MC DANSE POUR LE CLIMAT : « LE COOL, C’EST NOUS ! »

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Devenue un meme vivant grâce à sa danse revendicative sur fond de techno, Mathilde Caillard, aka MC Danse pour le climat, se démène pour rendre la politique plus cool. Rencontre à 140 bpm.

Depuis peu, la famille des activistes next-gen compte une nouvelle figure dans ses rangs. Elle s’appelle Mathilde Caillard, elle a 25 ans, et si on la connaît sur Insta sous le pseudo « MC Danse pour le Climat », les médias l’ont surnommée la techno-gréviste. En mars dernier, elle a fait un méga-buzz grâce à une vidéo où elle danse dans un cortège contre la réforme des retraites – avec un style reconnaissable, et sur du gros son techno accompagné de paroles revendicatives. En description du post, on lit : « Manif contre la réforme des retraites avec @AlternatibaParis en mode Boiler Room. À la prochaine tu ramène ta clique et tu viens avec nous. » 

En quelques jours, cette vidéo est repostée partout, et le personnage de Mathilde devient un meme vivant. Sa danse est reprise en challenge TikTok, porte la voix des manifestants dans les canards du monde entier, et elle se voit même encouragée par l’américain John Oliver dans Last Week Tonight… Mais d’où sort cette activiste du post-clubbing ?

On te connaît depuis les manifs anti-réforme des retraites. Mais que faisais-tu avant ?
Mathilde Caillard : Je viens de banlieue parisienne. J’ai fait des études littéraires, puis des sciences politiques et sociales. J’ai travaillé au Réseau Action Climat et à Greenpeace en année de césure. Mes parents sont politisés, et ils m’emmenaient beaucoup en manif. Puis je suis devenue une espèce de super-woke en lisant beaucoup de choses de mon côté, ce qui a créé pas mal d’éco-anxiété ! Ça fait peur, et ça annihile un peu tout le pouvoir d’agir, parce qu’on a l’impression que c’est trop énorme pour nous. Puis ma sœur est entrée chez Alternatiba Paris, ma mère a suivi, et moi aussi. Le côté collectif m’a redonné de la force. Donc j’ai milité à fond à partir du printemps 2019, en parallèle de mes études.

C’est à ce moment-là que tu as rencontré l’activiste pas encore député Alma Dufour, qu’on surnommait alors « l’ennemi n°1 d’Amazon », et dont tu es aujourd’hui l’assistante parlementaire ?
Exactement, On s’est rencontrées parce que Les Amis de la Terre et Alternatiba sont comme ça (elle enlace ses mains). On a milité ensemble et on est devenues amies. Je l’ai aidée sur sa communication, parce que j’ai toujours géré les comptes de mes amis – on m’appelait le « bot Twitter » à l’époque. Quand on lui a proposé d’être investie, je l’ai aidée sur sa campagne, et elle a été élue. Donc je bosse avec elle depuis l’été dernier, et je continue la désobéissance civile. 

On arrive donc à cette fameuse manif du mois de mars 2023, où a été tournée LA vidéo… D’où est venue cette idée de techno-manif ?
Avec Alternatiba, on réfléchit beaucoup à comment animer les cortèges et donner envie aux gens de venir. Donc pour changer un peu du gars à la voix éraillée avec son mégaphone, on balance un peu de danse, un peu de sono. Et là, comme on était avec d’autres ONG, on a pu avoir un énorme camion avec un gros système son – dès que Greenpeace et Oxfam sont là, il pleut des dollars (rires) ! 

On retrouve des paroles revendicatives dans les sons techno que vous avez créé, comme dans le fameux « taxer les riches, taxer les riches »…
Le mouvement techno était très politique dans les années 1990, au moment où le système néo-libéral s’implantait encore plus férocement… Dans ce mouvement et celui des free-party, il y a des revendications de casser les codes, de fêtes gratuites, libres et avec du respect.

Et de manière purement stratégique, quel est l’intérêt d’organiser ce genre de moments hyper-tiktokables dans les manifestations ?
Notre meilleur moyen de faire effraction dans la bataille culturelle, ce sont les réseaux sociaux. La viralité. On doit faire monter des leadeuses d’opinion, des gens hyper engagés, hyper badass, qui ont des choses à dire. L’art et la culture, l’émotion, la danse, nous permettent d’élargir nos cercles. 

Ta vidéo a d’ailleurs beaucoup touché la jeunesse sur TikTok, où la danse est devenue une sorte de nouveau langage memesque universel, à la manière des danses Fortnite… Comment tu appréhendes ça ?
J’ai un peu découvert Tiktok à ce moment-là. Quand il y a eu le buzz, j’ai créé un compte, j’ai mis deux vidéos et j’ai laissé le truc. Et une copine me dit, « Il y a tes alter-egos qui se promènent sur Tiktok, t’es une personnalité Tiktok sans le savoir » (rires). C’est hyper intéressant, parce que ça permet de créer un nouveau truc dans l’univers mental des jeunes, ils voient qu’il y a des gens prêts à aller dans la rue faire n’imp’, danser comme ça, contre cette réforme des retraites. 

La politique sera de plus en plus influencée par TikTok ?
En tout cas on a une responsabilité de militant d’aller parler aux gens là où ils sont.
 

« IL FAUT INCARNER DES CHOSES QUI CRÉENT DU DÉSIR. »  MATHILDE CAILLARD

 

C’est important de rendre les manifs plus cool ?
Bien sûr ! Parce que le cool, c’est nous. Il est davantage chez nous les progressistes, que chez les réacs et les déclinistes. Il faut incarner des choses qui créent du désir, de l’envie, tout en ayant des objets totems qui nous représentent, comme la casquette CGT à strass. Faire advenir le monde qu’on veut, c’est aussi montrer que les choses qu’on portent, dans les deux sens du terme, sont cool, branchées, dans l’air du temps. 

On peut vraiment lutter en dansant ?
Je ne vais pas me pointer à une marche en hommage à des violences policières et danser sur de la techno, il y a un temps pour tout. Après, la danse peut aussi être utilisée dans des moments graves. On l’a vu quand une prof de Saint-Jean de Luz s’est fait tuée par un élève, et son mari a fait une danse extrêmement belle pendant les funérailles.

Tu n’es donc pas une éco-terroriste ?
(Rires). Le pouvoir veut nous criminaliser, on est tous des terroristes pour eux. Mais en utilisant des modes de lutte qui ne sont pas directement confrontatifs, comme la danse ou les casserolades, on montre que le gouvernement continue sa rhétorique criminaliste… même contre des retraités avec des casseroles. On les met à nu, ça les force à révéler leur jeu. C’est une diversion. 

Vous avez depuis lancé une division spéciale techno-manif chez Alternatiba Paris, qui s’appelle Planète Boom Boom… Quel est le plan ?
On a lancé ça après le buzz. On est dix, dont huit performeurs. On s’est demandé comment pérenniser le truc pour continuer de visibiliser nos luttes, et surtout recruter des militants, politiser les gens. Donc on a contacté des collectifs de danseuses, aussi pour répartir l’attention, et le but est de se produire, de participer à des fêtes et des événements militants. On va aussi continuer de sortir des sons avec des messages politiques. 

Lequel de tes passages média retiens-tu ?
John Oliver qui dit : « Macron devrait peut-être revoir sa stratégie, parce que ces manifestations ne sont pas prêtes de s’arrêter. Les Français vont continuer de se battre pour leur qualité de vie, et ils vont continuer d’avoir l’air putain de cool en le faisant. »

@mcdansepourleclimat 

 

Par Jean-Baptiste Chiara
Photo Louis-Adrien Le Blay