HOM NGUYEN : « LIRE L’HEURE PAR PLAISIR… »

Nguyen technikart Franck Muller

Hom Nguyen nous a reçus dans son atelier de la banlieue parisienne pour nous présenter sa collaboration avec la Maison horlogère Franck Muller. À son poignet ? Une « Crazy Hours » à son image – haute en couleur, excentrique et imprévisible.

Est-ce un symbole pour un autodidacte comme toi de collaborer avec la Maison horlogère Franck Muller, fondée en 1991 ?
Hom Nguyen : Le symbole vient plutôt du fait qu’à l’âge de 22 ans, j’ai acheté ma première montre sur eBay : c’était une Master Banker de chez Franck Muller, qui m’avait coûté, je crois, 10 000 francs. Puis, est arrivé le jour où je manquais trop d’argent pour la garder. Je travaillais alors rue des Canettes, dans le 6e, je faisais les patines des chaussures Berluti. Je l’ai vendue au proprio de la pizzeria juste en face pour le prix auquel je l’avais achetée et un an de pizza ! La montre était très rare, à complication. On a fait le deal, j’ai pris du poids, puis j’ai oublié la montre.

Tu l’as rachetée depuis ?
À 48 ans, j’ai retrouvé le propriétaire de la pizzeria, lui ai racheté au prix et avec une toile. Puis j’ai offert la montre à mon assistant, Hervé. C’est quelques mois plus tard que Franck Muller m’a appelé pour faire ce partenariat ; j’ai dit oui sur le champ !

Tu avais donc déjà une certaine passion pour l’horlogerie ? 
Oui, ça me faisait rêver. J’ai toujours aimé l’horlogerie pour la beauté de la pièce et, certainement à l’époque, pour sa fonctionnalité.

Techniquement, comment la collaboration s’est-elle déroulée ?
C’est une carte blanche. Il y a deux modèles. La Tourbillon Double Mystery est un modèle unique, pour lequel j’ai relevé le défi de dessiner dessus. C’était impressionnant, et, d’ailleurs, mon geste n’y est pas franc, mais c’est en cela qu’il était vraiment intéressant à relever. Ce one-shot m’appartient, mais on a décidé de le reverser aux ONG. L’autre partie est, cette fois-ci, un partenariat, où j’ai voulu redessiner la Crazy Hours de Franck Muller, une montre qui correspond à ma vie, folle mais sans prétention, à l’horloge déstructurée comme ma temporalité. On lit l’heure par plaisir.

C’est une de celles que tu portes, là ?
Oui ! Les montres, je les aime bien voyantes, mais pas ostentatoires, ni bling-bling. Je la porte tout le temps, elle est gribouillée, les chiffres sont disproportionnés…

Combien de temps pour créer ces modèles ?
Deux ans. Je suis allé visiter la maison, je m’y sens comme chez moi. L’horlogerie est un monde de dingue. Plein de personnes en train de manipuler des choses minuscules que tu ne peux pas prendre en vidéo, parce que c’est interdit.

De plus en plus de collaborations se font entre artistes et maisons horlogères.
Le duo amène plus d’énergie et il me semble très fécond de lier celle de la technique et celle de l’artistique, cette synthèse est même le cœur de l’horlogerie.

Tu as également collaboré avec McLaren, pour la création d’un modèle Elva unique. Un autre monde de dingue ?
J’ai eu la chance d’aller à Woking, Angleterre, le centre technologique de McLaren. C’est une soucoupe volante. J’avais demandé à travailler seul, donc il n’y avait que Hervé, qui mettait la musique, et moi, à côté de la voiture de Richard Mille, les F1 de Alonso et Hamilton, et des caméras partout. J’ai eu 72 heures pour travailler. C’était du one-shot, un modèle unique – c’est ça qui m’a donné envie.

Est-ce que ce n’est pas aussi le fait d’entrer dans un univers de prestige qui te séduit ?
Des emblèmes, des symboles, oui – c’est énorme, tu marques ton nom !

Très tôt, tu as utilisé les réseaux sociaux pour te faire connaître. Comment perçois-tu l’arrivée massive de l’IA dans l’art ?
Pour l’instant, ça ne nous touche pas vraiment. On voit que des IA arrivent à crayonner, mais la technique est très linéaire et sans faute. On va arriver à des grands problèmes, mais pour l’instant ça n’affecte personne.

Les moments clés de ta carrière ?
J’ai fait une œuvre pour la fondation l’Abbé Pierre, en 2021, qui m’a beaucoup touché. Le mariage avec ma femme qui m’assiste sur tous mes projets et la naissance de mes enfants, également, parce que ça m’a changé, je suis devenu plus humain. La Maison des femmes du 93, aussi, que je défends pour X raisons, pour contribuer à financer des projets pour des femmes qui sont en foyer et qui ont vécu pas mal de souffrances. L’exposition en faveur des blessés et des familles endeuillées aux Invalides… La France m’a permis de faire ce que je fais aujourd’hui, alors ça a été important pour moi de me rappeler d’où je venais. Cette France m’a sauvé du Vietnam d’où je suis arrivé avec ma mère. Je suis fier de participer à des projets de taille humanitaire et symbolique pour la France. Un peu contradictoire par rapport au luxe, on peut se dire : est-ce qu’il en surjoue ?

Et c’est le cas ?
J’y ai pensé. Je me suis remis en question. Mais j’ai dit oui à ces partenariats, parce que ce sont des challenges. Tu dessines sur une voiture à deux ou trois millions ? C’est dingue, car tu ne peux pas revenir en arrière.

Tes projets à venir ?
Le projet Franck Muller, parce qu’il va être long à déployer, avec des grands stores à Paris, Dubaï, Mexique, Hong Kong… Les prochains mois seront intenses ! Mais c’est aussi que du plaisir.

Franck Muller Vanguard Crazy Hours x Hom Nguyen

www.franckmuller.com

 

Par Alexis Lacourte
Photo Arnaud Juhérian