LES CULOTTES D’HENRIETTE H

culotte henriette

Ce mois-ci, nos deux explorateurs de l’intime partent à la rencontre de Sarah, à l’origine de la marque de lingerie Henriette H. Récit brodé.

Covid oblige, Sarah est venue chez moi. J’aurais dû détester tant je redoute les intimités des appartements. J’aurais dû sentir une sorte de gène puisque je suis fait comme ça. Et puis non. Non, vraiment. Sarah se pointe avec son gros manteau et son bonnet sur la tête. Elle a l’air contente. Elle sourit à pleines dents, comme émerveillée par les quelques mètres qu’elle a parcouru dans la rue puis dans ma cage d’escalier. Elle sourit à pleines dents, mais pas comme les Américaines de boîtes de nuit, non, un vrai sourire, qui ne cherche pas la photo. 
On commence d’ailleurs par en parler, de la photo. Sarah n’a pas encore vu Sonia pour son portrait. Je la sens fébrile. A l’heure où j’écris, elles ne se sont pas encore vues – je suis sûr pourtant, qu’avec leur bienveillance réunies, tout se passera mieux que je ne pourrais le décrire. 

L’INTIMITÉ DES FILLES

Je prépare un café (raté) à Sarah et je la laisse parler. Rapidement, mais sans embûches, avec le même sourire qu’en arrivant et les mots bien choisis comme finalement si peu de personnes en sont capables, Sarah commence. 
Tout a débuté il y a sept ans. Sarah fabriquait des bijoux, des grands sautoirs, qu’elle enfilait comme il se doit, autour du cou. Puis, une femme qu’elle rencontre et qui travaille chez Merci lui conseille de créer sa marque. Sarah refuserait presque, jusqu’à ce qu’on lui explique qu’une marque, c’est aussi raconter, inventer une histoire. Sarah tique. Elle y pense. Chez sa belle-mère alors, il y a une peinture particulière, le portrait d’une femme qui l’intrigue. Elle est là, peinte pour la famille, et elle charge avec elle plus qu’un symbole, c’est une histoire que Sarah s’empresse de vouloir raconter. 
Sarah l’avoue, avant même d’avoir voulu être actrice, elle ne vivait justement que pour les histoires qu’on raconte, quitte à vivre parfois les amours, les amitiés ou les moindres petites choses de la vie seulement pour pouvoir les raconter plus tard. Croyez-moi, je connais bien. 
L’histoire, ce sera Henriette H, une femme libre, un peu scandaleuse, mais, comme elle possède la grâce des prénoms surannées, jamais vulgaire, jamais trash dans ses excès ou ses secrets. Au cou, elle portera les noms des garçons qu’elle a eus. Les sautoirs se vendent bien. Plusieurs modèles, tous faits patiemment à la main. Puis Sarah part en Inde pour trouver des pierres. Et là, alors qu’elle devrait trouver son bonheur absolu dans les pierres qu’on lui propose, Sarah se sent limitée, comme étouffée par ces bijoux qui ne font jamais rien d’autre que de serrer un cou. À côté de l’atelier des pierres, il y en a un autre. Du tissus cette fois-ci. Et Sarah aperçoit une petite culotte blanche, toute simple. Elle décide d’y broder le nom de son amoureux de l’époque, et quand elle rentre, elle s’aperçoit que l’idée enfin, était plutôt bonne. Surprise des personnes de Merci quand, alors qu’elle était censée présenter des sautoirs pour la nouvelle collection, Sarah ouvre une boite et dégaine une culotte avec broderie rouge. Henriette H renait une deuxième fois. Elle renait mieux peut-être, puisqu’au fond, Sarah n’a jamais voulu raconter rien d’autre que l’intimité des filles, leurs nuits, leurs essayages, elles se préparent à un rendez-vous, elles enfilent seules un vêtements que si peu de personnes pourront voir. Je ne suis pas un dingue de lingerie. Je veux dire qu’à part ce que peuvent soulever en moi d’électrisant les bodys rentrés dans des pantalons, je n’ai jamais vraiment porté d’importance fétichiste aux sous-vêtements de mes maîtresses. Pourtant, je n’ai jamais pu m’empêcher de penser à ce qu’ils sous-entendaient de l’attente, de la préparation. Ce soir, ils seront vus. Ce soir, on sera nu. 
J’ai le sentiment que les sous-vêtements d’Henriette sont aussi pensés comme ça. Puisqu’on y inscrit quelque chose, on sait à qui on les destine. Et parfois, dans les désirs, les moments qui précèdent se font délicieusement langoureux. Alors, pourquoi ne pas les prolonger un peu, aller dans la jolie boutique de la rue du Château d’Eau, essayer les modèles dans la cabine dont un rideau seulement vous cache de la vitrine, choisir un prénom, un mot peut-être, attendre une broderie qui ne saurait être de série et s’en aller ensuite, avec sa délicate boite en carton avant de se préparer seule, chez soi, vers la rencontre qui s’annonce. 

LA PETITE CULOTTE BLANCHE VAINCRA TOUJOURS LE LATEX OU LES RÉSILLES CRIANTES.

 

Et puis, puisqu’il n’y a pas que le fantasme, Sarah me parle de l’image. Il y a le cinéma, de Virgin Suicide à Rohmer, en passant par Pretty Woman ou Belle de Jour. L’érotisme, le cul, viennent souvent du cinéma. Je ne peux qu’être d’accord avec Sarah quand elle me dit qu’il vaut mieux avoir fait son éducation sexuelle avec les films qui suggèrent plutôt qu’avec l’éclairage blafard des pornos en ligne. 
Il y a la photo aussi, bien sûr – Sarah me raconte avoir demandé à une de ses clientes si elle pouvait la photographier chez elle en culotte. Elle me parle d’elle avec une telle tendresse, une telle envie – elle me parle de ses cheveux blancs et de son corps tout entier – je ne doute pas qu’on percoive qu’une envie pointe directement sur les clichés. Une histoire de corps alors, mais aussi une histoire de l’intime et de l’érotisme absolument assumé tant il ne tombe jamais dans le caricatural façon Sexodrome. Pour Henriette H, la petite culotte blanche vaincra toujours le latex ou les résilles criantes. 
Il est toujours agréable de rencontrer quelqu’un qui se trouve absolument à sa place. Et quand Sarah rigole et parle à toute vitesse dans mon salon, j’ai le sentiment qu’elle a trouvé son fauteuil, un endroit qu’elle a créé, entre l’érotisme, les histoires qu’on invente et les histoires intimes, entre les fesses et les seins des filles, avec un tissu qui peut vouloir dire quelque chose, qui dit forcément quelque chose d’autre qu’une simple utilité, qu’un usage, son côté farfelu aussi, rigolo et tête brûlée – un air de dire : allez, lancez-moi les expériences, je suis prêtre à les prendre. 

Instagram : @henrietteh
Boutique : 24 rue du Château d’Eau, 75010


Par
Oscar Coop-Phane
Photos Sonia Sieff