MAIS OÙ SONT PASSÉS LES HIPSTERS ?

ou sont les hipsters

Vous l’avez sûrement remarqué : ces branchés à barbe de bucheron et à bonnet de CM2, omniprésents hier, se font désormais rares dans les grands centres urbains. Encore la faute à Insta ?

Fermez les yeux un instant. Réfléchissez à la dernière moustache symétrique surplombant un nœud papillon tapageur que vous avez croisée lors d’une balade dominicale sur la rive droite à Paris. Eh oui, ce n’est pas si facile. Normal : ces derniers temps, le hipster tel que nous l’avons connu et parfois aimé (eh oui) en début de siècle se fait de plus en plus rare. Ces phobiques du mainstream, avant-gardistes autoproclamés, pros de l’unpopular-opinion et fluent en anglicismes seraient-ils devenus une espèce à protéger ? Cette catégorie sociale, qui résulte d’un savant mélange de startup-nation et de friperie vintage va-t-elle disparaître pour de bon ? Dans tous les cas, profitons de ce changement civilisationnel : vous pouvez désormais avouez que le spritz a un goût de chaussette tournée et que le vinyle est un format particulièrement incommodant.

Mais d’abord, un peu d’histoire. Lorsqu’on demande au sociologue new-yorkais Rob Horning (qui imaginait dès 2009, pour le zine PopMatters, « The Death of The Hipster » avant de se faire connaître, aux côtés de Mark Grief et Kathleen Ross, avec l’enquête sociologique « What Was the Hipster? ») de nous donner sa définition du hipster, sa réponse n’était plus celle d’il y a quinze ans. Autrefois, Rob Horning et Mark Grief écrivaient : « Le hipster est cette personne, entre le décrocheur intentionnel et l’individu déclassé involontairement, – le néo-bohème, le végétalien, le cycliste ou le skatepunk, le col bleu en puissance ou la vingtaine postraciale, l’artiste affamé ou l’étudiant diplômé – qui en fait s’aligne à la fois avec la sous-culture rebelle et avec la classe dominante, et ouvre ainsi un conduit toxique entre les deux. » Aujourd’hui, à la lumière des trends qui se sont succédés par la suite, Rob avance : « Les hipsters incarnent la transition entre les “slackers” (flemmards) des années 1990 et la figure d’influence des médias sociaux dans les années 2010. Ils symbolisent le genre de prise de conscience qui attire des likes et autres sur les réseaux sociaux avant même que ça n’existe. »

SIROTANT SON IPA

Quant aux hipsters français, souvenez-vous de leurs grandes barbes toilettées, leurs bonnets en plein été, leurs bretelles jaune moutarde assorties à leurs chaussettes à motifs stroboscopiques. Cette espèce n’évoluait pas dans n’importe quel environnement. On la trouvait dans les craft bars, sirotant son IPA ou sa Sour Beer. Dans les festivals électro, vantant la minimal et l’indietronica. Dans les concept-stores pour technophiles ou audiophiles… Vous voyez le genre.

Toujours selon Rob : « Ils étaient tendance entre 2000-2010. Ce qui correspond à la période avant que les médias sociaux et la GenZ ne s’installent ». Pendant ces dix petites années, les hipsters ont réussi l’exploit de se faire détester par le monde entier. Devenu presque une insulte, Rob se l’explique ainsi : « La plupart des gens essayaient de désavouer « hipster » qui est un terme accusateur utilisé pour décrire d’autres personnes, et il serait étrange de s’identifier de cette façon. »

Les hipsters, comme les influenceurs, ont finalement pour point commun leur volonté d’exposer leur authenticité et singularité au reste du monde : « Regardez comme je suis différent des autres. Je n’aime que les choses étranges et laissées de côté, je suis tellement mystérieux et surprenant. » Ce qui les différencie en revanche, c’est que l’influenceur adopte une attitude naturelle dans cette exposition, tandis que l’hipster, né trop tôt dans l’ère des réseaux sociaux, n’a pas cette légèreté. Rob Horning pousse plus loin le raisonnement : « Lorsque les influenceurs ont émergé dans les années 2010, ils occupaient un espace conceptuel similaire à celui des hipsters, mais sans en ressentir la gêne. Les gens étaient impatients de s’identifier comme des influenceurs, comme des experts en présentation de soi. Les hipsters datent d’une époque où cette capacité était suspecte. » Un bémol : vous venez tout juste de faire le deuil des hipsters ? Eh bien, il va falloir se préparer au départ des influenceurs. Selon Rob, eux aussi vont être remplacés : « L’influenceur est à son tour supplanté par le “créateur”. Un interprète des médias sociaux qui existe dans une vidéo plutôt que dans un environnement de photographie fixe. » Et dire qu’on vient de s’équiper, à la rédac’, en miroirs à selfie dernière génération…


Par
Fanny Mazalon
Photo Gabrielle Langevin