L’INSOUMIS DU MOIS : LE TRAVAIL, C’EST NOUS !

ruffin JE VOUS ÉCRIS DU FRONT DE LA SOMME

Pourquoi la droite aurait-elle le monopole de la « valeur travail » ? C’est la question que pose François Ruffin dans son dernier essai, qui par la même remet en question une certaine « gauche des allocs ». Un nouveau pavé dans la marre, pour le député insoumis à son propre parti.

« C’est nous, le travail ! C’est la gauche, depuis Fourmies et Jaurès, le camp des travailleurs ! » Alors qu’une partie de son bord politique s’insurge contre ce diagnostic, François Ruffin n’en démord pas. La gauche doit renouer avec la fameuse « valeur travail » – qui semble hélas aujourd’hui être uniquement rattachée à la droite. Pour détailler sa vision des choses, il a dédié un nouvel essai à cette thématique inflammable. Dès les premières pages, le député-journaliste met notamment en exergue des discussions qu’il a eues avec des Français en colère, et durant lesquelles il a souvent entendu revenir une même ritournelle : « Des feignasses ! La France subventionne les bons à rien ! (…) Et qui paie pour eux, qui ? », ou encore : « Vous voyez combien je reçois ? 950 € de pension, après quarante ans à la Comap… Alors qu’à l’étage en dessous, des bons à rien, avec un poil dans la main, vont à La Poste le 5 du mois et touchent plus que moi. Vous trouvez ça normal ? »

Cette petite musique, c’est elle qui a notamment permis à l’extrême droite de Marine Le Pen de prospérer, de séduire un nombre toujours plus grand d’ouvriers ou de Gilets jaunes, et ainsi de vider les réserves électorales de la gauche. « De “parti des salariés”, nous voilà, dans l’esprit commun, le “parti des assistés” », déplore le député de la Somme. Le constat est simple : la gauche ayant délaissé la France périphérique à l’extrême droite et à l’abstentionnisme, ce sont sur leurs anciennes terres que se fait le beurre de Marine Le Pen, qui gagne ainsi des sièges à la représentation nationale. Selon lui, pour inverser la tendance, il faudrait donc rétablir une certaine dignité par le travail, le « travail pour tous » même. Mais pas que.

« FAIRE ENSEMBLE »

En juin dernier, effaré par les prises de guerre du Rassemblement National, François Ruffin tirait la gueule, et ce malgré une belle réélection en tant que député. « Notre exploit a un goût amer. Justement parce que c’est un exploit, parce qu’il a fallu un exploit. Parce que nous le devons à une campagne de feu et de fou. (…) Ailleurs, partout ailleurs dans la Région, la gauche a coulé. » Avec ce livre, l’idée est donc de raviver la gauche des régions, en amorçant une union de la France d’en bas. Et pour celà, il préfère le « faire-ensemble », au fameux « vivre-ensemble » – qui nous a trop longtemps écorché les oreilles. À l’aide d’un vocabulaire quasi-guerrier, il enjoint son camp politique à se détourner d’un certain manichéisme politique, et à privilégier l’universalisme au communautarisme, avec comme objectif en tête de reconquérir les terres ouvrières acquises par le RN.

« La gauche doit renouer avec des droits universels. Des droits pour tous. Des droits sans conditions, sans obligations de misère, sans formulaires à délivrer. Des droits qui vaillent aussi bien, à égalité, pour Katia, mère célibataire au chômage de Vignacourt, que pour Hélène, fille d’agriculteur. Et même pour Bernard Arnault. » Alors que l’extrême droite s’honore de valeurs sociales auprès d’une population que la gauche de salon n’écoute plus, Ruffin se positionne, comme il le dit, en radiographe venant constater la fracture – sociale. Et quelle fracture… Si ses idées sont loin de faire l’unanimité à la NUPES, ce qui est sûr, c’est que François Ruffin ne compte pas s’arrêter de dire ce qu’il pense.

JE VOUS ÉCRIS DU FRONT DE LA SOMME
François Ruffin
Ed. Les liens qui libèrent, 144 pages, 10 €


Par Jean-Baptiste Chiara