L’AMOUR EN INFLATION : COUP DE FOUDRE À TAUX ZÉRO

coup de foudre à taux 0

Breaking news ! En 2024, quand on aime, on compte. Car, en temps de crise, la relation rentable présente bien des avantages… Étude du dossier par notre expert-lover.

Aïe. Seulement le troisième mois de 2024, et déjà le goût d’une année amère en bouche, à force d’être le triple escroqué de ce que vous espériez si fort être une romance « à bénéfice » ? Vous mettez du temps (beaucoup), de l’énergie (énormément) et de la bonne volonté (à foison) pour cultiver votre liaison puis, patatras , un partenaire ingrat torpille ce « rêve bleu ». À coup de je-m’en-foutisme décomplexé, ou d’indélicatesses don juanesque. « Tout ça pour ça ». Au moment du bilan, comme l’impression d’être le dindon de la farce – ou plutôt un investisseur malhabile. Car oui, même si c’est un secret bien gardé par les fiévreux défenseurs de l’amour-rien-que-l’amour, le vocable de l’économie rationaliste a toute sa place, dans la réflexion mûrie sur la conjugalité mouture 2024. Simplement parce qu’à l’heure où la tendance est au calcul sociologique du « coût du couple », et à la remise en question d’une répartition asymétrique des « charges mentales », l’amant – aussi âme sœur soit-il – représente aussi un « capital partenaire ».

Quelque chose dans lequel vous avez « placé », et que vous surveillez façon cours du CAC 40. Histoire d’être sûr de ne pas gaspiller du temps. Et d’avoir parié sur le bon cheval, dans l’optique, bien raisonnable au fond, d’être, au moins un chouilla, « tiré vers le haut » par votre moitié. En vertu du bon vieux principe : en couple comme en tout, joignons l’utile à l’agréable. Tout bonnement.

PENSER GAINS

À coup sûr, on rétorquera que « faire-couple » pour enjoliver – optimiser ? – une situation personnelle n’a rien de neuf. C’est si vrai que ça a même été la norme des siècles durant, au format « mariage arrangé ». Jusqu’à la vertigineuse bascule occidentale vers un modèle romantico-bourgeois qui a diffusé l’idée, bien saugrenue à l’époque, qu’on puisse épouser « dans le bonheur et dans les épreuves » l’être aimé. En éclipsant, si possible, toute question d’intérêt. À moins de vouloir ternir l’éclat des embrasements amoureux, par de si basses considérations… Enfin bon.

La romance moderne a ceci de particulier qu’elle fait le grand écart entre ces deux approches, pourtant aux antipodes. Ni homo œconimus cynique réduisant son « sugar partner » à un portefeuille sur patte, ni enthousiaste si enguimauvé qu’il en serait devenu aveugle aux questions de « profits romantiques », le célibataire new gen assume une position d’entre deux. Il y a la transcendance amoureuse, bien sûr. Mais aussi le reste. Soyons francs : un point bonus pour l’aura du prestige social, deux pour un corps sculpté par des années d’escalade (paraît que c’est à la mode) et tutti quanti. Plusieurs considérations du genre terre-à-terre, qui ne sont pas passées sous les radars des plateformes numériques de rencontre. Au fil des ans, ces Cupidon modernes, dont les flèches ont donné naissance à 24 % des couples français en 2022 selon le site Statista, ont affiné la personnalisation des « bio utilisateurs ». Au point qu’on puisse (et doive…) désormais renseigner une flopée d’infos ultra perso. Est-on polyglotte ? BAC +5 ? Fumeur ? Et si oui, de quoi ? Etc.

Un exercice de transparence – d’auto-marketing ? – éventuellement fair play de prime abord qui cache, aussi, une dimension contractuelle. Eh oui. Plastronner qu’on est « sportif », c’est se vendre comme investissement attractif (rapport à l’hygiène de vie, la longévité…), tout en s’engageant moralement à l’être, sportif, dans le cadre d’une liaison. Sinon, alerte à la publicité mensongère. Voilà pour les précautions de circonstance, en phase séduction. Quid de l’étape relationnelle ? Là aussi, l’exigence est au rendez-vous. Grâce à l’apport féministe, les relations « sacrificielles » sont enfin dénoncées pour ce qu’elles sont : toxiques. Tant mieux ! Exit l’arnaque de l’amour-passion, glamourisant jusqu’à l’extrême les déboires galants – voire les violences conjugales. Et welcome à l’aspiration, plus que légitime, aux « retours sur investissement » amoureux. Du care, de l’écoute sexuelle, quelques cadeaux quand même, on est pas des bêtes, même par temps d’ultra inflation, et puis une infinie patience, vis-à-vis de cette belle-famille, si friande de karaokés dominicaux. Le nouveau standing d’une relation saine, en somme. Car tout bouge.

GAFFE AUX FRAUDES

À mesure que la conjugalité est de moins en moins considérée comme la condition sine qua non de l’épanouissement personnel, et que les sciences humaines surlignent au stabilo vert fluo le poids du couple sur les trajectoires perso – surtout féminines, que ce soit par rapport aux tâches domestiques ou à l’investissement parental –, on s’accorde le droit d’être plus regardant. Question de progressisme, pas de « michtonnerie ». Par souci d’indépendance, donc, on veille à ce que l’autre puisse suivre le rythme de vie auquel on aspire. Sortir avec quelqu’un, oui. Mais si c’est pour sacrifier sur l’autel du couple ses projets de toujours – ce fameux trip ayahuasca en Amazonie péruvienne, par exemple –, sans façon. Mieux vaut être seul que… Bref.

Par un souci d’amour-propre raisonné, on attend d’un partenaire qu’il stimule. Qu’il encourage l’ambition, qu’il soit disponible. Jusque dans la perspective d’une naissance, bien sûr. Qui aura le job le plus accommodant, la touche la plus pédagogue, pour élever un enfant ? Poussons la réflexion à son summum – tout en restant vachement lucides, attention. Alors qu’un mariage sur deux s’échoue sur un divorce dans l’Hexagone, quel profil se glisserait le plus aisément dans le moule de la famille « décomposée » ? « Chéri, ôte-moi d’un doute. Sur ton profil Tinder, tu t’étais bien décrit comme un “ex en or”, nan ? ». Gaffe aux fraudes.

 

Par Antonin Gratien