« L’AFFAIRE GRÉGORY ÉCLAIRE D’UNE LUMIÈRE CRUE TOUTE L’ÉPOQUE »

THIELLEMENT Pacôme

Philosophe illuminé, essayiste tout-terrain et vidéaste expé, Pacôme Thiellement, passionné d’affaires non résolues, nous fait entrer dans le cerveau des meurtriers… Âmes sensibles s’abstenir ! 

Vous avez écrit sur le Serpent, Twin Peaks, etc. D’où vous vient ce goût pour le meurtre ?
Pacôme Thiellement : Ce qui m’intéresse, c’est surtout le mystère autour du meurtre. S’il est expliqué, je n’en ai rien à faire. Pour des raisons très humaines et assez déterminées culturellement par l’invention de l’enquête policière par Edgar Allan Poe, l’enquête policière est devenue un mode d’appréhension du réel. Elle répond à une sorte de besoin qui est paradoxal parce que la résolution mène à la fin ; à la fois nous sommes contents que ce soit résolu, et insatisfaits que ce soit terminé. 

Vous vous intéressez beaucoup au cinéma de David Lynch, qu’est-ce qui vous plaît là-dedans ? 
Le rêve de Lynch dans Twin Peaks c’était qu’on ne résolve jamais l’enquête de Laura Palmer. Ils ont été obligés par les chaînes et ça a entrainé des suites étranges. Mais il y a des traces de ce désir inaccompli dans tout son cinéma par la suite que j’aime beaucoup.

Pourquoi pensez-vous que les gens s’intéressent autant aux faits divers ? 
Les enquêtes sans résolutions sont très rares. Alors que dans la vie et le récit collectif s’en est rempli. Et là, ça créé des démangeaisons énormes. C’est pour ça que certains faits divers criminels sont des sources d’inspiration et d’obsession immenses. Comme avec Jack l’éventreur, le meurtre du Dahlia noir ou l’assassin du petit Grégory. Le mystère tient parfois à l’incongruité, à l’aberration parfois à l’horreur. Pendant le confinement particulièrement, l’esprit se plait à rêver les choses. 

Avec tout ce que vous connaissez sur le sujet, vous seriez le meurtrier parfait ? 
Non (rires), ma fascination va aux profilers, ce sont eux que j’ai étudié plus que les tueurs. La question de la technique du criminel je l’ai pas du tout étudiée. Je ne pourrais pas être un consultant criminel. Les tueurs, on les arrête parce que ça nous soulage et ça nous empêche de regarder le monde qui les a rendus possible. 

Qu’est-ce qui vous intéresse chez les détectives, alors ? 
J’ai lu les différentes autobiographies des profilers, en particulier les deux plus connues, de Robert Ressler et John Douglas. Ils décrivent les états dans lesquelles les plongent les enquêtes, des états proches de la voyance, de la transe, de la perte de soi, avec le risque que la personnalité du tueur puisse leur rentrer dans la peau.

Vous avez écrit L’Enquête infinie. Pouvez-vous nous en dire plus à propos de votre mise en lumière sur l’affaire Grégory ?
L’affaire est intéressante sur plus d’un point, mais d’abord parce qu’elle rentre dans la logique d’enquête impossible à résoudre. Elle éclaire d’une lumière crue tout l’époque qu’on a traversée, tout ce qui s’est ouvert dans les années 1980. Ce qui est intéressant c’est que les journalistes présents au village pour cette enquête ont modifié l’expérience. Ils n’ont jamais été aussi nombreux pour un fait divers. Ils ont interagi avec les suspects qui ont biaisé leur témoignages. La focalisation sur le fait divers est révélatrice d’une dépolitisation de la presse française à un moment donné. Lorsque le sage montre l’état de la société, l’idiot regarde le serial killer

Pourquoi, selon vous, y a t-il d’ailleurs autant de serial killers dans le monde ? 
La question de la notoriété est devenue centrale dans les histoires criminelles depuis l’apparition des médias. Et la multiplication des success-stories, cet appétit pour la notoriété, ont montré rapidement qu’ils pouvaient aller jusqu’au meurtre gratuit comme dans l’affaire du Zodiaque. Ces meurtriers imaginaient qu’on observerait leurs crimes comme des oeuvres d’art et c’est ce que l’on a fait. C’est très prophétique. On se dit toujours « ouf ça ne m’est pas arrivé à moi », on vit ces affaires par procuration. Ces sensations fortes ont toujours une fonction : on se questionne sur ce que peut être le pire de l’homme et on voudrait trouver la solution. 

L’Enquête Infinie à paraître le 15 septembre, 22 €, éditions PUF 


Par
Margot Pannequin
Photo Arnaud Baumann