Raquel Garrido : «Bruno Roger-Petit m’a tuer !»

L’ex-pétillante porte-parole de la France Insoumise (et Chroniqueuse aux terriens du Dimanche) est devenue la femme à abattre pour les anti-Méluche (l’Elysée, les médias et les cocos). Toujours debout Raquel ? 

Cette année, vous avez été épinglée par le Canard pour votre logement HLM, pour des arriérés de cotisations dus à la caisse de retraite des avocats, et pour une dette à l’Urssaf. Que vous vaut cet harcèlement palmipède ?

Raquel Garrido : C’est de l’acharnement ! D’habitude, quand le Canard sort une affaire qui concerne un homme ou une femme politique, les autres politiques viennent tous en rajouter. Dans mon cas, pas un seul n’est monté au créneau. C’était une vindicte uniquement médiatique, ça ne m’était jamais arrivé.

Les terriens du dimanche

Vous pensez que c’est dû à votre participation aux Terriens du dimanche ?

Sans aucun doute ! J’ai eu à affronter une corpo qui ne voulait pas que je vienne dans son petit monde. En plus je n’ai jamais dit que je voulais être journaliste, j’ai toujours été claire là-dessus. J’ai quand même le droit de faire cette émission, merde !

On vous reproche surtout le mélange des genres : poser des questions à Édouard Philippe en pleine conférence de presse, etc.

C’est une question intéressante, non, de savoir qui a écrit les ordonnances Macron ? Des journalistes auraient pu la poser, mais ils ne l’ont pas fait. C’est ce qui les a énervés.

L’histoire de l’appart, aussi. (Raquel Garrido a dû quitter le HLM de 80 m² – pour un loyer de 1240 euros – qu’elle partageait avec son compagnon le député [FI] Alexis Corbière, ndlr.)

De ma vie je n’ai jamais été élue et il faut que je justifie d’où je vis ?

Alexis Corbière

Votre compagnon, peut-être …

Alexis n’était plus élu à partir de 2014 ! Nous avons toujours été dans les critères d’occupation de l’appartement. Nous l’avons obtenu pour des raisons objectives, sans passe-droit. Puis Alexis a été élu député cet été. Nous avons signé une offre d’achat immobilier début septembre. Nous avons en fait été très rapides et diligents, contrairement à ce qui a été dit.

Quand une de ces vieilles histoires ressort dans Le Canard, vous avez une idée de comment elle a atterri chez eux ?

Oui, bien sûr : ce sont forcément des confrères. Tant qu’on était contre Hollande, tout ce petit Paris nous adorait, qu’ils soient de droite, macroniste, de gauche… Depuis que Macron est président, c’est fini.

Ça s’est fait naturellement selon vous, ou c’est orchestré ?

J’ai l’intuition que l’arrivée de Bruno Roger-Petit (le chroniqueur-star est devenu porte- parole de l’Élysée en septembre dernier, ndlr) a changé beaucoup de choses.

Ce bon vieux Bruno Roger-Petit ?

Oui, j’imagine que c’est ça son vrai rôle. Il est là pour organiser la conversation, pas pour mener un quelconque combat public. En politique, ce qui compte, c’est de maîtriser de quoi parlent les gens. C’est le véritable enjeu. Avant ces attaques, les gens se demandaient : « Macron est-il le président des riches ? » Et BRP, en sortant des trucs sur les « islamo-gauchistes », sur moi, il a réussi à changer la conversation. C’est du BRP tout craché ! Il a des relais parmi les députés et au sein des organes de presse qui le suivent dans ces petites campagnes de dénigrement …

C’est fou, je tombe des nues. Je me faisais un film complètement différent, je me disais que c’était un règlement de comptes entre cocos.

Sur le logement, il y a bien sûr le communiste Ian Brossat à la mairie de Paris. Mais on retrouve surtout une ex-strausskahnienne devenue macroniste : Frédérique Calandra, la présidente de la RIVP (le bailleur social de la ville de Paris, ndlr).

Et BRP pour le reste, donc.

Je pense qu’il est en train d’utiliser tout son entregent, son réseau, sa compréhension du monde médiatique et de ses petites failles pour faire du buzz pour le buzz. Il a très bien compris tout ça et, en plus, il a une réelle culture politique, ce qui fait qu’il peut toujours donner une patine de véracité à ce qu’il sort. Quand il a été choisi, ce jour-là je me suis dit : « OK, la guerre commence. Elle sera sale, et dure. » Et ça n’a pas manqué. Peut-être que je me trompe mais, sinon, quel est le rôle de BRP ? À part convaincre des journalistes de taper sur les adversaires du président ?

Et quand cette demi-phrase attribuée à Mélenchon sort dans les médias, disant que lui aussi en a marre de Garrido, c’est encore Bruno ?

Celle-là, je ne sais pas ! Jean-Luc et moi on était affligés. Évidemment, aucun journaliste n’a cherché à parler à Jean-Luc Mélenchon, qui n’a jamais prononcé cette phrase. C’est un type anonyme qui aurait rapporté le truc.

Et ça a suffi à envoyer la flèche …

Largement ! Aujourd’hui si tu mets Mélenchon et Garrido ensemble dans un titre ou un tweet, c’est tout bénef ! Quand tu vois ça, tu te dis que les médias sont aux abois, ils ne savent pas comment faire pour ramener les clics chez eux. On est dans un système hyper concurrentiel où la presse se voit mourir, elle traverse une crise existentielle, et moi je leur mets le nez dedans. Je ne suis pas journaliste et je me retrouve à commenter l’actualité, à poser des questions pendant les conférences de presse, et je fais un peu l’éditorialiste, ce qui représente quand même l’essentiel de ce que font les types à la télé qui se disent journalistes. Finalement, quelle est la place du vrai journaliste ? Celui qui fait vraiment l’enquête ? À qui donne-t-on vraiment encore le temps d’enquêter ? C’est un vrai problème démocratique.

Lire aussi : Charles Consigny, le réac le plus sympa de Paris ?

Et sinon la télé, ça se passe bien ?

Très bien ! Ce n’est pas juste un talk. On porte des sujets, qui donnent lieu à des débats entre nous. Là, je suis retournée voir les Fralib dans les Bouches-du-Rhône. Ils ont mené une lutte de 1 336 jours contre Unilever pour empêcher la sortie des machines et récupérer l’usine pour eux. Ils ont une marque, 1 336, vendue en grande distribution mais aussi en bio de luxe. Je suis allée les voir pour savoir s’ils arrivaient à faire tourner une usine sans patron. Et ils vont bien, un peu stressés mais ils vont bien.

ENTRETIEN OLIVIER MALNUIT, PHOTOS JULIEN GRIGNON

à retrouver dans Technikart #218, décembre 2017