PAS SI BÊTA : QUE NOUS MIJOTE LA GÉNÉRATION ALPHA ?

generation alpha

Née en même temps qu’Instagram et l’Ipad (à partir de 2010), la gen Alpha n’a pas de moustache ou de diplômes, mais elle fait déjà des routines beauté sur TikTok, réinvente la pop culture, et… utilise des crèmes anti-âge. Mais alors, ces cyber-mioches sont-ils déjà en passe de prendre le contrôle ?

Légende photo : ILS ARRIVENT !_ Vous devriez peut-être vous méfier de ce bout de chou, en apparence inoffensif (collection Naissance Louis Vuitton). Car les membres de cette génération branchée sur une multiprise 240v, les Alpha, pourraient bien vous piquer votre job avant même leur puberté. Areuh.

Les gen Z, déjà ringardisés ? « Les gars, les gen Alpha commencent à créer leurs propres memes… Ça commence… On est la prochaine génération cringe à passer sur le billot » s’inquiète sur TikTok cette membre de la gen Z, qui sent le vent tourner vers son irrémédiable boomerisation. En cause ? L’afflux massif de memes incompréhensibles pour elle, et l’entrée tout aussi fracassante que virale dans la pop culture d’un nouveau jargon, imbitable pour la gen Z, à base de « gyatt », « sus », ou variantes de « rizzle » – ce dernier a été élu mot de l’année 2023 par le dictionnaire Oxford, et s’apparente au charisme. Génération prématurée ayant grandi dans un monde d’adulescents, certains d’entre eux sont déjà dans le showbiz et l’influence. À l’image de North West – la fille de Ye et Kim K –, qui fait des routines beauté sur Tik Tok et s’apprête à sortir son premier album à seulement dix ans. Mais qui sont-ils ?

Première génération entièrement née à l’ère des réseaux sociaux (après 2010), ils ont grandi les yeux vissés sur un Ipad, pendant que leurs milléniaux de parents documentaient leur vie sur Insta ou TikTok. Certains ont même transformé leurs mômes en influenceurs aux millions de vues, à l’image de la chaîne de Swan & Neo en France. Une génération entière de « Disney kids » hybrides, entre Miley Cyrus et McFly & Carlito.

Mais les plus âgés ont 14 ans, ils ont donc remplacé l’Ipad avec Candy Crush par un smartphone avec TikTok et des applis boostées à l’IA. Plus gros consommateurs de jeux-vidéo que leurs aînés, ils ont aussi paradoxalement fait baissé le temps d’écran de téléphone en 2023 – en recul de 14 minutes chez les moins de 13 ans. Les Alpha vont à la fois plus loin dans une numéricité englobante, mais deviennent aussi pour certains de vrais néo-luddites – du nom de ces casseurs de machine du XIXe siècle. Ils apprécient ainsi beaucoup les expériences IRL, la déconnexion, et sont très au fait des désastres causés par les réseaux. Plus grosse cohorte ayant jamais existé, ils seront plus de 2 milliards en 2025. Mais que veulent-ils  ?

GÉNÉRATION CRÉATION

« Là où les gen Z réagissent, les Alpha sont proactifs. Ils ont grandi à une époque où les jeux de création immersive, les proto-métavers façon Roblox, Minecraft, ou Fortnite, sont la norme. Et ils ne font pas qu’y jouer dans des mondes créés par les autres, ils façonnent aussi activement leurs propres univers et aventures numériques, ce qui se retrouve dans toutes leurs activités. » explique Zoé Scaman, stratégiste numérique et auteure d’une étude sur la multiplayer brand. « Cette génération création veut cette liberté de créer, elle ne se contente pas de recevoir passivement. »

À force de créer ensemble dans des jeux-vidéo comme Roblox ou Minecraft, ces derniers se muent d’ailleurs en réseaux sociaux sur lesquels on sociabilise. De l’autre côté, les RS incorporent eux des mécaniques de jeu, comme Linkedin ou Instagram. Le futur réseau de l’Alpha pourrait donc être entre ces deux forces qui se rejoignent. À l’image de Downpour, une nouvelle appli située entre le studio de création et le réseau social, qui permet en quelques clics de créer des mini-jeux à partir de ses photos persos, et de les partager aux autres.

Et cette nouvelle demande pour des outils de création plus que des produits finis, est déjà appliquée chez les grandes maisons de luxe. À l’image de Louis Vuitton, qui a récemment sorti un livre de parfums présenté dans un coffret avec 45 fioles d’extraits de matières premières. Un kit du petit – ou grand – chimiste en version luxe. Génial. Si les Alpha sont moins en ligne que leurs aînés, ils le sont en revanche de manière plus intense, comme avec tout ce qu’ils font. Leur monde IRL doit donc aussi être plus intense, et aussi playful qu’un jeu vidéo.

HYPER-FREUDIENNE

La pire insulte pour un Alpha ? être mid’, soit middle, ou moyen. Dans leur monde, trois secondes de temps mort ou d’ennui est une éternité, qui vous vaudra d’être mid. Et cela s’applique aussi à leur environnement réel, qui ne doit surtout pas les laisser indifférents. On finit donc naturellement par emprunter les techniques de captation de l’attention à l’œuvre sur les réseaux, pour les appliquer au monde IRL. On le voit avec le gigantisme ambiant qui existe dans le marketing des marques de luxe, ou encore avec ces pop-ups hyper colorés qui fleurissent lors des fashion weeks. Pour attirer ces jeunes gens, il faut des grosses choses, des couleurs vives, du catchy, du punchy, de l’efficace, du sharp, du viral. Sous l’influence des Alpha, le monde réel doit comporter une hyperphysicalité virale.

Côté art, on emprunte les codes de l’ASMR, ces vidéos qui cartonnent sur le web, et qui ont trait à la recherche de perfection sensorielle, là encore avec des couleurs envoûtantes, du multi-sensoriel, des formes et textures satisfaisantes, etc. On l’a vu lors de l’exposition sur le cute en janvier dernier à la Somerset House de Londres, ou encore chez l’artiste chinoise Rong Bao. Côté divertissement, on a vu la dernière soirée du Super Bowl faire l’objet d’une diffusion alternative en version Nickelodeon, présentée par Bob l’éponge, et augmentée par des tonnes d’effets de filtres ajoutées sur les images. À chaque temps mort, un personnage comble le vide par quelque pirouette.

Pur produits d’une ère hyper-freudienne où l’humain s’auto-analyse en permanence, les Alpha veulent aussi leur expérience de vie plus intense, et pratiquent donc le cosplay d’eux même, ou d’auto-cosplay, cherchant à avoir un lien émotionnel direct avec tout ce qu’ils consomment. Les Alpha conçoivent leur vie comme une aventure créée sur Minecraft, avec ses side quests, ses easter eggs, et sa narration préméditée. Bref, la société du spectacle à son apogée.

 

Par Jean-Baptiste Chiara