LA POLITIQUE DE LA SERVIETTE DE PLAGE

politique de la serviette de plage

Se dorer la pilule à la plage sur une serviette moelleuse et absorbante fait-il de vous un tyran des inégalités sociales ? L’économiste le plus détente de France a la réponse. 


Légende photo : À LA FRAÎCHE_ A-t-on plus de chance de réussir son bronzage « Long Island style » sur la chaise longue Locus Solus de Jacquemus ? Non. Par contre, c’est ce que penseront les autres. Et ça, ça vaut bien ses 5940 euros. 


Avant même de commencer cette chronique, il est important de rappeler qu’il y a chaque année 22 millions de Français
(soit quasiment 1/3 de la population) qui ne partent pas en vacances dont dix millions qui ne partent jamais (soit 16 % de la population). De fait, ces personnes sont exclues du marché de la serviette de plage. Reste ensuite, sur tous ceux qui partent, une véritable sociologie de la serviette. 

La généralisation des congés payés a vu arriver dans les villes proches de la mer des masses de vacanciers. Sur les plages, des groupes sociaux différents se sont côtoyés, ce qui a poussé la bourgeoisie à vouloir se distinguer dans son style. La tenue de plage n’offrant que peu de possibilités, la serviette est devenue un enjeu majeur. Après le maillot de bain et les lunettes de soleil, elle apparaît comme un élément faisant la différence. Il y a donc eu, au départ, la serviette-éponge appréciée pour sécher rapidement les corps mouillés puis, avec sa généralisation, elle a été remplacée chez les classes supérieures par les foutas – un grand drap de bain en coton –, pour ensuite céder à nouveau la place aux serviettes-éponges mais, cette fois-ci, beaucoup plus stylées. Les marques de luxe proposent d’ailleurs tous les ans leur sélection de serviettes de plage et, chaque année, des magazines de mode y consacrent des articles : « Serviettes de plage : notre sélection pour farniente » ou « 17 serviettes de plage tendances pour un été mode ».

LES NÉO-VACANCIERS

Aujourd’hui, la distinction semble moins se faire sur les codes vestimentaires de plage que sur la création d’espaces privés au sein des plages – comme les transats payants – ou le choix des destinations de vacances. Ainsi, lorsque l’avion était réservé à une petite élite, certaines régions françaises étaient boudées pour les vacances d’été puis, dans un second temps, sont revenus sur le devant de la scène avec le développement du tourisme de masse et les voyages low cost. Aujourd’hui, une maison d’hôte en Bretagne est plus tendance qu’un hôtel all inclusive à Saint-Domingue. Ce n’était pas le cas il y a 20 ans. Au début des années 2000, les bobs, les méduses ou les birkenstock étaient moqués par les fashionistas pour leur côté beauf – évoquant le Français moyen en vacances -, ils reviennent en force depuis quelques années symbolisant des vacances simples (donc saines) et proches de la nature. Même le camping devient à la mode chez les bobos. Partir en France est devenu un acte écologique. Prendre l’avion pour aller au bout du monde n’est plus tendance dans les classes supérieures. Après avoir brûlé leur empreinte carbone en ayant vu les quatre coins du monde, il faut aujourd’hui se comporter en citoyen responsable : manger bio, trier ses déchets, se déplacer à vélo (sur de courtes distances), partir en vacances en France. Non seulement voyager local est un acte écologique mais, en plus, il permet d’éviter de retrouver tout le tourisme de masse en Thaïlande, Espagne, Miami ou Dubai. Mais alors comment rester tendance sans aller trop loin ? En réinvestissant les codes du passé. Le vintage, c’est la mode. Alors la serviette de plage en éponge à rayures comme dans les années 1970 redevient tendance, tout comme les picnics sur la plage, les châteaux de sable, les lunettes de soleil, le short en jean acheté en fripes, les tomates, les fruits bio et la bouteille de vin bio dans un beau panier. Autant de distinctions qui permettent à chacun de faire la différence entre les locaux à la plage (ceux qui ne partent pas en vacances) et ces néo-vacanciers. En fin de compte, la plage en France est redevenue un endroit où différents groupes sociaux se côtoient, mais sans se mélanger. Un peu comme à Belleville ou Montreuil. La gentrification des vieilles stations balnéaires est en marche !

 

Par Thomas Porcher