PASCAL GAUTHIER, LEDGER-BOSS : « LA CRYPTO ? UN NOUVEAU LUXE ! »

Flamboyant PDG de Ledger, la licorne française qui propose de stocker et gérer nos biens cryptos, Pascal Gauthier, est l’une des principales figures françaises du Web3. Entretien méta-normal avec un homme qui vise une valorisation de sa boîte à 100 milliards. De quoi crypto-rêver…

Ledger, dont tu es le boss depuis 2017, valorisé à un milliard, est l’un des acteurs majeurs de l’ère méta. Quelle est, selon toi, la différence fondamentale entre le fait de vivre des vies additionnelles sur nos profils et applis existants, et le métavers qui se profile ?
Pascal Gauthier : Avec ces profils, on va migrer progressivement vers le métavers : ça deviendra ton Instagram, ce seront tes photos, et ce sera constitutif de ce que tu es digitalement. La raison pour laquelle ce n’est pas encore le Web3, c’est que demain, si Instagram ferme ton compte, c’est fini. Toutes les plateformes sont en train de réfléchir à ce switch. Ton handle Twitter, ou Instagram, à la fin, ce devrait être un NFT, il devrait être à toi. C’est cette bascule qui est en train de se faire.

Et les NFTs sont-ils un phénomène pérenne selon toi ?
Les vagues d’adoption technologique se passent toujours un peu de la même manière. Si tu regardes Internet ou le bitcoin, c’est toujours un pic, un crash, puis une longue montée vers le haut. Internet, c’était le pic en 2000, c’était allé jusqu’à presque dix trilliards de valeur, ça a crashé, ça a perdu 90 % de sa valeur et depuis, tout bascule sur Internet. Quand une nouvelle technologie arrive, il y a un moment d’emballement, puis un doute, et finalement, ça s’installe. 

Et pour les NFTs ?
Si on réfléchit à l’art, le geek en moi n’avait jamais bien compris l’art digital (avant le NFT), parce que quand on te vend un CD, qu’est ce qui me dit que t’en as pas printé 1000 à côté ? Maintenant, avec la technologie NFT, on le sait avec certitude. 

C’est la raison pour laquelle « cryptoactif » semble être une expression plus intéressante, parce qu’il y a autre chose que simplement l’art derrière.
Nous, en 2017, quand on définissait la vision et la mission de Ledger, on avait appelé ça les actifs digitaux critiques. On avait compris qu’il n’y aurait pas que Bitcoin et que ça s’appliquerait à tout ce qui a de la valeur. Dans le futur, tout ce qui est unique sera associé à un NFT ou à un jeton cryptographique (token). Ensuite, est-ce qu’il y a des vagues de spéculation à un moment donné ? Oui.

Ce qu’il faut en retenir ?
Quand il y a des phénomènes de cette ampleur, il y a toujours un peu de bruit, des choses qui ne sont pas vraies. Il y a des œuvres d’art qui se vendent aujourd’hui à des prix extraordinaires, demain ça ne vaudra peut-être pas ce prix-là. L’histoire nous le dira… Par contre, la vague technologique est là, et elle emportera tout.

Ledger est le leader dans la sécurisation de la crypto. Peut-on vraiment supprimer le risque de vol ?
Aujourd’hui, oui. Mais le risque zéro n’existe jamais et le risque, c’est souvent l’utilisateur. La meilleure solution de sécurité aujourd’hui, c’est Ledger, mais ça n’économise pas le fait que l’utilisateur soit prudent, prenne le temps de faire son éducation, parce que ce sont les deux côtés de la même pièce. C’est pour ça que nous faisons beaucoup de contenus éducationnels, avec des vidéos. Tout est sécurisé dans ton Ledger, par contre si tu reçois un mail disant « salut donne-moi tes 24 mots » (qui composent le mot de passe de la clé Ledger, ndlr) et que tu dis OK…

Est-ce que noter ses mots (sa seed phrase) sur un bout de papier stocké dans un lieu très sûr, c’est déjà une bonne sécurisation, dans un premier temps ?
C’est chacun qui doit gérer sa sécurité comme ça l’arrange… Moi je dirais de ne jamais garder les 24 mots au même endroit. 

En 2022 on a l’impression que la crypto va devenir plus physique, avec les portefeuilles physiques, mais aussi avec les cartes de paiement comme votre CL card. 
Oui, parce que ça donne un côté tangible, à la crypto. En plus il y a quelque chose de très réel derrière, un hardware wallet, c’est de la sécurité physique. La partie Secure Element, la partie « hip-and-pin », c’est ça qui fait la sécurité. C’est assez bouleversant comme idée de se dire que la sécurité du digital se fait à partir d’éléments physiques. Il y a d’ailleurs parfois une mauvaise conception de notre monde digital, parce qu’on dit que tout est software alors que c’est absolument faux, tout est hardware d’abord, et ensuite software. 

Aujourd’hui, on se dit encore qu’il faut convertir la crypto en fiat monnaie (euro, dollar…) pour nos consommations courantes. Est-ce que la crypto-monnaie peut devenir un moyen de paiement autonome, selon toi ?
Est-ce que demain on pourra payer avec des cryptos directement ? Oui, c’est déjà le cas aujourd’hui, au Salvador tu peux déjà payer directement en bitcoin au McDonald. Ce qui existe davantage aujourd’hui, c’est : j’ai de la crypto et au moment du paiement, la crypto est convertie en euro, en dollar, etc… à la fin, ça revient un peu au même tout ça, parce que c’est juste des histoires de trésorerie. 

J’ai l’impression qu’il y a un mouvement de GAFA du Web3 qui est en train de se créer. Est-ce que ce n’est pas problématique, cette centralisation qui arrive dans un univers qui se veut à l’origine décentralisé ?
Ce qui est important, c’est qu’à la fin, l’utilisateur ait ses actifs, du moment que les services que tu utilises respectent ça, il n’y a pas de problème à ce qu’à un moment donné, une partie du game soit centralisé. Ce qui est bien avec la décentralisation, c’est que tu es toujours à un clic de pouvoir utiliser un autre service. Aujourd’hui, si la plateforme de NFT OpenSea fournit un bon service, c’est bien, mais demain tu peux emmener toute ta collection en une connexion à partir de ton hardware wallet sur n’importe quelle autre plateforme. 

Est-ce que pour les artistes, le Web3 change vraiment la donne par rapport à ce qu’il se passe déjà sur le Web2 ?
Ça va changer quelque chose d’assez fondamental. L’autre question c’est : quand ? Dans le monde des jeux vidéo, tu as plein de gens qui dépensent de l’argent, avec une espèce de pyramide et quelques super gamers tout en haut qui gagnent des sommes importantes. Si tu prends World of Warcraft, tu as toute une économie qui existe d’ores et déjà. Donc à quoi sert le Web3 pour jouer à ce jeu ? Ça sert à ce que toute cette économie soit « streamlinée », que ce soit plus efficace que ça ne l’est aujourd’hui. Tu pourrais « tokeniser » l’ensemble des interactions entre tous les joueurs, depuis le joueur lambda qui vient d’arriver, jusqu’au joueur superstar qui gagne le tournoi. Tu peux faire une token economy sur un système existant et la basculer sur le Web3. 

La collab de Ledger avec Fendi, comment c’est arrivé ?
Avec Ian Rogers, notre Chief Experience Officer. Quand il est venu chez nous (de chez LVMH, ndlr), on s’est tout de suite posé la question : où faire apparaître Ledger ? L’élément culturel est tout de suite devenu très important. On apparaît depuis dans des clips de rap, dans la série Billions, etc. Et aujourd’hui, comme Ledger a toujours eu des métriques de luxe (les cryptos étant le nouveau luxe, après tout), on crée cette wallet en collab avec Fendi… 


Par 
Tom Connan
Photo Arnaud Juhérian