Mathieu Lesca, directeur France du lunetier Lesca, donne ses conseils pour maîtriser l’art de la paire bien portée. Interview depuis son QG d’Aix-en-Provence.
Fondé en 1964 par ton père Joël Lesca, quel est l’ADN du lunetier Lesca ?
Mathieu Lesca : La subtilité. On ne présente pas de paires de lunettes ostentatoires. Seuls les afficionados de la marque vont reconnaître les Lesca au premier coup d’oeil, car on se moque d’avoir une empreinte typée. En revanche, nous avons notre propre philosophie du détail. Le style Lesca, c’est le choix des matières. On reconnaît une Lesca par son écaille, plus que par sa forme. Les formes vont et viennent, selon les tendances.
L’histoire de la marque ?
Mon père était un pionnier du vintage. Dans le Jura des années 1960, où toutes les lunettes étaient fabriquées, les entreprises ont fait faillite : mon père s’est positionné pour racheter leurs stocks. À l’époque, elles étaient faites puis envoyées à Paris où les grandes marques n’avaient plus qu’à mettre leurs logos. Il y a récupéré des modèles rares des années 1920 aux années 1960, qu’il a revisités pour faire naître Lesca. On s’inspire de ses archives, en particulier du sur-mesure de ces années-là.
L’évolution de Lesca, depuis ton arrivée il y a une quinzaine d’années ?
Je suis arrivé à Paris pour des études de Droit avec en poche nos paires de lunettes pour gagner ma vie. J’ai tout de suite compris le potentiel de la marque et ses limites. Nos paires plaisaient, mais les Parisiens ne comprenaient pas notre produit : on proposait des paires de grande qualité, mais sans étui et sans aucun appui marketing pour raconter notre histoire. Mon père est un artisan, il maîtrise la technique, mais il fallait qu’on investisse dans le marketing, sinon la marque allait tomber en désuétude. Ensemble, on a réussi à développer l’entreprise.
Le marché est-il en croissance ?
Il se porte bien. Il y a une attention à la qualité des lunettes qui revient.
Qu’est-ce qu’une bonne paire de lunettes ?
Confortable, qu’on se sente bien dedans. On choisit une paire de lunettes avec autant d’attention qu’une montre ou une belle paire de chaussures. Ensuite, elle exprime le rôle que tu veux prendre dans la société. Pour un style conservateur, il faut assumer les accessoires forts. Et il n’y a pas d’accessoires qui marquent plus un style que la paire de lunettes. C’est un des marqueurs du bon goût même si on peut aussi jouer sur la dérision parfois.
À quoi faut-il faire attention en l’achetant ?
Au choix des verres. Il y a eu le syndrome Johnny Depp… Tous les gars de son âge se sont mis à porter des lunettes aux verres bleus : la faute de goût est vite arrivée ! L’essentiel, c’est qu’on puisse voir vos yeux. Si tu me parles lors d’une soirée et que je ne les vois pas, j’aurai l’impression d’être face à un teufeur défoncé et je n’aurai aucune confiance en toi.
Votre série Spring / Summer 2025 ?
On a fêté l’année dernière les 60 ans de la marque : on a décidé de reprendre des modèles forts, qui ont marqué chaque décennie. Cette année, on se focalise sur des modèles très eighties et nineties, que j’adore lorsqu’elles sont portées oversize. La Bird, la Tupac, la Moto… Il y a un très bel accueil. Cela donne un nouveau souffle à la marque. Même les modèles très masculins peuvent être portés par les femmes ; l’idée c’est de casser les codes, mon rêve c’est que les hommes reportent des modèles cat’s eyes comme dans les années 1960.
Vous n’avez pas de boutique, mais on retrouve les Lesca au Bon Marché, ou chez Rétrovision dans le Marais. Stratégie du slow market ?
On cherche surtout à s’associer avec des revendeurs qui nous ressemblent, que ce soit un grand magasin parisien ou un petit opticien indépendant du Marais, on se retrouve autour de valeurs communes. On a essayé de sortir la marque du monde de l’optique pur. On a fait beaucoup de fashion week pendant plus de dix ans, pour se faire remarquer. Puis on est entré au Bon Marché il y a quatre ans. On fait des collabs sympas, avec le Tuba Café à Marseille, par exemple. On travaille aujourd’hui à une collab’ avec Honoré Décoration qui fête ses 40 ans, une marque créative qu’on affectionne beaucoup. Notre autre fierté, c’est la collab 2024 avec TOMBOLO, une marque de chemises emblématique de NY qu’on a pu voir notamment dans la série The White Lotus ; on prépare quelque chose pour l’année prochaine attention ça va être énorme !
Tu t’es associé à la marque de snood Meilleur Ami pour la commande d’une paire de lunettes sur le site de Lesca.
Oui, fondé par Fabien Larchez, mon DA chez Lesca. Il m’a aidé à recréer l’image Lesca sans la dénaturer car c’est un spécialiste du sujet, un amoureux des histoires des marques, et chez LESCA il y en a beaucoup !
Autre collab’ de 2025 : avec le street artiste Nicolas Herbé.
C’est un ami street artist avec qui je fais de la boxe. On est parti sur une gamme de noir et blanc revisité par l’artiste et peinte avec de la peinture epoxie. Au début, c’était un délire et finalement plein de gens veulent les porter, on ne s’attendait pas à ça.
L’incontournable Lesca de cet été ?
La Tupac ! Un modèle pilote double-pont, assez rétrofuturiste et en série limitée à la base mais on est obligé de ressortir à la rentrée six couleurs exclusives au vu de la demande.
L’artisanat, selon Lesca ?
On joue sur la matière, à la manière d’un couturier. Nous allons chercher des verres minéraux, faits en Normandie, chez Brunetti, inrayables, solides, sur lesquels on ajoute nos propres bains de couleurs. Par exemple, j’essaie en ce moment de refaire le violet du « Purple rain » de Prince pour nos verres. Ensuite, on teste, on innove. On a fait une gamme avec des matériaux recyclés. On a acheté des plaques d’acétate dans le Jura, qu’on colle ensemble pour créer des couleurs uniques et proposer des modèles proches du sur-mesure.
La suite ?
Pourquoi pas créer une paire de lunettes Technikart !
Elles seraient…
Pour des fous. Très expressives. Et sexy.
Par Alexis Lacourte