LIBERTÉ, ÉGALITÉ, VOLUPTÉ : ENFIN L’ORGASME…

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Le tube de l’été ? « Clit is good » signé Suzane. Le must-have de la saison ? La bougie « senteur orgasme » de Gwyneth et Kourtney. Et le hit de l’année ? L’inégalable Womanizer et sa promesse de nous livrer le Nirvana intime en quelques minutes. Mais que cache cette obsession contemporaine pour la jouissance ? 
Notre reporter a mené l’enquête… 

Nous nous sommes retrouvées au Bar du marché, rue du Château d’eau, ce jeudi soir. Ce café ne paye peut-être pas de mine mais il a son charme – et est situé juste en face d’une caserne de pompiers. À l’étage, on peut observer ces messieurs parfaire leurs musculatures. Si certaines d’entre nous sont sous le charme et balancent crûment un : « Celui-là, il est beau comme c’est pas permis, j’en ferais bien mon 4 heures, ». « Mais mate-moi ces bras, je n’ose même pas l’imaginer totalement nu ». « Oh moi, oui !!! ». 

D’autres, dont je fais partie, restent sur la réserve. Ce genre de corps, ce n’est pas mon truc, on ne va pas se mentir ; oui, c’est beau mais ça ne me procure aucune autre espèce d’émotion, aucune sensation, aucun frisson. Vulgairement, ça ne me fait pas mouiller. Moi, ce qui m’excite, c’est le mec qui, à première vue, n’est pas viril, mais dont l’intelligence et l’humour sont des muscles qu’il travaille quotidiennement. À partir de là, je peux imaginer ce qu’il ferait avec ses mains sur mon corps, la manière dont il envisagerait notre rencontre charnelle… 

Pour Lina, une autre de mes amies, la jouissance, c’est en solo, uniquement en solo : « Quand je suis avec quelqu’un, je suis tellement occupée à donner du plaisir à l’autre, que je n’ai pas le mental disponible pour me laisser aller et atteindre l’orgasme. Et s’il faut compter sur le mec… » On commande un dernier Aperol, les yeux toujours rivés sur la salle de gym des hommes du feu…

LIBÉRATION DU CORPS

Longtemps, on le sait, le clitoris est resté caché, tapi entre les cuisses de ces dames, tenu à l’écart des manuels de biologie (jusqu’en 2017), des discours et de l’intérêt scientifique. La sexualité féminine, son fonctionnement, la jouissance et l’orgasme, déconnectés de la fonction reproductrice, n’intéressaient guère les sachants (mis à part quelques exceptions, comme l’anatomiste allemand du milieu XIXe, Georg Ludwig Kobelt, ainsi que William Masters et Virginia Johnson dans les années 1950), pas plus que les principales intéressées qui, n’ayant pas été éduquées à rechercher leur propre plaisir, se concentrent sur celui de leur partenaire et leur faculté à procréer. 

« Au fil de l’histoire, les zones franches du plaisir féminin ont été construites selon une double vision – voire distorsion – entre ce qui se voit et ce qui ne se voit pas, poussant les scientifiques à aller explorer du côté de la béance inconnue et procréatrice (le vagin), plutôt que de la protubérance exquise, mais si sulfureusement inutile (le clitoris) », avance la psychologue Magali Croset-Calisto, auteure du récent essai Les Révolutions de l’orgasme (voir notre interview page suivante). Le constat est pourtant là. Si Mai-68 a initié un mouvement de libération du corps de la femme, la nouvelle vague de révolution féministe, lancée par MeToo, replace le corps de celle-ci au centre des débats.

Le clitoris devient l’étendard que l’on porte, littéralement autour du cou en pendentif ou en boucles d’oreilles. On apprend à le reconnaître et on lui vouerait presque un culte. Si les dessins de pénis tapissaient jusqu’alors les portes fracassées des toilettes de nos collèges, le clitoris devient aujourd’hui une icône de nos combats actuels et s’affiche sur les murs. Bye bye Che Guevara, bonjour puissant clito ! Selon Julia Pietri du compte @GangduClito, « il fallait casser le rigorisme théorique pour être dans le concret. C’est ce que je voulais faire avec les affiches représentant le clitoris de manière cash mais pas grossière. L’idée n’est pas d’afficher des planches anatomiques ultra détaillées, mais de créer une imagerie ludique… Il fallait que cela pénètre la culture de masse et pour cela, quoi de mieux que de s’amuser en déclinant cet organe longtemps oublié dans des formats inattendus ? ». Il aura donc fallu attendre une reconnaissance physique de l’organe à l’origine du plaisir féminin pour libérer la parole des femmes concernant leur désir et leur plaisir intime. Et de la parole aux actes, on le sait, il n’y a qu’un pas.

« Faire de la sexualité une zone sans tabou, ça m’a permis d’être plus sincère avec mes partenaires, mais aussi plus en accord avec mes envies et mes désirs, confirme Clémence, 32 ans. Et puis, pouvoir échanger des tips sexy avec mes copines autour d’un verre sans passer pour une nympho, c’est tellement plus sain. » Si certaines ont eu besoin de ce déclencheur pour affirmer leur sexualité et mettre des mots sur leurs envies, d’autres se sont déjà lancés à la recherche de « la petite mort » et cela en expérimentant des ateliers et autres pratiques new-age aux résultats pas toujours probants.

VISONS LA JOUISSANCE !

Dans Jouir : en quête de l’orgasme féminin (Zones / La Découverte, 2019), la journaliste canadienne Sarah Barmak raconte, non sans un trait d’humour, ces tentatives d’immersion dans des lieux prônant l’orgasme alternatif. La technique du « One Taste », de Nicole Daedone, fait les louanges de la méditation orgasmique (c’est-à-dire, former un duo et se caresser la vulve alternativement), le néo-tantra, le Soul Sex de Jenny Ferry, la théorie du désir circulaire de Rosemary Basson, le Quodoushka… Tout y est. Ces méthodes squattent également les couvertures de nombreux magazines féminins ou les pages des livres de développement personnel : « Les Dix manières de faire jouir votre amant », « Les Secrets d’une jouissance », « Comment cultiver et renouveler votre plaisir », « Êtes-vous multi-orgasmique ? »…

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Par Soisic Belin
Photographie Alexandre Lasnier