[LES ARCHIVES TECHNIKART] NOTRE SÉJOUR À LA FISTINIÈRE

Fist Fistinière Technikart

Au Nom du fist !

En 2011, Technikart tentait de décrypter la Fistinière, ses chambres, sa piscine et sa… « chapelle fistine » ! Notre reporter est parti passer le week-end and cette maison au cœur du Cher, discuter avec ses hôtes venus du monde entier pour partager leur passion: le fist-fucking. Reportage.

Assigny, paisible petit village dans le département du Cher. Routes bordées de prés verdoyants, cours d’eau sautillants, moutons bêlants. Jamais le non-initié ne pourrait imaginer qu’­­au sein de ce paysage pastoral prospère la Mecque du fist-fucking. Pour les âmes pures ne s’étant pas encore fait déflorer les oreilles, le fist-fucking (ou « fist » pour les intimes) désigne une pratique sexuelle consistant à introduire sa main, et pourquoi pas l’autre, dans l’anus ou le vagin de son aimable partenaire. A la Fistinière, maison d’hôtes gay, c’est évidemment dans l’anus qu’on vient du monde entier se faire mettre les choses au poing. 
Nous voici donc accueilli par François et Juan Carlos, les fondateurs du lieu. Confortablement assis dans le salon de ce vaste corps de ferme rénové avec goût, François, la quarantaine, nous conte d’une voix grave et posée, aux accents vieille France, la riche histoire de la Fistinière. Une histoire d’amour, en somme :  « J’ai rencontré Juan il y a une dizaine d’années dans un sauna gay. Ça a tout de suite accroché. Dès la nuit suivante, il me parlait de fist. Ne voulant pas passer pour la gourdasse de service, j’ai dit : “Oui, bien sûr, j’ai déjà fait.” Ce n’était pas du tout le cas, il s’en est vite rendu compte. »Il a commencé mon initiation en tant que passif. » Un petit  silence, puis : « J’ai découvert des sensations inimaginables. » 


Un million de travaux

Filant la parfaite romance, nos deux tourtereaux continuent poing dans le poing leurs petites aventures. Ils sortent, à Bourges, la ville où François tient une boutique de prêt-à-porter spécialisée dans le mariage, et à Paris, dans des clubs comme le Globe ou le Keller. Des lieux qu’ils trouvent parfois « un peu crades ou pas appropriés » et dans lesquels ils n’arrivent pas « à se lâcher aussi bien qu’à la maison ». Fort de cette constatation,  ils achètent une petite maison de campagne à Pesselières dans le Berry et y organisent de sympathiques « petites partouzes entre amis ». « Les gens nous disaient qu’ils aimaient bien venir chez nous. Très vite, on s’est dit que ça serait génial de créer un lieu convivial spécialement dédié au fist. Depuis notre petite chaumière, on a commencé à fantasmer sur le concept de la Fistinière. »

Fist Fistinière Technikart


En 2005, ils achètent un corps de ferme en ruines. Le début de galères épiques : « On a dû tout refaire, des fondations à la charpente, enchaîne Juan. On n’était pas manuels pour un sou et on n’avait aucune idée du guêpier dans lequel on s’était fourrés.
On a bossé comme des chiens sept jours sur sept, de 6h00 du mat’ à tard le soir, pendant deux ans. Le budget a explosé, frisant le million d’euros, et on n’avait aucune rentrée. Je suis tombé du toit, ça m’a valu trois mois dans le plâtre, et j’ai fait une bonne grosse dépression. »


Comme une religion

Le résultat est à la hauteur du sacrifice : 800 m2 habitables, cinq chambres pouvant accueillir seize hôtes, une piscine, un « parc d’attrap’fion » et, dominant le tout, la « chapelle Fistine » (tirant son nom de fresques saisissantes réalisées par un « graph’fist ») : une immense pièce sous les toits intégralement vouée à la jouissance anale. Ce nom n’est pas si innocent que ça : on entre en effet en fist comme on entre en religion. Comme dans toute secte, la diaspora entretient des rapports étroits à travers le monde, tente de convertir de nouvelles recrues, possède sa propre langue liturgique, ses tenues de messe et ne jure souvent que par un seul Dieu, à l’exclusion de tous les autres. Il n’est dès lors pas étonnant que la Fistinière possède son totem, son saint patron (l’archange Uriel) et que Juan Carlos ait officié dix ans au sein de l’ordre des Sœurs de la Perpétuelle Indulgence. « Jésus fut crucifié, heureusement. Eût-il été empalé, on aurait d’étranges crucifix dans les églises. Quant aux signes de croix… », disait J. D’Agostina.
Juan Carlos, sorte de Géo Trouvetou du fist au regard illuminé, a conçu et imaginé la plupart des instruments qui peuplent la chapelle. Il assure la visite avec une précision toute scientifique. A votre gauche, la pièce d’eau, « pour tous les jeux humides ». Là, une sorte de balancelle en cuir, assurant un « écartement maximum du bassin ».

« Ce n’est pas le beauf de base qui vient à la Fistinière. On a beaucoup de professions libérales. » (François)


Ici, un sling, « le classique du fisteur », sorte de hamac en cuir suspendu au plafond par des chaînes. Surmonté de deux lanières où l’on passe les jambes, il permet de conserver une position évoquant davantage l’obstétrique que le sexe. Plus loin, un dispositif doté d’une poulie permettant de se faire treuiller et d’être maintenu la tête en bas.


Baguettes chinoises, balles de ping-pong…

Chaque engin est entouré d’un jeu de miroirs invitant à contempler le déroulement des opérations. « Le visuel, c’est très important », observe Juan. Dans un coin de la pièce, un étrange bric-à-brac, méticuleusement entreposé et enveloppé de cellophane, attire l’attention. Baguettes chinoises (« une à une ou par paquet de dix »), balles de ping-pong, de golf (« pour les plus snobs », record de la maison : 14), boules de billard, de pétanque, chaînes (« très excitant, à introduire maillon par maillon »), quilles, spéculum de vétérinaire (« On a le même à la maison », confesse guilleret un hôte assistant à la visite), batte de baseball, fouet de cuisine et même un insolite cône de signalisation dont on doute que les ingénieurs de la DDE l’ait imaginé pour un tel usage. 
Un inventaire à la Prévert, comme si la confrérie du fist avait décidé, dans un élan de prosélytisme, de convertir à son culte l’ensemble des créations humaines. « Mais qui te dit qu’au départ ces objets n’ont pas été inventés justement pour ça et que c’est par la suite qu’ils ont été détournés par les sportifs ? », fait remarquer un hôte visiblement diplômé en pataphysique. Pour faire couler, il faut lubrifier, beaucoup. Chacun a sa recette magique, qu’il prépare chez lui à l’aide d’un mixer. Deux produits phares, cependant : le Crisco, une graisse alimentaire pour faire des cookies, que l’on mélange souvent à un gel vétérinaire permettant de pratiquer des inséminations artificielles. Et une règle d’or : « A chaque fisteur ses gants, à chaque fisté son pot. » Non, nous ne rêvons pas.


«Des gens haut placés»

Il est 20h00. Arrivés en habits de ville en fin d’après-midi – costume et attaché-case pour l’un d’eux –, cinq hôtes se joignent à l’apéro en tenue de communiant. Pantalon ou combinaison totale cuir, ne laissant apparaître que l’essentiel. Ils sont chirurgien, publicitaire, logisticien, ingénieur. Des classes supérieures, comme la majorité de la clientèle du lieu. François : « Il y a quand même un certain cheminement pour arriver au fist, une démarche intellectuelle. Ce n’est pas le beauf de base qui va venir à la Fistinière. On a beaucoup de professions libérales, des gens un petit peu – voire très haut – placés. » Très vite, la conversation part sur leur passion commune. 

« Moi, je ne suis pas pédé. J’ai découvert le fist tout à fait par hasard par… ma femme. » (Yves)


Quand Joël, 35 ans, travaillant dans un sauna gay, en parle, on croirait que le fist est un art martial : « J’ai pris mon premier fist à 20 ans, puis j’ai arrêté pendant cinq ans parce que j’étais marié. Après mon divorce, j’ai repris les godes et je me suis remis dans le fist. J’essaye toujours de progresser. Je pratique tous les week-ends, parfois même en semaine. Je suis assez costaud quand même, je prends des doubles. C’est pas que je veuille battre des records, mais il faut pas trop s’arrêter, sinon ça risque de se refermer. »  Didier, le compagnon de Joël, confirme que, dans la plupart des cas, le fist se mérite : « Il y en qui se travaillent le cul pendant quelques semaines et vont progresser hyper vite. Mais, en général, il faut plusieurs mois. Et certains n’y arrivent jamais… » Tous s’accordent à dire « qu’en passif, les sensations sont fabuleuses ». « T’as envie qu’on s’occupe de ton cul parce que tu prends un pied pas possible et que tu pars dans des délires incroyables », témoigne Yves. « Le fist, c’est au-delà du sexe. Quand tu y as goûté, tout le reste te paraît bien fade », renchérit Simon. 

Fist Fistinière Technikart


Casimir sous LSD

Après vingt minutes de conversation, les apéritifs à peine terminés, tout le monde est déjà dans la « salle de jeux ». Sans tarder, presque machinalement, les duos, les trios se forment. Les gants s’enfilent, le lubrifiant coule à flots, mélangeant son odeur douceâtre à celle du cuir. La musique, une house hypnotisante, fait son office. Allongé sur le sling, Aldo, sous l’effort de Juan, émet d’étranges râles qu’on pourrait croire échappés d’un asile. Il rit, sanglote, semble agoniser. Le regard halluciné, en sueur, il se frotte le front des deux mains. Juan recule un peu son bras droit, avant d’y adjoindre, lentement, à grands renforts de crème, le gauche. Il ponctue l’avancée de « Ouais, ouais ! », comme on encouragerait un petit chien à sauter des obstacles. Totalement parti, Aldo aspire une bouffée de poppers et se met à babiller un langage singulier, digne d’un Casimir en plein délire de LSD. C’est comme si l’action de Juan l’avait fait régresser vers le ventre de sa mère et lui avait ouvert les portes d’une glossolalie infantile. 

« Un jour, j’ai pris un tel pied que je me suis retrouvé en deltaplane au-dessus des calanques de Cassis. » (Didier)


Quelques minutes après cet accouchement à l’envers, Aldo, rayonnant, nous confie qu’il est fréquent de partir dans ce genre de délire. Didier confirme : « On a parfois l’impression d’être dans une autre dimension. Au début, souvent, je me voyais dans un tunnel dont j’apercevais le bout sans pouvoir l’atteindre. Un jour, j’ai pris un pied phénoménal et j’en suis sorti : je me suis retrouvé en deltaplane au-dessus des calanques de Cassis. » Cette histoire paranormale contée, Didier propose à Yves, de manière aussi banale que s’il l’invitait à une partie de squash, de le fister. 
De son côté, Joël n’a pas perdu son temps. En suspension sur la balancelle, totalement abandonné, sniffant régulièrement le poppers reposant dans son collier de cuir comme un bébé suçoterait sa tétine, il se fait fister à l’envi par trois des convives. Quelques minutes plus tard, Joël décide de faire une pause : « J’ai une petite crampe et puis après je veux faire le truc la tête à l’envers », confie-t-il insatiable, les yeux roulant dans les orbites comme ceux d’un gosse voulant tester chaque attraction d’un parc. Accoudé au bar, François a le blues du fisteur : « Pour moi, le fist, ce n’est pas mettre le cul en l’air et attendre qu’on te le bourre. C’est comme un aboutissement. Tu as tellement envie de l’autre que tu lui donnes ton cul. Ça nécessite une confiance totale. Je me retrouve parfois avec un mec qui me tape sur l’épaule et qui me dit : “Tu veux que je te fiste ?” et, vraiment, ça me donne pas envie. Je ne suis pas une machine. »


Et le petit déj, alors ?

En bas, alors qu’ils se restaurent au buffet, Simon, un chirurgien au visage aussi insoupçonnable que celui d’un bourgeois des films de Buñuel, fait à Yves une étonnante confession : « Moi je ne suis pas pédé. J’ai découvert le fist tout à fait par hasard. C’est ma femme qui un soir m’a mis un doigt, puis deux, puis le reste. Maintenant que je ne suis plus avec elle, venir dans ce genre d’endroit est le seul moyen que j’ai pour avoir accès au fist. Je participe, je fais ce qu’il faut, mais un homme ne m’a jamais fait bander. » On préfère zapper le clou de la cérémonie : Aldo se faisant suspendre comme une pièce d’abattoir et devenant pour quelques minutes la figure vivante de l’inversion.
Au matin, sur la table du petit déjeuner, le soleil d’hiver jouant sur son visage, François enseigne à Didier l’origine de la « Chapelle Fistine ». Dans sa fresque du Jugement dernier, à l’intérieur de la Chapelle Sixtine, Michel-Ange, dont certaines thèses avancent qu’il était homosexuel, a représenté un des personnages le poing tendu s’arrêtant à l’orée des fesses d’un autre. Scrutant l’agrandissement, l’œil amusé, les deux compères semblent chercher la justification de leur pratique hétérodoxe dans ce ciel plus connu pour le doigt de Dieu que pour son poing.


Par Sébastien Bardos dans Technikart #150 paru en mars 2011


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