Les arguments avancés pour faire la promo de la loi « immigration », – votée le 19 décembre dernier par le Parlement–, sont-ils complètement bidons ? L’économiste le plus fute-fute de France s’en est fait sa petite idée.
Légende photo : MARIN D’EAU DOUCE_ Emmanuel Macron a les pieds mouillés : plus son gouverment fait du forcing pour faire accepter la loi « immigration », plus l’extrême droite en fait ses choux gras. Attention, ça tangue…
Actuellement en France, aucune question n’est plus clivante que celle de l’immigration. Des théories fumeuses comme le « grand remplacement », à la surévaluation du coût pour le budget de l’État, en passant par la mise en avant des risques terroristes, la confusion est savamment entretenue par les marchands de peur et par certains médias qui ouvrent pléthore de tribunes aux tenants de ces thèses. La réalité des chiffres est pourtant très éloignée de ces fantasmes, et l’instrumentalisation de l’immigration vise souvent à stigmatiser des Français d’origine africaine. Aucun débat serein sur la question n’est possible tant l’imbroglio sur les définitions, les prévisions et les conséquences de l’immigration a été influencé par les fantasmes de l’extrême droite.
CHEVAL DE TROIE
Un premier fantasme relève de la différence entre immigration perçue et immigration réelle. Selon un sondage, les Français évalueraient la population étrangère à 23,5 %. Or dans les faits, elle ne serait que 7,6 %. Ce problème de discernement est dû à la confusion volontairement entretenue par la droite et l’extrême droite entre Français d’origine étrangère et migrants. L’immigration est souvent utilisée comme un cheval de Troie pour déployer un racisme à l’égard d’une catégorie de Français en raison de leurs origines, de leur couleur de peau ou de leur religion. Pour reprendre l’expression du sociologue Smaïn Laacher, il y a « des Français qui n’en finissent pas d’être immigrés » et, dans ce cas, leur nationalité française ne les protège pas des discriminations dues à leur patronyme ou leur couleur de peau. Les questions autour de l’intégration et de l’identité nationale visent, de manière détournée, ces populations. Or, concrètement, c’est un non-sens de demander à des Français de s’intégrer, et il serait temps que ceux qui ne les considèrent pas comme tels à part entière le comprennent.
L’autre fantasme est celui de l’invasion des migrants – surtout ceux venant d’Afrique. La dernière prévision ayant connu un retentissement médiatique et institutionnel important (compte tenu du nombre de récompenses obtenues) provient de l’essayiste et journaliste Stephen Smith. Dans son livre La ruée vers l’Europe. La jeune Afrique en route pour le vieux continent, l’auteur s’essaie maladroitement à la compilation de données et arrive à la conclusion qu’en 2050, l’Europe sera peuplée à 25 % d’immigrés subsahariens. De nombreuses critiques ont été émises sur l’absence de rigueur méthodologique de l’auteur. Le professeur au Collège de France François Héran démontre par exemple dans un article pour la revue Populations et sociétés que le scénario de Smith ne tient pas la route, et que l’ordre de grandeur le plus réaliste est cinq fois moindre. Selon lui, les migrants subsahariens occuperont certes une place grandissante dans les sociétés du Nord mais resteront très minoritaires : environ 4 % de la population. François Héran indique entre autres que la prophétie de Stephen Smith omet plusieurs points importants, comme le fait que la population d’Afrique subsaharienne, en raison de sa pauvreté, émigre peu, et que lorsqu’elle émigre, elle le fait à 70 % vers d’autres pays subsahariens. Le manque de rigueur de Stephen Smith ne l’a pas empêché d’être cité par le Président Emmanuel Macron et de recevoir des mains du ministre des Affaires Étrangères le Prix du livre géopolitique 2018. L’engouement pour ce livre qui offrait une validation « officielle » aux pires thèses de l’extrême droite a eu le mérite de confirmer au grand jour qu’en France, l’immigration est surtout un problème quand elle concerne les Africains.
LES POMPES ASPIRANTES
Enfin, le troisième fantasme réside dans le fait qu’un étranger vivant dans un pays pauvre ou en guerre connaîtrait mieux le modèle social qu’un Français (dont les 1/3 ne réclament déjà pas le RSA alors qu’ils y sont éligibles) et serait prêt à risquer sa vie (en traversant la Méditerranée sur une embarcation de fortune) pour en profiter. Cette théorie montre une méconnaissance complète du fonctionnement du modèle social. Car la France est loin d’être un pays aussi ouvert socialement qu’on l’entend. Par exemple, un emploi sur cinq demeure inaccessible aux étrangers. De plus, pour qu’un étranger puisse toucher le RSA, il doit résider en France depuis cinq ans (à l’époque du RMI c’était trois ans). Dix ans pour le minimum vieillesse (au départ c’était un an). Si la théorie des pompes aspirantes était sérieuse, alors le durcissement d’accès aux prestations sociales aurait dû avoir un effet négatif sur l’immigration, mais rien de tout cela n’a été vu. D’ailleurs, les pays n’ayant pas un modèle social aussi généreux que le nôtre, comme les États-Unis ou le Royaume-Uni, sont tout autant, voire plus, une destination de résidence pour les étrangers.
La réalité est que l’immigration est un choix contraint parce qu’il y a des guerres ou de faibles perspectives d’avenir pour la jeunesse d’un pays (qui migre le plus souvent dans un pays voisin). Une autre réalité est que de nombreux secteurs ne pourraient pas fonctionner sans une main d’œuvre étrangère. C’est le cas de la restauration (avec 18 % de travailleurs immigrés), de l’hôtellerie (18 %), du bâtiment (18 %), des services à domicile (23 %) mais aussi de l’hôpital (17 % des médecins hospitaliers sont étrangers)…
Par Thomas Porcher