Longtemps pratiqué en loucedé, du côté de ces messieurs comme de ces mesdames, l’onanisme connaît, semble-t-il, son heure de gloire dans la vie de couple. Mais êtes-vous vraiment prêt pour le plus désirable des ménages à trois ? Notre reporter au grand large a fait le test. Témoignage.
Un samedi soir comme les autres – ou presque. Alors que vous rentrez vous pieuter, passablement ravagé par votre virée hebdo passée à écumer les rades low cost de Belleville, vous vous dirigez vers la chambre de votre partenaire. Le tout, à pas de loup – histoire de pas l’arracher au sommeil par une balourdise avinée, bien sûr. Seulement voilà. Une fois la porte entrebâillée, l’évidence vous saute au yeux. Personne ne dort. Plus surprenant encore : ces yeux hagards, cette couette curieusement drapée jusqu’au ras du cou et surtout, surtout, cet ordinateur dont l’écran gît à moitié rabattu… tout pointe vers une activité « louche ». La silhouette d’un sextoy, échoué au bord du lit, en apporte l’indubitable confirmation ; oui, une masturbation a eu lieu. Mais faut-il vraiment en faire un drame ?
AUTO-ÉROTISME
On respire un coup, et on remonte la bobine. C’est peu dire que la stigmatisation sociale à l’endroit des « plaisirs solitaires » a la peau dure. À l’Antiquité déjà, nos philosophes vedettes, entre deux savantes références au principe mathématique des mouvements célestes, dissertaient doctement sur l’énorme honte que représentait la masturbation masculine. Grosso modo, perdre (en vain, supposément) sa « semence », c’était céder aux sirènes d’un penchant pulsionnel dégradant. L’idée est aussi bien filée du côté de la théologie chrétienne – qui voit dans « l’onanisme » un doigt d’honneur lancé à la face des plans démographiques du Grand Horloger himself (« soyez féconds et multipliez-vous », dixit la Genèse)– que de la médecine du XIXe siècle.
Aux yeux des thérapeutes d’alors, c’est simple : fléau moral, la paluche est aussi un danger de santé publique. On la soupçonne du pire – surtout de provoquer la mort. Ces discours catastrophistes seront modérés par l’émergence de la psychanalyse et de sa cousine pas si éloignée, la sexologie, qui, au tournant du XXe siècle, « normaliseront » l’auto-érotisme, chez l’homme comme chez la femme. Doit-on en conclure qu’à partir de ce moment-là, les « vicieux » d’alors vont enfin pouvoir lâcher la bride ? Pas vraiment.
« C’EST NIKITA BELLUCCI, OU MOI ! »
Si la masturbation ne fait plus l’objet de débats publics sur le délabrement supposé des « mœurs », il n’en demeure pas moins un sujet brûlant dans la sphère de l’intime – aujourd’hui encore. En témoigne cette nuée d’articles de presse féminine (dont on taira l’origine) qui associaient récemment, de manière plus ou moins crispée, les kiffes solitaires masculins à… l’adultère. « Quoi, tu te touches en pensant à une Nikita Bellucci plutôt qu’à moi ? » Etc. Bon. À ce jeu-ci, reste à savoir si les femmes peuvent, elles aussi, écoper de ce rôle « d’infidèle » putatif. La question reste un angle mort médiatique, alors même qu’une enquête de 2024 diligentée par Statista rapportait qu’en 1992, 42 % des Françaises déclaraient s’être déjà masturbées, pour 72,9 % en 2023. Un bond qui s’explique par une libération de la parole – et de l’écoute – vis-à-vis du plaisir féminin. Ainsi que « l’effet confinement », ayant dopé le marché du sextoy.
« EN 1992, 42% DES FRANÇAISES DÉCLARAIENT S’ÊTRE DÉJÀ MASTURBÉES, POUR 72,9 % EN 2023.»
Mais alors, comment réagir avec justesse, devant le fait accompli d’une « masturbation extra-conjugale », qu’elle soit conjuguée au masculin, ou au féminin ? Reprenons. Vous rentrez chez vous avec un sévère 0,9 g dans le sang, prenez votre partenaire en flag’ et… quoi ? Disons-le franchement : amorcer un scandale vaudevillesque à l’égard d’un jouet en silicone, ou d’une vidéo X, sonnerait comme de la jalousie pathologique. En plus d’être la preuve d’un orgueil jupitérien. Qui, aujourd’hui, aurait le melon assez épais pour se croire l’objet (et l’instrument) de plaisir exclusif de son compère ? Pas vous, pas ce soir.
Alors soyez dignes, et ravalez votre fierté. Option numéro un, pour préserver la bulle de cet auto-érotisme feutré que votre intrusion menace si périlleusement : proposer courtoisement au concerné, ou à la concernée, quelques « minutes d’intimité » supplémentaires, pour conclure son incursion érotique. Une autre piste, plus sulfureuse peut-être, consisterait à soumettre l’idée du visionnage commun d’un porno pensé spécifiquement pour les couples (oui, ça existe), tout en dégainant votre propre joujou sextech. À chacun son accessoire, pour un plaisir au savourer au diapason. La légende veut que l’orgasme n’en soit que meilleur…
Par Antonin Gratien