interprétée par Cristiana Reali et Thibault de Montalembert. Elle a accepté les fantasmes de son mari pour lui plaire. Quand tu vas de plus en plus loin, trouver ce qui t’excite est difficile. C’en devient une addiction.
Tu m’avait justement dit, après la première saison, que tu voulais désormais parler d’addiction. C’est finalement un thème majeur dans cette seconde saison.
C’est proche de moi, c’était très important d’en parler. Dans Escort Boys, c’est le personnage a priori le moins enclin à devenir accro au sexe qui tombe dedans. C’est un jeune papa, marié, qui a perdu sa fierté et qui la retrouve avec l’escortisme et le plaisir des femmes.
La fierté joue beaucoup dans la nuit également, où il est plus facile de rencontrer et de plaire.
J’ai une particularité, c’est que je ne me suis jamais drogué et je n’ai jamais bu d’alcool. Ça perturbe énormément les gens de la nuit, parce qu’ils ne comprennent pas, et parce que ça leur renvoie un reflet désagréable d’eux-mêmes. Ils te disent que t’es pas drôle…
Un thème que tu voudrais aborder pour une saison 3 ?
La sexualité des seniors, mais c’est très touchy, parce que ça peut vite faire risible ou glauque. Mais je trouve ça merveilleux et c’est complètement absent de nos imaginaires. Par ailleurs, dans Miss, j’avais traité de la question du genre et de l’intersexualité, sans aborder la sexualité, pour ne pas perdre le public. J’aimerais également le faire. Après, je suis quelqu’un de très pudique, alors je ne sais pas si je vais vouloir continuer à parler sexe… Je me suis bousculé pour Escort Boys !
C’est-à-dire ?
Chacun a son intimité et je suis très pudique dans ma vie privée. Alors, en écrivant, en filmant, en dirigeant des scènes tournant autour de la sexualité, oui, ça m’a bousculé. Les acteurs m’ont fasciné à ce propos, à être totalement à l’aise avec leur corps.
Tu prépares en ce moment un film au Portugal…
Ce sera une satire sur la gentrification, avec les mariages de Saint Antoine à Lisbonne, dans l’esprit de l’émulation américaine de Mariage à la grecque.
C’est un beau défi.
Le cinéma portuguais n’a pas d’industrie forte. C’est un cinéma d’auteurs, arty, qui ne sort pas commercialement. Et je compte bien changer les choses avec mon film. Au Portugal, les genres sont bien séparés – le théâtre, les novelas et le cinéma se mélangent très peu. Moi, je veux mélanger les genres et les acteurs. Vive les mélanges, vive la nuance !
Escort Boys, sortie le 13 juin sur Prime Video
Entretien Alexis Lacourte
Photos Axel Vanhessche
DA Matthias Saint-Aubin
Set Design Hugo Jean
Stylisme Anaïs Dubois
MUA Antoine L’Hebrellec