MAUD GEFFRAY : L’ASTRONAUTE DU MOIS ?

Maud Geffray

Avec son nouvel album, Ad Astra, Maud Geffray nous emmène jusqu’aux étoiles – et bien au-delà. Un disque aussi mélancolique que dansant. Thomas Pesquet a de la concurrence.

La conquête spatiale ne date pas d’hier. Ce ne sont sans doute pas des références pour Maud Geffray, mais rappelons que, quand il avait anobli les frères Montgolfier, Louis XVI leur avait donné cette devise, « Sic itur ad astra », que l’on pourrait traduire par : « Nous irons jusqu’aux étoiles. » Maud Geffray est la lointaine descendante de ces aventuriers du XVIIIe siècle, à ce détail près qu’elle n’embarque pas dans une montgolfière mais à bord d’un studio – c’est moins risqué. Repérée il y a déjà vingt ans en tant que moitié du duo Scratch Massive, cette astronaute électro alterne depuis voyages en solitaire (l’excellent Polaar en 2017) et retours au bercail (Garden of Love en 2018). De tout ce qu’elle avait fait jusque-là seule ou à deux son meilleur disque était peut-être le Scratch Massive de 2011, Nuit de rêve. Il faut en parler au passé, car elle n’était jamais allée aussi loin que dans Ad Astra. 

REINE DU SPLEEN

Venue de l’underground pur et dur, Maud Geffray ne souffre pas des snobismes propres à ce milieu – elle avait sorti un bel album hommage à Philip Glass, mais aussi remixé la BO du Grand Bleu d’Eric Serra. Le grand écart esthétique ne lui fait pas peur. En 2020, Radio Nova l’avait invitée à venir présenter certains de ses morceaux préférés : une sélection où l’on trouvait Laurie Anderson, Gary Numan, Joy Division, The Cure, The The ou David Bowie, mais aussi Tears For Fears, Bronski Beat ou Duran Duran (et même Bérurier Noir, ce qu’on lui pardonnera). Ad Astra, heureusement, ne fait pas dans le keupon alterno crasseux années 1980. Coproduit par Krampf, on dirait plutôt la rencontre idéale entre les expérimentations de Laurie Anderson et les mélodies de Bronski Beat. Certains morceaux sont francs du collier (« Break », « Don’t Need », « Skin », « Plur »). D’autres sont plus contemplatifs, et Maud Geffray rappelle alors qu’elle est une reine du spleen synthétique (« Fallin’ », « Blue Heroin » ou le fabuleux « Way Out », avec ses voix entremêlées et ses envolées mystiques). On pensait la musique électronique au bout du rouleau, condamnée à décorer des pubs ou à faire danser les foules en répétant deux accords. Ad Astra prouve qu’il n’en est rien, et que l’on peut poursuivre en 2022 les découvertes stellaires faites par Jean-Michel Jarre dans Oxygène, Équinoxe et Les Chants magnétiques. On se souvient que, en 1986, Jarre avait été engagé par la NASA à l’occasion du vingt-cinquième anniversaire de l’agence spatiale. Le concert de Houston devait en être le point d’orgue. Mais la navette Challenger avait explosé en plein vol, causant la mort des sept astronautes, dont celle de Ronald McNair, ami de Jarre. Aucun dommage collatéral n’est à déclarer avec le nouvel album de Maud Geffray : on décolle, on plane, on dépasse la Lune et on parcourt des contrées inexplorées. Aussi bien Thomas Pesquet que les esthètes d’Air devraient monter à bord de cette navette. Houston, on a un problème ? Au contraire : on a trouvé la solution pour s’envoler, rêver et atterrir en douceur. 

AD astra
(PAN EUROPEAN)


Par Louis-Henri De La Rochefoucauld