LES ZOOMERS PEUVENT-ILS (ENCORE) TOMBER AMOUREUX ?

zoomers technikart

La gen-Z, aussi appelée « Zoomers » (les jeunes de 16 à 25 ans), en a déjà sa claque des rencontres initiées par le digital, mais ne croit toujours pas au grand amour. Enquête sur une génération (un peu) perdue.

Première notification, reçue à 14 h 59 : « T’es magnifique ». Nouveau message, à 16 h 37 : « T’es grave mon style ». Qu’on soit sur Tinder, Bumble, Grindr, ou toute autre appli de rencontre, on le sait, le plan cul se trouve en deux swipes : date avec un homme plus âgé le midi et avec une fille plus jeune le soir, on reçoit des alertes tous les quarts d’heures… Bref, on est assailli de textos, de profils, de matchs, tous les jours. Ainsi que ce même constat qu’on entend dès qu’on discute avec des potes de moins de 25 ans : « J’ai eu ma dose avec le dating, ça use. Mais pour le grand amour, j’attendrai d’avoir 30 ans…» 

Sur la quatrième de couverture de son essai Apocalypse cognitive (PUF), le sociologue Gérald Bronner prévient : « Jamais, dans l’histoire de l’humanité, nous n’avons disposé d’autant d’informations et jamais nous n’avons eu autant de temps libre pour y puiser loisir et connaissance du monde. » Le rêve ? Pas exactement… Selon ce professeur spécialisé dans les conséquences médicales des avancées technologiques, cette dérégulation du marché cognitif « a une fâcheuse conséquence : capter, souvent pour le pire, le précieux trésor de notre attention. Nos esprits subissent l’envoûtement des écrans et s’abandonnent aux mille visages de la déraison. » Alors, comment faire un choix volontaire quand les algorithmes nous guident en nous proposant trop de rencontres, de matchs, de tentations pour toute une vie ? Comment prendre le temps pour un date sans avoir peur d’en rater un autre ? Surtout lorsqu’on est entouré de potes changeant de partenaires comme de sextoys…

LE PHYSIQUE QUI DÉCIDE

Avec le choix que l’on a, celui des multiples rencontres, avec tous ces couples qui tendent vers des relations plus ou moins libres, et les relations sexuelles à plusieurs quand on trouve un moment (et le bon appart’)… Dans toutes nos conversations portant là-dessus, pourtant, un grand absent : l’amour tel que nos parents le fantasmaient, celui qu’on peut encore entrapercevoir dans certains films aussi vieux que nous. La faute à la transformation digitale de nos amours ? À toutes ces rencontres,  jusqu’à la lassitude ? « On en perd la valeur du sexe, car on l’a trop normalisé, me résume une pote de 24 ans, Lucie. Mais le pire, c’est de ne pas savoir vers quelle nouvelle valeur nous diriger. » 

Comme l’explique Raphaël Blareau, un professeur de chimie connu pour sa chaîne de vulgarisation pop sur YouTube, « Blablareau au labo » : « Nous ressentons surtout de l’empathie face à une personne. Si elle pleure, nous ressentirons de la tristesse ; si elle s’amuse, nous éprouverons de la joie ». Cela peut-il se produire quand on communique virtuellement ? S’il est certes possible de faire passer des émotions par écrit, se priver de la vue, de l’odorat et du toucher constitue bel et bien un obstacle pour tomber amoureux ! Traduction : si le digital lance le plus souvent la rencontre, c’est toujours le physique qui décide… Seul problème : avant cette première rencontre, on aura épuisé tous les profils, on aura satisfait notre addiction de rencontrer le plus de monde, et on sera devenus quantitatifs plutôt que sélectifs. Et, bien évidemment, plus on rencontre de personnes, plus on prend conscience de ce qui leur manque pour pouvoir croire au grand amour avec elles. Tout devient au contraire plus rapide et éphémère. La « hook-up culture » (culture de la coucherie sans lendemain) nous a rendus cyniques, dépités (d’ailleurs, les stats disent que les Zoomers ont moins de rapports que leurs aînés), mais aussi… interloqués par ce concept étrange : l’histoire amoureuse. Le paradoxe est entier : les zoomers sont fascinés par le concept de l’amour-toujours tout en rejetant l’idée-même de l’engagement. Pour cet enfant des réseaux, l’amour éternel dure 60 secondes. Comme un bon Tik-Tok (la durée maximale d’un post sur ce réseau). 

« Moi, j’ai rencontré mon mec sur Tik Tok », dit Zélie, étudiante de 20 ans, de l’incontournable appli de challenges filmés. « J’ai commenté sa vidéo et il m’a répondu en voyant mon profil. On y décerne la personnalité de quelqu’un beaucoup plus facilement que sur un match du style “Arthur,  21 ans, j’aime les sushis”. D’ailleurs, je trouve qu’on est de plus en plus nombreux à faire comprendre, à travers nos posts ou nos messages, qu’on recherche autre chose qu’un énième “hook-up”. » Moralité : ce serait grâce aux mêmes applis ayant « transformé la rencontre en rite banal et tout sauf excitant » (dixit l’amie Lucie), que les Zoomers mettront en scène aussi bien leur lassitude que leur quête romantique. En espérant que cette dernière dure plus de 60 secondes…

Photo : Œuvre de la photographe brooklynoise, Isabel Magowan, issue de la série Cygnets


Par 
Mathilde Delli