Les inconditionnels involontaires de la voiture le savent mieux que personne, le prix de l’essence pèse dans le budget, et sur le moral. L’économiste le plus inflammable de France remet les compteurs à zéro.
Le prix à la pompe est probablement le thermomètre de la révolte sociale le plus fiable. Pourtant, jusqu’au mouvement des Gilets jaunes, ce sujet n’intéressait guère nos dirigeants politiques, ni même nos élites intellectuelles, pour qui les hausses des prix des carburants sont faiblement perceptibles (plus vous gagnez bien, moins vous sentez les quelques euros en plus sur un plein) et qui vivent majoritairement sur Paris (où la voiture est inutile, parce qu’il y a des transports en commun, des pistes cyclables, des VTC et taxis). C’est pour cela que bon nombre d’économistes et de politiques se prétendant de gauche ont défendu une hausse des prix des carburants comme instrument de la transition écologique. « Et si on laissait monter les prix du carburant ? » s’interrogeait un économiste éconoclaste dans un article pour Libération, arguant ensuite que des prix élevés du carburant constituent la meilleure incitation pour réduire la consommation.
EN SOUS-RÉGIME
Seulement voilà, dans la vraie vie, là où les infrastructures de transports sont inexistantes, la consommation de carburant est une dépense contrainte. Si vous n’avez que votre voiture pour vous rendre au travail, comment allez-vous baisser votre consommation d’essence ? En éteignant le moteur dans une descente ? En roulant en sous-régime ? Force est de constater que, comme personne ne peut réduire d’un coup de baguette magique le kilométrage d’un trajet, la hausse des prix de l’essence est, pour tous ceux qui n’ont pas d’autres alternatives que de prendre leur voiture, une dépense contrainte pour laquelle ils n’ont pas, ou très peu, de marges de manœuvre. Dans ce contexte, toute augmentation de l’essence n’entraîne pas une baisse de la consommation comme l’avancent nos économistes préférés, mais vient greffer d’autre budget de consommation comme l’alimentation. Il aura fallu attendre le 15 novembre 2018, lorsque des dizaines de milliers de personnes portant un gilet jaune se sont réunies sur des ronds-points, pour que certains comprennent que les fins de mois difficiles d’une grande partie des Français sont suspendues à la volatilité des prix des carburants.
Mais depuis rien n’a changé. Les politiques demandent aux distributeurs de baisser les prix, les distributeurs demandent aux politiques de baisser les taxes. Les politiques surveillent les prix comme on surveille le lait sur le feu en espérant qu’ils ne dépassent pas trop longtemps le seuil psychologique de deux euros. Difficile de comprendre, dans ce contexte, pourquoi personne ne s’est penché sur la fiscalité des carburants qui est foncièrement injuste et qui représente entre 50 % et 60 % du prix. Il faut bien comprendre qu’aujourd’hui, quelle que soit la zone d’habitation (centre-ville, banlieue, rurale), le type d’utilisation du véhicule (trajets domicile-travail réguliers ou loisirs), la motorisation du véhicule ou la situation du conducteur (possibilité d’utilisation de transports collectifs ou non), la fiscalité sur un litre d’essence est la même pour tous. Cette dernière pèse donc davantage sur les ménages modestes que sur les ménages aisés. À Paris, le taux d’utilisation de la voiture pour le trajet domicile-travail est de 13 % contre 75 à 85 % dans la majorité de la France. Cet écart ne s’explique pas par le goût plus prononcé de certains provinciaux à prendre la voiture, il s’explique juste par le fait qu’ils ne disposent tout simplement pas d’une offre de transports pouvant se substituer à leur automobile. Il est temps de repenser cette fiscalité pour la rendre plus juste. On arrive bien à inventer des montages fiscaux très compliqués pour permettre aux grands groupes de baisser leurs impôts (comme le bénéfice mondial consolidé), pourquoi on ne dépense pas la même ingéniosité et énergie pour préserver le pouvoir d’achat ? Ne serait-ce que d’ouvrir une réflexion sur le sujet en créant une Commission comme on en a si souvent l’habitude dans notre pays. Je profite d’ailleurs de la rédaction de cet article pour dire au Gouvernement que je suis disponible pour diriger cette Commission…
Par Thomas Porcher