LES RAMOLLOS SAUVERONT-ILS LE MONDE ?

Jonathan Van Ness

Soft-ci, soft-ça, smooth-machin, truc-light… Alors que ce monde perfusé à l’Internet tourne à la vitesse de la lumière, un phénomène de ralentissement, voire de ramollissement, semble également se propager dans la société, pour le pire comme pour le meilleur. Quiet quitting, casual Instagram, droit à la paresse, situationship… Aurait-on trop longtemps sous-estimé la puissance du mou ?

« Quelque chose de la mollesse est plus accepté aujourd’hui. Car être mou, c’est une façon de résister à l’accélération du monde, de dire qu’il y a d’autres manières d’être, surtout avec soi-même, et en dehors du flux continu qui nous emporte. J’ai pris les meilleures décisions de ma vie quand j’étais molle », explique Géraldine Mosna-Savoye, auteure de La Force du Mou (L’observatoire). Après lecture de cet ouvrage, sorte d’éloge de l’anti-matière intellectuelle qu’est la mollesse, il nous est apparu qu’un nouveau mou-vement était en marche, qui touche aussi bien à nos fors intérieurs qu’à la société dans son ensemble : le grand relâchement. Mais que nous arrive-t-il encore ?

Si l’on a tendance à mieux accepter les coups de moins-bien, on serait même en passe d’ériger la glandouille en nouveau dogme : pour preuve, la dernière campagne Crocs (voir la photo d’ouverture) ; le boom du casual-wear pour la maison (pratique pour le télétravail, mais pas que) ; ou encore les « quiet-quitters » érigés en héros. Dans ces conditions, le ramollo, l’indéterminé, le flexible, l’adaptable, le mou, peuvent être perçus comme des réponses quasi viscérales, instinctives, et bienvenues, à la surchauffe de nos caboches. « Quand on est en jogging, on est soi-même. Être mou, c’est une sorte de bulle de suspension, qui arrête le cours des choses, où on se déconnecte d’un monde surinformé, trop rapide, trop dense. Dans ces moments de rêvasserie, on pense à tout et à rien, et quelque chose de nous-même se construit. » Et ce grand relâchement productif est visible bien au-delà de nos coups de mou assumés, de nos soirées cocooning – quelle horreur – ou du droit à la paresse invoqué par l’inarrêtable Sandrine Rousseau. 

CASUAL INSTAGRAM & PYJAMAS

Côté boulot, si la grande démission a fait beaucoup parler d’elle, c’est au tour de son petit frère, moins radical, plus mou, d’inquiéter les patrons du MEDEF. Le quiet quitting, ou la tendance à ne faire que le stricte minimum au burlingue – peut-être l’exemple le plus évident qu’un grand relâchement est en cours. On a également vu le monde de l’influence résister aux injonctions à la perfection, et adopter le laisser-aller en créant le casual Instagram. Il s’agit de donner l’impression qu’on se fout de ce que pensent les autres. Terminé les filtres et les posts léchés, bonjour la décontraction, les photos random et un peu floues – la mollesse éditoriale. Notre spécialiste avoue d’ailleurs être « hyper-admirative des gens qui se disent “je ne suis pas con, je le sais, et je me fous de ce que les gens pensent de moi”, c’est une force. » 

Et cette tendance je-m’en-foutiste n’est pas venue seule, elle s’accompagne d’un style vestimentaire, le loungewear, érigeant le jogging et les pantoufles-moumoute en nouveau hip. Les catwalks pourraient donc bientôt être envahis de pyjamas en soie. Même les jeux-vidéos, l’activité préférée des glandeurs en jogging, tend à ralentir. La tendance n’est plus aux jeux de combat, mais plutôt aux simulations de train, d’aviation ou de pêche, en mode lenteur extrême.
 

SITUATIONSHIP & SMOOTH RAP

Et après une bonne journée de quiet quitting en pyjama à faire des selfies 0.5 devant Train Simulation 3, on écoute quoi ? Du smooth rap bien sûr. Plus chill que jamais, ce nouveau rap venu de chez nos amis québécois se veut, à l’image des Canadiens, aussi léger que consensuel. L’époque serait donc à l’entre-deux, à l’indécision molle. On le remarque également côté amour, où l’on parle désormais de situationship : une relation amoureuse sans pression, sans savoir où ça ira, quelque chose de non-défini… d’un peu mou, malléable, mais qui dure. 

Même du côté militantisme, on privilégie la mollesse à l’action. On le voit avec le mouvement britannique Don’t Pay UK, qui incite à arrêter de payer ses factures d’énergie, ou encore avec les techniques de militants écolos, qui s’allongent au sol pour devenir des crêpes humaines, rendant l’intervention des flics difficile. Encore une fois, la mollesse comme moyen de résistance… Et on ne vous parle même pas du goût prononcé des Français pour la kétamine, cet anesthésiant pour chevaux qui vous envoie dans le coton… Bref, tout vire au mou, et ce sera peut-être pour le meilleur.


Par 
Jean-Baptiste Chiara