« J’AI FABRIQUÉ MON VIBRO #DIY »

Vibro

Rien ne résiste à la déferlante du tout-Kit : on fabrique son Terrarium, sa Vodka-piment, son pouf en tricot, son parfum bio, son ukulélé et même… son vibro. À l’occasion du festival féministe Comme nous brûlons, Ju, fondateur de la Mutinerie, proposait un atelier de Dildo-Do-it-Yourself. On a testé !

Trop cher, trop standardisé, trop moche (mais quelle idée, ce motif Tour Eiffel) : acheter son vibromasseur dans le commerce, c’est encore être consommateur, et parfois abdiquer son sens esthétique. D’où l’idée, militante et ludique, de Ju, non binaire, crête blonde, petit bouc et marcel, de démonter son vibro : pour en étudier la composition et tenter d’en fabriquer un soi-même, tel un bricoleur lo-fi émancipé, capable de transformer une virée chez Casto en bon pour orgasme. Soyons honnêtes : j’y vais moins par conviction survivaliste, par besoin irrépressible de vibro, par pulsion créatrice, que par curiosité. Un vibro c’est un peu comme une tortue, on s’est toujours demandé ce qu’il y avait à l’intérieur. Ju, l’air immédiatement sympa, nous accueille à l’arrache : une quinzaine de participantes, des vingtenaires-trentenaires à l’allure hétéro-classique, porteuses de soutifs et de cheveux mi-longs, look de cis-genre plutôt sage, moins funky que le style trans-punk- poil-fluide de la festivalière moyenne. À part Ju, pas un mec autour de la table, public 100% féminin. Vu le décloisonnement post-sexuel de Comme nous brûlons « festival féministe queer incandescent », on s’en étonnerait presque.
Des guirlandes lumineuses fabriquées en cours de techno au vibromasseur hand-made, il y a un point commun : le fer à souder. Après distribution de matériel (circuits, fils électriques, interrupteurs, piles) et schémas explicatifs, Ju fait passer quelques prototypes de son cru, dont un sex-toy d’inspiration Dark Vador (noir brillant, embout en forme de casque). On est sur-motivées. L’étape 1 consiste à fixer une bille à un circuit électrique : c’est la rotation de la bille, légèrement décalée de son axe, qui va entraîner la vibration. Puis à souder l’ensemble à un interrupteur, et à fourrer le tout dans un morceau de tuyau de canalisation en plastique gris, découpé précédemment à la scie sauteuse. Pour l’instant, notre vibro ressemble à un rouleau de PQ qui vibre.

STIMULATEURS CLITORIDIENS

C’est sans compter l’étape 2, la partie créative, le grand moment de pure invention qui va révéler ou pas notre génie artistique : modeler l’embout du vibro. Là tu fais ce que tu veux : raton-laveur, tête de Trump, de ton ex, tout est possible avec la pâte Milliput (une sorte de pâte à modeler à séchage rapide). Sachant que l’ensemble sera recouvert de résine alimentaire, pour une possible utilisation interne – à condition de ne pas craindre le court-circuit en pleine chatte. Et là, l’évidence : fabriquer son vibro est un révélateur de personnalité. Mieux qu’un test de Rorschach ou un questionnaire de Proust.

« VOUS FABRIQUEZ DES BOMBES ? » – Un festivalier

Trois écoles donc : celles des créatrices de « godemichets classiques » : forme phallique lambda, monochromes, noirs ou violets (« normalisés » jusque dans les couleurs les plus standards du marché). Des copies-conformes de modèles déjà existants, dignes d’un déstockage au Sexodrome Pigalle. Le degré zéro de l’imagination. Celle des « gode-michets funky » plus personnalisés, en forme de cactus, de bonhomme, peinturluré façon dripping de Pollock : ceux-là, on les a regardés en se disant OUAH, des fruits tropicaux ou de pieuvres qui vibrent et des meufs qui s’ex- citent dessus, c’est génial. Une troisième famille morphologique -celle des stimulateurs clitoridiens : en forme de plante carnivore, de mâchoires, de personnages à grande bouche, en monochrome ou en inspiration Nikki-de-St Phalle. Des sex-toys internes ou externes, on avait le choix.

BARRIÈRE DE L’INTIME

Attablées et concentrées sur nos œuvres, l’ambiance est un peu sérieuse. Pas exactement coincée, plutôt caractéristique de cette distance tellement parisienne qui veut que, même en train de fabriquer leur vibro, les meufs ont l’air d’être ailleurs. Pudeur ou snobisme. Je m’attendais pas à un EVJF picard, mais quand même : c’est l’occasion de se marrer en racontant ses pires VDM avec vibros, des légendes urbaines de mésaventures domestiques (le genre d’histoires qui m’a toujours donné envie de faire des co-voits avec des pompiers). Je lance un « et vous, les vibros » en espérant décoincer un peu l’ambiance. Silence. Réponses laconiques ou vagues « J’en ai un mais il est cassé » ; « euh ouais » Heureusement qu’il y a ma voisine de gauche, sincère : « j’en ai pas et je ne sais pas du tout ce que je suis en train de faire ! » Et ma voisine de droite, amatrice d’Hentaï, collectionneuse de sex-toy gagnés dans des foires sexuelles (ah ?), qui préfère embrayer sur l’efficacité de ses pinces-tétons électriques. Pas une confession ou anecdote à l’horizon, pas une impression-gonzo, pas même un benchmark. Les meufs customisent leur vibro comme si elles réparaient leur aspirateur. Tout le monde a l’air cool et ouvert, mais personne ne franchit la barrière de l’intime. Drôle d’impression de fake ouverture, d’échanges plus chastes que chatte.
L’après-midi passe, la soirée commence. Pendant que mes co-bricoleuses blasées posent leurs derniers coups de pinceaux, les festivaliers arrivent en masse à la Station. On s’approche, on scrute nos manipulations, l’air autant envieux que circonspect. Certains font des hypothèses : au stade du circuit électrique : « vous fabriquez des bombes ? » Au stade modelage de l’embout « c’est des mixeurs ? ». Ju, archi sympa, à l’affût des faux contacts, s’assure que tous nos vibros fonctionnent. Il ne reste qu’à fixer le manche avec du gros scotch et à napper le tout à la résine alimentaire, pour un effet safe et glossy. Mis à sécher côtes à côtes, nos vibros ressemblent à la restitution d’une séance d’art-thérapie ou d’un atelier fête des mères. Qu’à cela ne tienne, Ju imagine déjà proposer ses ateliers dans les écoles. Nous, on part tester notre œuvre.


Par Mariane de Douhet