NICOLAS FRAMONT : « RADICAL ET ÉTHIQUE »

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Dans son remarquable essai Saint Luigi, Nicolas Framont (sociologue et co-directeur du magazine Frustration) analyse le cas Luigi Mangione, meurtrier présumé et icône pop sur Internet. Interview sur la politique de demain.

Dans Saint Luigi, tu analyses la popularité de Luigi Mangione, le meurtrier présumé de Brian Thompson. En quoi cette affaire a-t-elle nourri tes réflexions sur l’hôpital public, l’économie capitaliste et l’action politique ?
Nicolas Framont : J’explique dans le livre que la radicalité est nécessaire pour changer les choses, tout autant qu’une éthique de l’action. Ce qui est radical dans la société actuelle, c’est d’être contre la peine de mort en toutes circonstances. Que ce soit celle donnée par la police contre les jeunes des quartiers, celle du capitalisme, celle des terroristes ou encore celle des groupuscules d’extrême gauche ou d’extrême droite. Est radical d’affirmer qu’il faut toujours trouver d’autres solutions que de s’en prendre à des vies humaines.

Entre Luigi Mangione comparé à un saint et Charlie Kirk utilisé comme un martyr de la société, que se passe-t-il ?
Ce sont des instrumentalisations politiques, à la recherche d’incarnations pour exprimer un point de vue sur la société. Autrement dit, il y a déjà un marché disponible qui récupère instantanément ces événements. Dans le cas de Luigi Mangione, c’est une colère sociale sur la question du système de santé américain qui préexistait au meurtre de Brian Thompson. Ce geste du meurtrier a tout de suite été inséré dans un narratif préexistant avec l’idée que toute personne qui nuirait aux intérêts des dominants serait héroïque. Je précise par ailleurs qu’il y a une série de paramètres à prendre en compte : il n’était pas membre d’une organisation terroriste, c’est un loup solitaire… Il est très facile de s’identifier à Luigi Mangione, parce qu’il paraît normal.

À suivre l’affaire Mangione, ton flux sur les réseaux sociaux a-t-il été envahi par des images de violences ou de morts en direct ?
Oui, clairement. Après, j’ai un biais, car je m’intéresse à tous les contenus de l’ordre de la désobéissance civile anti-capitaliste. Donc, dès qu’il se passe quelque chose, je suis tagué dans des publications. Maintenant, je ne suis pas consommateur d’infos en direct.

Que reproches-tu au direct ?
Je ne pense pas que ce soit mauvais en soi, mais je constate, pour suivre le travail des journalistes mainstream, que d’être plongé dans le direct en permanence empêche l’analyse.

Dans Saint Luigi, tu interroges la violence politique, justifiée ou non par une idéologie. Est-ce que la fin de la modération sur X et Meta (Facebook, Instagram) ne pose pas la même question : les réseaux sociaux nous rendent-ils violents ?
Je suis modéré par rapport à cette question, parce que, sur le temps long, c’est-à-dire d’après les cinquante dernières années, la société française s’est pacifiée, notamment en politique. Il y avait littéralement des tabassages en règle. La violence, c’était des coups, des blessures, voire des attentats pour des raisons politiques. Par ailleurs, je n’aime pas le concept de violence.

Mais elle était politique. N’est-ce pas une violence d’une autre nature ?
Je ne suis pas à l’aise avec ce concept de « violence ». Ce que j’explique dans le livre, c’est qu’il est utilisé pour dépeindre des réalités trop différentes. « Violence » qualifie à la fois un meutre dans le métro, une poubelle brûlée et un député LFI qui parle mal à un journaliste. Je me méfie également beaucoup de la stigmatisation des réseaux sociaux, parce que c’est la première chose que les dictateurs ou les régimes autoritaires censurent. C’est particulièrement le cas en Turquie, ça a également été le cas en Nouvelle-Calédonie. Les réseaux sociaux sont des lieux de liberté d’expression très importants.

Comment ton livre a-t-il été reçu par les médias ?
Le livre a été globalement ignoré des médias mainstream, hormis Libération qui l’a dégommé, mais c’est de bonne guerre. En revanche, je suis surpris de son succès en librairie. Je n’étais pas sûr que les gens se souviendraient de cette affaire, premièrement, et, deuxièmement, je pensais que son cas n’intéresserait pas une société décrite comme entièrement droitisée. Finalement, sans grosse promotion, il attire de nombreux lecteurs. De nombreuses personnes se posent la question de mon sous-titre, à savoir : comment répondre à la violence du capitalisme ?

Saint Luigi est le premier livre de la collection Frustration X Les Liens qui Libèrent. La suite ?
Deux livres sont prévus. Celui de Rob Grams, co-rédacteur en chef du magazine Frustration, sur la domination de la bourgeoisie au cinéma. Et un livre de Guillaume Etiévant, qui aborde la question de la socialisation de l’économie, pour rendre les entreprises aux travailleurs et penser le monde après la révolution.

Nicolas Framont, Saint Luigi, Frustration x Les Liens qui Libèrent, 144 p., 12,90 €

 

Par Alexis Lacourte
Photo Léa Hamadi