LAURENCE ARNÉ, ACTRICE « FAITS-DIV’ » : « CONJURER NOS ANGOISSES »

Technikart laurence arné

Grâce à son rôle de journaliste bienveillante et rusée dans Une Affaire française, la série événement retraçant la frénésie médiatique qu’avait suscitée l’affaire Grégory, Laurence Arné illumine une histoire on ne peut plus dark. Pour Technikart, la comédienne a accepté de se poser dans notre bureau d’interrogation…

C’est le genre de rôle qui ne pouvait que nous séduire. Jeanne Lombardie est une journaliste qui se rend, comme tant d’autres en cette fin d’octobre 1984, dans le village de Lépanges-sur-Vologne (Vosges). À la différence de ses consoeurs et confrères, cette jeune reporter de France-Inter ne se perd pas dans le chaos du traitement médiatique de ce qui va rapidement devenir « l’affaire Grégory », ce garçon de quatre ans dont le corps a été retrouvé à sept kilomètres de là… 

Seul personnage de la série Une Affaire française à ne pas être inspiré des protagonistes du faits divers ayant le plus attisé, pendant plus de 25 ans, les passions des Françaises et des Français, Laurence Arné y apporte une touche d’humanité rouée. Connue avant tout grâce à ses talents comiques – Workingirls (série Canal millésime 2012 ayant permis de faire émerger Arné et une certaine Blanche Gardin), et, en 2016, de sa propre série, Filles d’aujourd’hui (des sketchs inspirés de ses one-woman-show), ainsi qu’une flopée de comédies à multiplexes (La Ch’tite famille en 2018, etc.) – la comédienne se retrouve dans un drame, son premier depuis La Part du soupçon en 2019. Série librement inspirée de l’affaire Dupont de Ligonnès. Fait divers, quand tu nous tiens…

 

Tu es née à Angoulême en 1982, « l’affaire Grégory » éclate à l’automne 1984. Quand en entends-tu parler pour la toute première fois ? 
Laurence Arné : Très tardivement ! J’ai vraiment découvert l’enquête en regardant la série-documentaire Netflix (Grégory de Gilles Marchand, 2019), qui est d’une violence inouïe. 

Le projet Une affaire française date de quand alors exactement ? 
Christophe Lamotte (le réalisateur de la série, ndlr) m’en avait parlé, et je lui avait dit : « Écoute, je viens de jouer dans La part du soupçon sur l’affaire Dupont de Ligonnès donc je ne vais peut-être pas faire toutes les affaires ! » (Rires.) Il m’a quand même envoyé le scénario, j’ai lu et j’ai adoré. Ce qui est drôle, c’est que trois jours avant de recevoir le message de Christophe, je suis allée voir Angels in America de Desplechin à la Comédie française, pièce dans laquelle jouaient Michel Vuillermoz et Dominique Blanc (également à l’affiche de Une Affaire française, ndlr). À la fin, je me suis dit que j’aimerais tellement travailler avec eux. Alors quand Christophe m’appelle en me disant : « Laurence, viens rejoindre l’équipe d’acteurs, il y aura Michel Vuillermoz, Dominique Blanc… » 

« L’AFFAIRE GRÉGORY, C’ÉTAIT LE RENDEZ-VOUS MÉDIATIQUE DE L’ÉPOQUE… »

 

Cette mise en route du projet date de quand ? 
Pour moi, février 2020. Ça a été suspendu mi-mars, au premier confinement et on a repris fin juin 2020 et on a tourné tout l’été jusqu’à septembre – il fallait jouer en costumes d’hiver, parfois en plein cagnard –, et la série a été montée au printemps 2021. 

Tu es donc plongée dans cet atroce fait divers depuis un an et demi. Tu pourras peut-être nous éclairer : pourquoi ces histoires nous passionnent-elles tant ? 
Sans être une experte, je pense qu’il y a toujours eu une sorte de fascination pour l’horreur. C’est une manière de conjurer nos angoisses, d’éprouver notre empathie pour les victimes mais aussi, de nous sentir encore plus vivants. On se dit que ce n’est pas tombé sur nous, mais que le monstre peut se réveiller à tout moment chez notre voisin, un membre de la famille, un ami qui était si gentil qu’on n’aurait pas pu s’en douter !

Et pourquoi l’affaire Villemin en particulier ?
Comme ça n’a pas été résolu et que les médias ont créé une sorte de feuilleton autour de ce drame familial, c’est devenu LE rendez-vous médiatique de l’époque : les gens le suivaient en continu, ils échangeaient leur point de vue, menaient leur propre enquête… Comme une série. 

Tu joues une journaliste de France-Inter dans la série. En tenant ce rôle, qu’as-tu appris sur la duplicité de notre corporation ?
Dans cette affaire particulièrement, la vraie difficulté pour certains journalistes a été de garder une certaine éthique alors que leurs rédactions couraient après les scoops pour mieux exister, mieux vendre. Ils voulaient couvrir à tout prix chaque micro-évènement autour de l’enquête sans forcément se soucier de sa véracité ou de sa capacité de nuisance sur l’enquête elle-même ou pire, sur les victimes. Et puis les journalistes sont restés très longtemps sur place, plusieurs mois, voire des années… Ils finissaient par oublier qu’il y avait des humains en souffrance derrière ce « jeu » médiatique. 

C’est ce qui t’a plu dans ce rôle de Jeanne Lombardie ?
Absolument. Quand elle arrive à Lépanges, elle se fait happer par ce drame, mais très vite elle comprend que certains sont dans une démarche purement commerciale ou en quête de notoriété. La « meute » de journalistes présente sur place accentuait clairement cette « hystérie » compétitrice. Contrairement aux demandes de sa rédaction de faire du scoop quitte à retourner sa veste d’un article à l’autre, elle garde sa ligne, défend une certaine éthique journalistique qui, selon elle, se perd et emporte l’enquête avec elle. Cette série apporte un regard intéressant sur notre manière de consommer les médias aujourd’hui dans un flux devenu si dense et permanent. Nous avons un rôle essentiel à jouer en tant que lecteurs, nous devons filtrer, recouper, comparer, incuber… ça prend du temps ! Mais c’est tellement indispensable pour éviter certaines erreurs. 

En voyant les journalistes travailler dans la série, on a l’impression qu’ils découvrent tout ça pour la première fois. 
Exactement ! Et en lisant des livres sur l’affaire ou en regardant la série Netflix, on voit que certains prennent conscience très tardivement du mal qu’ils ont fait. 

En tant que comédienne, ça change quoi de jouer dans une fiction où la grande majorité des personnages sont des personnes réelles et, pour certaines, encore en vie ? 
En arrivant sur le plateau, sur certaines séquences, il y avait une charge supplémentaire, c’était glaçant. La séquence de l’enterrement était terrible, on était tous en larmes. Tu penses forcément au couple, à l’horreur de ce qu’ils ont vécu. Après, en tant qu’acteur, t’es toujours à fond dans l’histoire que tu racontes… Qu’elle soit vraie ou pas, elle le devient toujours pour nous lorsque que le réalisateur dit « Action ». 

Et le fait de tourner dans le coin ?
Tu sens que les gens sont encore très marqués par le drame. Certains avaient besoin d’en parler, d’autres étaient plus méfiants, plus agressifs, sûrement encore marqués par l’affaire et le comportement de certains médias à l’époque. Et l’impasse juridique n’a pas aidé à trouver l’apaisement nécessaire pour tourner la page, à mon avis. 

Tout est sans espoir dans cette histoire ?
Justement ce que je trouve très beau dans la série – magnifiquement bien écrite par Jérémie Guez et Alexandre Smia –, c’est de voir l’amour qui relie Christine et Jean-Marie Villemin. Ils sont toujours ensemble, et ça, c’est miraculeux. Ils ont tellement été démolis par le deuil puis instrumentalisés par les médias que tu te demandes comment ils s’en sont sortis…Grâce à leur amour. Et de savoir qu’ils ont trois enfants aujourd’hui… Quelle force ! 

Cela donne plusieurs scènes puissantes. 
Oui, j’ai apprécié celles où je me retrouve face à Christine (jouée par Blandine Bellavoir, ndlr). Il y a vraiment cette envie de la consoler, de la sauver presque. J’ai aimé jouer ce rôle d’amie et d’alliée, de me battre avec elle face à ce monde médiatique qui était encore très patriarcal et qui n’avait qu’une obsession, la diaboliser. 

La série met bien en avant son histoire d’amour avec Jean-Marie (Villemin, joué par Guillaume Gouix, ndlr). 
Oui, tu vois qu’il y a chez eux une force de vivre incroyable. Dans la série, alors qu’ils sont en plein deuil, le couple se retrouve et ils font l’amour. Ce besoin de fusionner, cette solidarité à toute épreuve, cet amour si puissant, ça les sauve.

 

Laurence Arné by Eddy Brière / Stylisme Marion Renoux / Manteau : TOD’S / DA Alexandre Lasnier / MUHA Stéphanie Villeret / Assistante Numérique Gwen Boucard / Assistant Photo Olivier Majerholc / Voiture Jaguar XJ40 de Julien Arparin

LIRE LA SUITE SUR CAFEYN

 

Par Laurence Rémila
Photos Eddy Brière